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"Je n'y vais pas la fleur au fusil": le grand malaise du corps enseignant à la veille de la rentrée scolaire

Une classe de primaire à Cerny dans l'Essonne. (Photo d'illustration)

Une classe de primaire à Cerny dans l'Essonne. (Photo d'illustration) - Amélie Benoist

La grande majorité des professeurs aiment leur métier, mais une enquête publiée vendredi révèle que la moitié d'entre eux souhaite en changer à cause des conditions de travail. Manque de moyens, stagnation salariale, ingérence des familles... Plusieurs enseignants et professeurs de l'enseignement secondaire racontent l'appréhension avec laquelle ils s'apprêtent à entamer cette nouvelle année scolaire.

Les élèves ne sont pas les seuls à aller se coucher la boule au ventre la veille de la rentrée. Héloïse est professeure des écoles depuis 20 ans, pourtant chaque année, elle n'y déroge pas: la rentrée scolaire lui trotte dans la tête dès la mi-août. "Même avec l'âge, la rentrée ça reste un stress. On ne sait jamais à quoi s'attendre", témoigne cette enseignante de 42 ans, qui exerce à Brest. "Chaque fois c'est stressant car tout est à refaire: on est une inconnue pour eux, ils sont des inconnus pour nous".

"Dans notre métier, on est en représentation mine de rien", poursuit l'enseignante, qui ne cache pas qu'il est parfois difficile de "remettre le pied à l'étrier" en septembre. "Ce n'est pas facile d'être seul face à 30-35 personnes qui portent un regard sur vous".

"Il faut être à 110% dès le premier jour"

"C'est la peur de l'inconnu, tout simplement", résume Olivier, professeur de physique-chimie, qui s'apprête à vivre sa 30e rentrée scolaire mardi prochain dans un lycée breton. À 45 ans, lui non plus n'est pas épargné par le stress de la découverte des élèves lors des premières heures de cours. Ainsi les jours qui précèdent le grand jour, il a pris l'habitude de réfléchir à l'image qu'il veut renvoyer et aux messages qu'il veut faire passer à ses classes.

Une enseignante face à une classe de primaire à Cerny dans l'Essonne.
Une enseignante face à une classe de primaire à Cerny dans l'Essonne. © Amélie Benoist

"Les premières heures sont les plus anxiogènes. On sait pertinemment que c'est un moment où on va être jugé, et que la première impression est fondamentale", affirme le professeur. "C'est un peu comme au théâtre, il ne faut pas rater son entrée. Ce qu'on ne veut surtout pas, c'est qu'ils sortent de cette première heure avec une mauvaise image de nous. C'est un métier un peu particulier où il faut être à 110% dès le premier jour, sinon on peut le payer tout le reste de l'année".

"J'ai la chance de ne pas être trop mauvais dans l'exercice des présentations de rentrée", se targue Olivier avec humour, "mais j'ai des collègues qui m'ont confié avoir mis six mois à se relever d'une mauvaise rentrée: quand dès le début vous n'êtes pas clair sur les consignes, vous gérez mal un petit incident de classe, après c'est beaucoup plus compliqué de se relever et ça génère du stress".

En toute logique, le professeur titulaire reconnaît que l'épreuve de la rentrée est plus ingrate pour les jeunes professeurs en début de carrière et les titulaires sur zones de remplacement (TZR) qui sont amenés à changer d'établissement d'une année sur l'autre. "C'est une nouvelle relation à construire chaque année, et c'est difficile car ils ne bénéficient jamais de cette présomption de bienveillance qui peut se mettre en place quand on est connu et enraciné dans une institution", explique-t-il.

"Toujours dans la crainte d'un incident"

Le premier jour est l'occasion de poser un cadre d'apprentissage et des modalités d'évaluation, mais aussi de commencer à nouer un lien de confiance et une dynamique de progression avec ce nouveau groupe. "Il faut le temps que cette relation de confiance s'instaure, on sait que jusqu'à la Toussaint il y a tout un tas de choses à mettre en place, notamment les règles de vie de classe qui ne sont pas innées".

"Il ne faut pas oublier qu'on n'est pas face à un public d'adultes", soutient Olivier, qui veille toujours à "sécuriser" les élèves en face de lui lors de leur première rencontre. "Je me suis rendu compte qu'eux aussi avaient peur", soutient l'enseignant, qui cherche ainsi à mettre à l'aise et casser cette vitre de la défiance avec les adolescents. "C'est ça aussi notre travail: leur donner confiance en eux", explique Olivier, qui note que les élèves sont nombreux à avoir une image extrêmement dévalorisée d'eux-mêmes.

Une enseignante au milieu de ses élèves de primaire à Cerny (Essonne).
Une enseignante au milieu de ses élèves de primaire à Cerny (Essonne). © Amélie Benoist

Le premier jour, le professeur de sciences s’efforce d’être aussi complet et transparent que possible sur le fonctionnement de sa classe. "Mon objectif est de leur donner toutes les clés pour qu’ils puissent s’adapter, surtout qu’ils n’osent souvent pas poser de questions au début. J’insiste sur l’importance de la bienveillance et du travail collectif, afin de les accompagner le plus loin possible. Je veux qu’ils sachent à quoi s’attendre: la manière dont je construirai nos évaluations, le rythme, le contenu, et le type d’interrogations qu’ils pourront rencontrer, pour qu’ils ne soient jamais pris au dépourvu."

Tout n'est pas tout beau tout rose pour autant. "On est toujours un peu dans la crainte d’un incident. On ne le souhaite pas, évidemment mais c’est normal, c’est l’âge, et ce n’est pas grave: ça fait partie de la vie Il y a des élèves qui sont en recherche de limites et on sait très bien qu’à cet âge-là, ils testent".

Nombreux à vouloir quitter le navire

"C’est justement là qu’il faut se montrer bon: ne pas sur-réagir sans sous-réagir. Il y a un degré d’autorité à poser, et ce n’est pas toujours facile. Avec l’âge, on gagne en expérience, on réagit beaucoup mieux. On a déjà vécu des situations de conflit. Ce n’est pas rien: on a fait des erreurs, mais on ne les refait pas deux fois."

Malgré tout, les comportements et états d'âme des enfants et adolescents ne sont pas les aspects les plus difficiles à gérer pour eux. "On a l'habitude: c'est le coeur de notre travail finalement", livre Christophe, professeur dans un lycée agricole de la Somme, pour qui "la salle de classe reste un endroit sacré où il aime être".

Aux yeux du corps enseignant, le problème relève avant tout de facteurs structurels. "C’est l’hécatombe: nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir quitter le navire de l’Éducation nationale." Il déplore des conditions de travail devenues de plus en plus difficiles, et des salaires parmi les plus bas d'Europe qui stagnent malgré l'inflation.

"On reçoit des injonctions contradictoires et, sur le terrain, c’est 'débrouillez-vous'. Les emplois du temps arrivent à la dernière minute... jusque-là, on faisait avec, tant que le système tenait à peu près debout. Mais aujourd’hui, c’est de plus en plus compliqué. J’ai passé tout l’été à refaire mes cours, et voilà qu’on change encore de ministère".

C'est la raison pour laquelle à la veille de sa 10e pré-rentrée, Christophe ne fait pas que préparer ses cours pour ses futurs élèves: cette année, ce professeur d'histoire-géographie a aussi envoyé son CV dans l'espoir de quitter l'Éducation nationale. "Je me sens de plus en plus submergé par la complexité de ce qui nous est demandé", confie ce professeur de 45 ans, qui cette année encore, ne va pas retrouver les bancs de l'école "la fleur au fusil".

Injonctions contradictoires, prof-bashing...

Dans l'enseignement du premier comme dans celui du second degré, le professeur d'histoire-géographie à Péronne est loin d'être un cas isolé. Une enquête réalisée par le Syndicat des enseignants–Union nationale des syndicats autonomes (SE-Unsa) révélait vendredi qu'un professeur sur trois souhaiterait quitter l'enseignement public, et un enseignant sur deux voudrait changer de métier.

Un désarroi renforcé par l’évolution des relations avec les élèves et leurs familles. "Le prof-bashing (dénigrement systématique des profs, qui s'est développé ces dernières années) est devenu un véritable problème et l’ingérence des familles dans le parcours éducatif est de plus en plus prégnante. Cela pose énormément de difficultés", soupire Christophe, anxieux à l’idée de devoir affronter tous les “à-côtés” de la salle de classe.

"L’an dernier, j’ai par exemple eu des échanges de mails très passifs-agressifs avec des parents d’élèves, souvent pour des broutilles: une mauvaise note contestée, un comportement pointé du doigt et immédiatement remis en cause. C’est extrêmement chronophage et on se retrouve généralement tout seul. Humainement et personnellement, la direction comprend le problème, mais l’institution, elle, reste marmoréenne et ne bouge pas".

Le syndicat enseignant indique que le nombre de ruptures conventionnelles serait en constante augmentation dans l'Éducation nationale et qu'il dépasserait le seuil des 3.000 départs négociés chaque année. Des associations telles que "Aide aux profs" viennent même désormais en aide aux enseignants et professeurs en quête de reconversion.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV