Incendies à Los Angeles: la ville va-t-elle devenir inhabitable à cause du changement climatique?

Maisons carbonisées, véhicules et palmiers dévorés par les flammes et épais panaches de fumée sur toute la ville... La région de Los Angeles, aux États-Unis, est ravagée par de grands foyers d'incendie qui progressent très rapidement, attisés par des vents violents.
Environ 9.000 bâtiments ont été détruits et plus de 180.000 habitants ont été appelés à évacuer, notamment dans le célèbre quartier de Hollywood. Un dernier bilan fait état d'au moins 10 morts ce vendredi matin.
Depuis plusieurs années, la Californie est en proie à une série de feux destructeurs. En 2018, plus de 20.000 bâtiments avaient été mangés par les flammes. Comparés à d'autres incendies récents, les foyers actuels sont peu étendus. Leur particularité est leur aspect très destructeur, en raison de leur localisation dans des zones résidentielles. Auparavant symbole du rêve américain, à l'aune du dérèglement climatique, Los Angeles est-elle condamnée à devenir de moins en moins habitable?
Multiplication et intensification des incendies
La région de Los Angeles jouit d'un climat méditerranéen, ce qui a notamment attiré (et attire toujours) de nombreux Américains déménageant vers la "Sun Belt" pour son climat ensoleillé, sa qualité de vie attractive et son fort dynamisme économique. "Avec un climat méditerranéen viennent des essences végétales inflammables comme des pins ou des petits buissons", explique à BFMTV.com Roland Pellenq, physicien et directeur de recherche au CNRS.
Il s'agit donc d'un climat habitué aux feux de végétation. Toutefois, ce phénomène est exacerbé ces dernières années par le dérèglement climatique. Les scientifiques estiment qu'il augmente d'environ 25% le risque d'incendies rapides en Californie, selon The Guardian. Ainsi, dix des plus gros feux de forêt qu'a connu l'État ont eu lieu au cours des deux dernières décennies, dont cinq en 2020 seulement.
Cette année-là, près de 10.000 incendies ont été recensés, brûlant plus de 1,6 million d'hectares au total. "Cependant, moins de 40 incendies ont représenté la grande majorité de la superficie brûlée, ce qui indique l'accélération de la gravité et de la fréquence des incendies extrêmes", écrit le gouvernement de Californie.
Hausse des températures, sécheresse, exacerbation des phénomènes de chaleur intenses... Les feux sont de plus en plus intenses et la saison des incendies s'allonge. De tels feux en plein hiver sont d'ailleurs très exceptionnels. "On a un changement de régime des feux", détaille Pauline Vilain-Carlotti, géographe et spécialiste des incendies de forêt.

Ce qui est notable selon elle, c'est notamment la hausse de la sinistralité et de la létalité de ces feux. "Auparavant, il y avait peu de victimes civiles, depuis cinq ans, on assiste à une catastrophe humaine", déplore-t-elle. En outre, la répétition des feux épuise les sols et impacte fortement la diversité biologique de la région.
Un étalement urbain sans fin
Toutefois, la spécialiste le rappelle: le réchauffement climatique exacerbe le phénomène mais n'en est pas la cause directe. En effet, 9 départs de feu sur 10 environ sont d'origine humaine.
Et c'est ce qui fait de Los Angeles une région particulièrement vulnérable aux feux. "Les déclenchements se font toujours à proximité des zones habitées: un des facteurs est les interfaces habitat-forêt", explique Pauline Vilain-Carlotti.
"Los Angeles s'est construite en bordure de collines boisées et de forêts", poursuit-elle, ajoutant que la ville a connu un étalement urbain important avec "un modèle résidentiel avec des lotissements à proximité d'habitats naturels et une faible densité de population". Une ville à l'Américaine qui s'étend notamment dans des zones à risque en raison du coût élevé des logements.
"C'est une catastrophe en cas d'incendie car ça complique aussi la lutte et la gestion contre le feu", alerte la chercheuse.
En outre, de nombreuses habitations de Los Angeles sont construites sur des terrains accidentés en pente, comme les fameuses collines de Hollywood, ce qui permet aux flammes de se propager et qui complique la tâche des secours.
"La Californie et les États-Unis en général sont habitués aux feux de forêt mais avec le dérèglement climatique, il y a un effet de surprise accru et une intensification des phénomènes qui rend difficile la lutte même pour les professionnels", indique Pauline Vilain-Carlotti.
"Il faut améliorer la prévention"
Mais alors que peut faire la ville de Los Angeles? Pour Pauline Vilain-Carlotti, "il faut arrêter de tout fonder sur la lutte et améliorer la prévention".
La géographe prône ainsi une "réglementation stricte sur l'urbanisme, notamment sur les zones habitat-forêt". "Il faut également encadrer la fréquentation des espaces naturels, encadrer certaines activités comme l'agriculture ou les barbecues et s'attaquer aux défauts de maintenance", poursuit-elle.

En Californie, un exemple très parlant est l'entretien des lignes électriques. Alors que les forts vents comme ceux qui soufflent actuellement dans la région peuvent faire tomber des poteaux et parfois provoquer des départs de feux, Business Insider indique qu'entre juin 2014 et décembre 2017, les lignes électriques de PG&E ont provoqué plus de 1.500 incendies de forêt en Californie. Afin de réduire ces risques, les Californiens subissent régulièrement des coupures de courant.
Îlot de chaleur urbain
Outre les incendies de végétation, la ville de Los Angeles est particulièrement vulnérable face à la crise climatique. Selon le gouvernement de Californie, "les augmentations annuelles de température observées dans la majeure partie de la Californie ont déjà dépassé 1°F (0,5°C), certaines zones dépassant 2°F (1,1°C)".
"La température moyenne maximale quotidienne devrait augmenter de 4,4°F à 5,8°F (2,4 à 3,2°C) d'ici le milieu du siècle et de 5,6°F à 8,8°F (3,1 à 4,9°C) d'ici la fin du siècle", poursuit-il.
Comme les autres grandes villes, Los Angeles est à l'origine d'un îlot de chaleur urbain. Les activités humaines et le fonctionnement humain avec le bâti -les rues, les constructions en hauteur et en béton, le goudron- gardent la chaleur et empêchent l'air de circuler.
Plus une surface est sombre, et surtout minérale et non-poreuse, plus elle absorbe le rayonnement du soleil et accumule la chaleur le jour. Ces matériaux omniprésents en ville restituent cette chaleur pendant la nuit et empêchent un refroidissement de la zone urbaine. Au contraire, l'herbe, l'eau et les arbres constituent des facteurs de rafraîchissement.
L'étalement urbain et le développement des banlieues résidentielles font donc grimper le mercure à Los Angeles. En juillet dernier, plusieurs personnes sont mortes dans l'ouest des États-Unis en raison d'une intense vague de chaleur.
En outre, les activités humaines et la pollution rejettent de l'air chaud et font grimper le mercure dans les villes. Dans une étude de 2019, l'American Lung Association identifie Los Angeles comme la ville américaine où la pollution à l'ozone est la plus élevée, ce qui pose un important problème de santé publique.
Des sols de plus en plus secs et vulnérables
La propagation rapide des incendies qui touchent actuellement Los Angeles est notamment accélérée par une végétation sèche qui sert de combustible aux flammes. En cause: un été suivi d'un hiver très peu arrosé dans la région. Alors que le dérèglement climatique aggrave les situations de sécheresse, la Californie est particulièrement vulnérable aux problèmes d'approvisionnement en eau, entraînant régulièrement de drastiques mesures de restrictions d'usage.
Dans cette région déjà originellement sèche, la nature aride du sol et le manque d'eau ont forcé les agriculteurs à pomper excessivement les eaux souterraines, provoquant un affaissement du sol à un rythme de 5cm par mois dans certaines zones, souligne Business Insider, ce qui pourrait, à terme, provoquer des fissures sur les routes, des trous dans le sol, endommager les canalisations d'eau souterraines et menacer les exploitations agricoles.
Et ce manque d'eau peut rapidement se transformer en catastrophe lorsque la pluie arrive enfin. À l'hiver dernier, Los Angeles a enregistré les journées les plus pluvieuses de son histoire. Les scientifiques affirment que la fréquence et l'intensité de ce type d'événements ne feront qu'augmenter avec la crise climatique: plus l'atmosphère est chaude, plus il peut contenir de vapeur d'eau.
En février, la Californie a connu d'importantes inondations. Les pluies tombant sur des sols secs et urbanisés tendent à ruisseler. "Avec l'asphalte et le béton, le matériau sur lequel tombe la pluie est rapidement saturé, cela cause du ruissellement et de potentiels dégâts", explique Roland Pellenq. Ce phénomène s'accentue notamment dans une ville très étalée comme Los Angeles.
"Je ne pense pas que la Californie soit totalement préparée à faire face aux réalités de ces événements", déclarait le climatologue Daniel Swain auprès de la BBC, "le changement climatique accroît le risque d'une méga-inondation en Californie. Ce scénario de tempête extrême produirait des ruissellements de 200 à 400% supérieurs à tout ce qui a été observé jusqu'à présent".
Des villas de luxe au bord du vide
Selon les autorités californiennes, le littoral de l'État pourrait connaître une élévation du niveau de la mer comprise entre 30 et 50cm d’ici 2050 et entre 73 et 213cm d'ici 2100. Si cette problématique ne concerne pas directement le centre-ville ou encore moins les habitants sur les collines de la région, elle a des répercussions sur les plages et les falaises.
Il est ainsi estimé que 31 à 67% des plages du sud de la Californie devraient disparaître d’ici la fin du siècle si des mesures d’adaptation ne sont pas mises en œuvre.
En février dernier, après le passage de la forte tempête qui a causé des inondations dans la région, plusieurs luxueuses villas du front d'océan se sont retrouvées au bord du vide après un effondrement à Dana Point, en banlieue sud de Los Angeles.
Selon une étude publiée en 2019 par le bureau de l'Assemblée de Californie, d'ici 2050, entre 8 et 10 milliards de dollars d'infrastructures pourraient se retrouver sous l'eau en Californie et d'autres constructions évaluées entre 6 et 10 milliards seront en zone de risque à marée haute.