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"Ça n'amuse personne de répandre des pesticides": peut-on réduire l'usage des produits phytosanitaires dans les vignes?

Un tracteur épand du folpel, un pesticide et fongicide, sur des vignes, avec des maisons résidentielles en arrière-plan, à proximité, à Frontignan, le 7 mai 2025.

Un tracteur épand du folpel, un pesticide et fongicide, sur des vignes, avec des maisons résidentielles en arrière-plan, à proximité, à Frontignan, le 7 mai 2025. - NICOLAS GUYONNET / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La viticulture est particulièrement gourmande en pesticides de synthèse. Même dans l'agriculture biologique, il reste très difficile de se passer de traitements. Des solutions existent pour les limiter et surtout, la filière travaille pour en trouver de nouvelles, plus efficaces, notamment en développant des cépages résistants aux maladies.

Les riverains des vignes sont surexposés aux pesticides. L'étude PestiRiv publiée ce lundi 15 septembre par deux agences sanitaires a montré qu'ils étaient plus imprégnés que les autres Français. Elle révèle la présence de 56 substances dans leur urine et leurs cheveux ainsi que dans l'air extérieur, les poussières et l'air des habitations ou encore les potagers. Et les enfants sont particulièrement concernés.

La viticulture représente environ 3% de la surface agricole en France mais 12,7% des achats de pesticides, selon la profession citée par l'AFP. Pourtant le président du Comité national des interprofessions des vins (CNIV) assure qu'il s'agit de "la filière agricole la plus avancée dans cette transformation de l'utilisation des pesticides", avec la montée du bio et la recherche d'alternatives aux pesticides de synthèse.

Pourquoi traite-t-on tant les vignes?

En 2019, 18 traitements en moyenne étaient appliqués à la vigne, selon le ministère de l'Agriculture. Les données officielles qui livrent l'origine géographique des achats des pesticides montrent que les départements viticoles sont largement en tête de la consommation, comme la Gironde ou la Marne.

La vigne est une plante vulnérable. En cause, des maladies -essentiellement deux: le mildiou et l'oïdium- originaires des États-Unis et arrivées en France à la fin du 19e siècle. "Avant, on ne traitait pas la vigne", rappelle auprès de BFMTV Laurent Delière, ingénieur à l'Inrae (l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement).

Par conséquent, les traitements utilisés sur la vigne sont à 80% des fongicides (le reste est constitué d'herbicides et d'insecticides) car ces champignons "ont la capacité de détruire des récoltes", explique Laurent Delière. En outre, "ces maladies ont de très nombreux cycles en cours de saison". Ils obligent "des traitements préventifs et répétés".

En bio, "il y a quand même des traitements"

Pourtant, le vin bio existe. En effet, certains viticulteurs cultivent leurs vignes sans produits chimiques de synthèse et ils sont même de plus en plus nombreux puisqu'ils représentent aujourd'hui 21% du vignoble national contre 6% en 2010, selon l'Agence bio.

David Notteghem et Matthieu Simon, vignerons bio installés en Dordogne, le concèdent toutefois: "le bio, c'est une baisse des rendements et des coûts de production élevés".

"On n'est pas forcément gagnants", estiment-ils.

Pour éviter l'usage d'herbicides pour désherber le sol des vignes, sous les pieds, Laurent Delière explique que "des méthodes alternatives existent" mais souligne "des problèmes techniques et économiques pour un large déploiement". "On doit s'équiper en outils pour passer sous les pieds de la vigne", détaille ainsi David Notteghem. "On passe plus de temps sur le tracteur, on a l'impression d'y passer notre temps, surtout en période de chaleur et d'humidité", affirme-t-il.

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Côté herbicides, il est donc possible de s'en passer, malgré d'importantes contraintes. Mais qu'en est-il des fongicides utilisés contre le mildiou et l'oïdium? "Même en bio, il y a quand même des traitements, on n'est pas irréprochables", notent Matthieu Simon et David Notteghem.

Les viticulteurs bio utilisent effectivement du soufre et du cuivre, autorisés en raison de l'absence de molécule de synthèse (il s'agit de substance existant dans la nature). "Ces produits naturels ne sont pas aussi efficaces que les produits phytosanitaires de synthèse", reconnaît l'ingénieur Laurent Delière. Le cuivre et le soufre ne pénètrent pas dans la plante: ce sont des produits dits de contact.

"Ils se posent sur les feuilles et la peau du raisin pour les protéger des champignons mais ils sont nettoyés à chaque pluie donc il faut retraiter immédiatement", explique David Notteghem. En effet, en viticulture bio, les traitements sont préventifs: pas de rattrapage possible si la maladie est là. "On a moins de moyens de se défendre", complète Matthieu Simon.

"Avec ça, on a sûrement une empreinte carbone plus importante qu'en conventionnel (non-bio, NDLR) car on passe très souvent avec notre tracteur", ajoute son associé David Notteghem.

Mieux et moins épandre de produits

L'une des premières solutions pour limiter l'usage de traitements, et ses nuisances, est d'agir sur l'épandage. Selon l'étude PestiRiv, en période de traitement des cultures, les niveaux de contamination des riverains "pouvaient augmenter de jusqu'à 60% dans les urines ou selon les pesticides mesurés", de "plus de 700% dans les poussières, jusqu'à "45 fois dans l'air ambiant".

Même si les niveaux d'exposition ne dépassent pas ceux anticipés dans les autorisations de mise sur le marché de pesticides, les agences recommandent de "réduire au strict nécessaire le recours aux produits phytopharmaceutiques".

Autre préconisation: informer les habitants avant les traitements pour qu'ils puissent adapter leur comportement: se déchausser en rentrant chez soi, nettoyer le sol, sécher le linge à l'intérieur... "On utilise un groupe WhatsApp avec les voisins pour les prévenir d'un traitement à venir", illustre par exemple Matthieu Simon et David Notteghem.

En outre, depuis 2020, la loi fixe à dix mètres la distance minimale à respecter entre résidences et zones d'épandage sur la vigne. L'ONG Générations futures prône, elle, au moins 100 mètres.

Un vignoble situé à côté de l'école primaire de Villeneuve, près de Bordeaux, le 23 mars 2016.
Un vignoble situé à côté de l'école primaire de Villeneuve, près de Bordeaux, le 23 mars 2016. © GEORGES GOBET / AFP

En attendant, du nouveau matériel d'épandage peut réduire les quantités de pesticide dispersées. "C'est un levier très efficace", indique Laurent Delière, qui souligne toutefois une nécessité d'équipements supplémentaires pour les agriculteurs et donc "un coût et du temps additionnels".

Il s'agit également de mieux cibler les besoins. "Notamment pour les ravageurs, il existe des indicateurs qui ont permis de baisser les usages", explique le spécialiste. Selon Bernard Farges, président du CNIV, le volume de pesticides achetés a diminué de 8,9% entre 2013 et 2024 (+56% de produits de biocontrôle et d'agriculture biologique, -38% de produits de synthèse).

D'autres traitements possibles?

Le CNIV insiste également sur une amélioration des pratiques du secteur depuis dix ans, appelant aussi les fabricants de pesticides à faire évoluer leurs produits.

De son côté, Phytéis, qui regroupe 18 producteurs de pesticides dont les filiales françaises des géants Bayer, BASF ou Corteva, estime que l'étude PestiRiv "démontre clairement que les procédures d'homologation sont strictes et offrent un cadre sécurisé à l'usage des produits phytopharmaceutiques".

Pour éviter une surexposition, les spécialistes appellent à "essayer de substituer les pesticides par des produits naturels sans danger pour l'environnement et la santé". Laurent Delière cite à cet égard "le biocontrôle" comme l'utilisation de produits naturels, de phéromones contre les ravageurs ou favoriser "les auxiliaires", comme par exemple, les araignées ou les acariens pour limiter leurs populations.

En ce qui concerne les maladies fongiques -le problème majeur pour les vignerons-, la recherche se penche sur des "méthodes de prophylaxie" pour agir l'hiver lorsque "les réservoirs de populations sont enfouis dans le sol".

Un hélicoptère pulvérise un traitement sur la vigne, en Alsage, le 8 décembre 2005
Un hélicoptère pulvérise un traitement sur la vigne, en Alsage, le 8 décembre 2005 © CLAUDE THOUVENIN / Biosphoto / Biosphoto via AFP

La "piste d'avenir" des nouveaux cépages hybrides

Mais le plus grand espoir réside dans le développement de nouvelles variétés de vignes plus résistantes. La vigne française est très sensible aux maladies venues des États-Unis. En revanche, de l'autre côté de l'Atlantique, il existe des variétés avec "des gênes résistants". L'idée des scientifiques et de la filière est donc de les croiser.

Près de 3.000 hectares de ces vignes hybrides ont déjà été déployés en France. On y observe une baisse de 80 à 90% de l'usage de fongicides. "Ça prend du temps, mais c'est une piste extrêmement intéressante, une piste d'avenir", se réjouit Laurent Delière.

Un obstacle majeur persiste néanmoins: ces nouveaux cépages résistants ne sont pas nécessairement adaptés à tous les terroirs et ne répondent ainsi pas aux exigences de toutes les appellations viticoles du pays. "Ce sont des variétés qui ne ressemblent actuellement pas à celles qui existent", explique Laurent Delière.

Ces cépages doivent donc encore conquérir le palais des amateurs de vin. Mais Laurent Delière l'assure: "les appellations ont pris conscience des enjeux environnementaux" et des variétés résistantes sont actuellement autorisées dans certaines appellations à titre expérimental. Par ailleurs, de nouveaux programmes de création sont en cours pour proposer des variétés adaptées aux appellations.

D'autant plus que diminuer l'usage de produits phytosanitaires serait non seulement bénéfique pour la santé humaine et pour l'environnement, mais permettrait également de baisser considérablement les factures des viticulteurs. "Ça n'amuse personne de répandre des pesticides", conclut David Notteghem.

Salomé Robles