"Quand les pompiers doivent lutter, on a déjà perdu": sommes-nous condamnés à subir des incendies de plus en plus violents?

Des pompiers mobilisés contre l'important incendie dans l'Aude, ici près de Fontjoncouse, le 6 août 2025 - Lionel BONAVENTURE © 2019 AFP
Les pompiers luttent d'arrache-pied contre le plus gros feu de l’été en France, déclaré ce mardi 5 août à Ribaute, dans le département de l'Aude. L'incendie d'une intensité exceptionnelle a parcouru 16.000 hectares et causé un mort et plusieurs blessés. Des voitures et des maisons ont été calcinées par les flammes et d'immenses fumées sont visibles à des kilomètres à la ronde.
Depuis le début de l'été, plusieurs incendies se sont déclarés en France mais également ailleurs sur le continent, comme en Turquie où plusieurs personnes ont perdu la vie. Au Portugal, les pompiers sont désormais en proie aux flammes toute l'année. De l'autre côté de l'Atlantique, 6,5 millions d’hectares de forêt sont partis en fumée au Canada depuis le début du mois de juin, quand un mégafeu ravage le Grand Canyon, aux États-Unis.
À l'aune du réchauffement climatique, sommes-nous condamnés à subir la multiplication de ces feux intenses?
"Si on ne fait rien oui, mais on a les moyens et on connaît les techniques pour limiter les risques", assure à BFMTV Christian Pinaudeau, expert en prévention des risques feux de forêt.
Selon lui, en France, "la politique de prévention n'est toujours pas appliquée". "Quand les pompiers doivent lutter comme là dans l'Aude, on a déjà perdu", ajoute-t-il, plaidant pour une lutte contre les incendies préventive.
Hausse du risque en raison du changement climatique
Le dérèglement climatique entraîne une extension dans l'espace et le temps des zones exposées au risque de feux de forêts. Il progresse vers le nord, y compris dans des régions jusqu’ici épargnées. La saison des feux s'allonge avec un démarrage plus précoce dans l'année et une fin plus tardive, jusqu'à l’automne
En effet, la vitesse de propagation et l'intensité des feux de forêt dépendent des conditions météorologiques et climatiques.
Des températures plus élevées assèchent les plantes et les sols. La végétation devient susceptible de s'embraser. "Dans certaines régions, le changement climatique entraîne une diminution des pluies durant l’été, saison propice aux incendies, aggravant le phénomène", rappelle le ministère de la Transition écologique. C'est notamment le cas sur le pourtour méditerranéen.
S'il fait plus chaud à l'été en raison du changement climatique, les hivers sont également plus tempérés. Les arbres se retrouvent ainsi fragilisés par cette chaleur, mais également par la multiplication des attaques de parasites, et sont donc plus vulnérables face aux flammes.

Les projections climatiques montrent que dans une France à +2,7°C de réchauffement par rapport aux niveaux préindustriels, le risque d'incendie sera multiplié par 2 en nombre de jours à risque élevé, et multiplié par 4 en surface brûlée. D'ici 2100, à +4°C selon certains scénarios, "toute la France fera face à un risque élevé de feu, la moitié nord dans les mêmes proportions que le pourtour méditerranéen actuellement, et le Sud deux fois plus qu'aujourd'hui", selon Météo-France.
"Depuis les années 1980, la France s'appuyait sur une doctrine d'attaque massive des feux naissants, permettant de traiter plus de 85% des incendies avant qu'ils n'atteignent un hectare. Mais l'évolution climatique remet en question l'efficacité de cette approche face à des feux plus précoces, plus intenses et plus étendus qu'auparavant", écrit le ministère.
"Ce sont les hommes qui mettent le feu"
Toutefois, "le réchauffement climatique est un facteur aggravant mais ce n'est pas la cause des incendies", prévient Christian Pinaudeau. Dans 9 cas sur 10, l’activité humaine déclenche un incendie. Il peut s'agir d'activités comme des chantiers ou des activités agricoles ou des gestes du quotidien (mégots de cigarettes, barbecues...). "Le risque feu de forêt est lié à la démographie, il est socialisé, ce sont les hommes qui mettent le feu", explique Christian Pinaudeau.
"On a jamais vu les arbres se mettre le feu entre eux", commente-t-il.
Face à cette statistique, la première mission de ceux qui luttent contre les incendies est la sensibilisation et l'information du public. "Durant tout l'été, des patrouilles d'investigation et d'expertise forestière vont à la rencontre du public, notamment sur les sites balnéaires les plus appréciés des touristes", explique par exemple l'Office national des forêts (ONF).
Pour lutter contre les incendies, depuis quelques années, l'accent est mis sur la formation des habitants de la moitié nord de l'Hexagone, qui peut être moins alertes et moins habituées à ces pratiques.
Ces rondes permettent également de détecter d'éventuels départs de feu mais aussi de sanctionner en cas de non-respecter de la réglementation.

De plus en plus, des bénévoles effectuent des patrouilles dans les massifs pour faire du travail de prévention auprès des usagers. Dans le Var, plus de 4.500 bénévoles se relaient pour surveiller les forêts.
"Il faut renforcer les patrouilles, on ne peut pas le fait partout sur toute la France mais on peut dans les zones à risques, tout en faisant des annonces pour dissuader des incendiaires", affirme Christian Pinaudeau.
"Les accidents, c'est des accidents, mais on peut limiter les dégâts en agissant en amont", assure-t-il.
Les obligations de débroussaillement pas toujours respectées
Pour le spécialiste, le premier axe concerne les obligations légales de débroussaillement (OLD). Dans les zones à risque (bois, forêts, garrigue, maquis, lande...), les propriétaires d'habitations situées à moins de 200 mètres d'un massif forestier doivent débroussailler sur 50 mètres de profondeur, cette distance pouvant être portée à 100 mètres par décision du maire, depuis la loi du 10 juillet 2023.
Cela permet de limiter la propagation du feu et de diminuer la puissance potentielle d'un incendie. "Les retours d'expérience montrent que dans 80 à 90% des cas, il permet d'assurer la sécurité des personnes, même en cas de passage du feu", indique le ministère de la Transition écologique.
"Il faut le faire le long des autoroutes, des routes, des lignes de chemin de fer, des lignes EDF, autour des lotissements...", martèle Christian Pinaudeau, qui déplore que le débroussaillement soit "rarement obligatoire" ou "pas appliqué systématiquement". Comme le regrette le spécialiste, un arrêté modificatif du 1er avril 2025 donne jusqu'au 30 septembre 2025 aux préfets de départements pour mettre les arrêtés existants en cohérence avec ce texte national.
"Toute la difficulté est d'obliger les gens à le faire", ajoute Christian Pinaudeau.
Après les importants incendies qui ont touché la Grèce en 2022, les pouvoirs publics ont été vivement critiqués puisqu'il n'existait pour les particuliers aucune obligation de débroussailler ou d'élaguer les arbres. Depuis, Athènes a totalement revu sa copie.
Cette année-là, Greenpeace avait accusé les autorités "d'utiliser la crise climatique comme excuse" et d'investir davantage dans les forces de lutte contre les feux plutôt que dans les mesures de prévention.
Défendre les massifs forestiers
Les autorités grecques ont également été pointées du doigt pour le manque d'entretien des forêts, notamment pour l'absence d'enlèvement des troncs brûlés lors de précédents feux, qui peuvent servir de nouveaux combustiles lors d'un nouvel incendie.
"Pour défendre un massif, il faut l’appréhender comme si on construisait un bâtiment", avec les éléments nécessaires "à sa propre protection", appelait ainsi en 2022 auprès BFMTV.com Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers.
Christian Pinaudeau plaide pour l'aménagement des massifs avec des pistes forestières, pour stopper les flammes (des zones "coupe-feu") et faciliter l'intervention des secours, et des points d'eau, "comme en ville". Selon lui, ce "travail de fourmis" est bien plus avancé dans le Sud-ouest que dans les régions méditerranéennes. "On sait tout ce qu'il faut faire", assure-t-il.
En outre, la prévention passe aussi par des dispositions réglementaires, comme l’interdiction d'accès aux massifs forestiers lors de journées à haut risque. De telles mesures pourraient se généraliser dans des zones plus au nord, jusqu'ici plus épargnées par les incendies.
Protéger les aires habitées avec des zones tampon
"On sait d'où les feux viennent", souligne en outre Christian Pinaudeau. Les efforts de prévention contre les feux de végétation se concentrent en effet beaucoup sur ce que l'on appelle les interfaces habitat-forêt, c'est-à-dire les zones habitées dans ou en bordure de végétation.
De nouvelles législations voient peu à peu le jour. "Les plans de prévention des risques Incendie de forêt (PPRIF) visent à éviter des implantations qui peuvent être à l’origine de départs de feu et sont difficiles à protéger en cas d'incendie", indique le ministère de la Transition écologique.
En ce qui concernent les constructions déjà existantes, "il devient vital d'intégrer le risque de feu qui peut atteindre désormais les portes des villes".
Récemment, un incendie a atteint Marseille, conduisant à des évacuations en pleine ville. "On a fait construire des résidences secondaires dans des espaces à risque. Aujourd'hui, ce sont des résidences principales exposées aux feux, car on n'avait pas estimé le danger à l'époque", a reconnu le géographe Arthur Guérin-Turcq.
La problématique a été particulièrement forte à Los Angeles, touchée par d'impressionnants feux en janvier dernier. La ville américaine s'est construite en bordure de collines boisées et de forêts avec un étalment urbain important.
"C'est une catastrophe en cas d'incendie car ça complique aussi la lutte et la gestion contre le feu", déplorait alors Pauline Vilain-Carlotti, géographe et spécialiste des incendies de forêt. L'un des risques principaux est les lignes électriques, qui sont très régulièrement à l'origine de départs de feux.
Pour protéger les zones habitées, il faut créer des zones tampon assorties de bornes d'eau. "Ça fonctionne très bien, mais il faut les entretenir", affirme Christian Pinaudeau.

À Langlade, dans le Gard, la commune de 2.300 habitants a créé une ceinture de protection qui s’étend sur 7 kilomètres et une bande large de 50 à 100 mètres, tout autour du village. "Depuis sa création, aucun incendie ne s'est approché de Langlade", souligne le Centre de ressources pour l'adaptation au changement climatique. Maintenir un espace ouvert, sans végétation pouvant s'enflammer, permet effectivement de freiner la propagation d'un potentiel feu.
La lutte contre les feux sur tout le territoire
"Ce qui est difficile, c’est que nos sociétés ne réagissent pas en préventif, mais en curatif. Il faut attendre qu’il y ait un drame, une crise, pour qu’on s’adapte", déplorait en 2022 Grégory Allione.
Toutefois, comme le rappelle Christian Pinaudeau, "on s'est quand même amélioré depuis les années 80", où des dizaines de milliers d'hectares partaient en fumée chaque année. De nouvelles technologies et de nouveaux équipements permettre d’identifier et d’intervenir plus rapidement sur les départs de feux. En outre, les pompiers sont davantage en collaboration avec d'autres services comme les municipalités, Météo-France, les agriculteurs locaux ou l'ONF.
Surtout, les feux de forêt ne sont plus concentrés sur l'arc méditerranéen et n'ont plus la même saisonnalité. La doctrine de lutte et les formations se généralisent donc à tout le territoire, ce qui sert en cas de feux sur le département concerné mais également en cas de besoin d'envoi de renforts vers des zones sinistrées ailleurs dans le pays.
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