"Ça s'annonce pire que l'année dernière": une rentrée 2025 encore marquée par la pénurie de professeurs

Des collégiens se rendent en classe au lendemain de la rentrée dans le collège Léonard de Vinci de Tournefeuille (Haute-Garonne), le 2 septembre 2025 (photo d'illustration) - Adrien Nowak /Hans Lucas/AFP
C'était une rentrée compliquée pour l'école Malala Yousafzai à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Le lundi, une classe de CP n'avait pas d'enseignant, une classe de CE2 n'avait pas de professeur la moitié de la semaine et pour deux classes de grande section et de CM2, il n'y avait tout simplement personne.
Pendant deux semaines, pour pallier aux trous dans les emplois du temps, "les enfants étaient casés dans différentes classes", dénonce auprès de BFMTV Élodie Chaudière, la représentante des parents d'élèves de l'école, reprochant à l'acadamie d'avoir organisé durant deux semaines un simple service de "garderie".
Dans un courrier adressé à la direction des services départementaux, les parents écrivent: "plus de 70 élèves de notre école ont eu une scolarité en pointillés depuis la rentrée, voire pas de scolarité du tout. On est bien loin du dispositif 100 % de réussite censé exister en REP+ (l'école se situe en réseau d'éducation prioritaire, NDLR). (...) C'est vraiment catastrophique."
Si les parents d'élèves jugent que "rien n'est réglé", la direction des services départementaux de l'Éducation nationale assure à BFMTV que "tous les enseignants" étaient présents en classe ce lundi matin et que les professeurs absents seront remplacés "jusqu'à la fin de leur arrêt maladie". Une rustine? Les parents exigent que la situation soit "stabilisée sur le long terme".
"On ajoute du chaos à une situation dégradée"
En fin de semaine dernière, dans le même établissement, la seconde classe de CM2 - qui n'avait pas d'enseignant depuis la rentrée - a fermé. La plupart des enfants ont été réaffectés dans l'autre classe de CM2 mais quatre élèves se retrouvent dorénavant dans une classe de CM1 - qui devient une classe à double niveau.
"Sachant que cette maîtresse est en mi-temps thérapeutique et qu'elle était absente vendredi", précise Élodie Chaudière. "On ajoute du chaos à une situation dégradée." Une fermeture que défend la direction des services départementaux. "Dès qu'on peut anticiper, on le fait. La carte scolaire est ajustée en janvier, en juin et en septembre selon les effectifs et les constats de rentrée."
Les parents se sont rassemblés une première fois devant l'école jeudi dernier et prévoient une nouvelle mobilisation ce mardi matin. Car même si la direction des services départementaux considère qu'il n'y a "plus de sujet" sur l'école Malala Yousafzai, les parents, eux, craignent le non-renouvellement des remplacements à court et moyen termes.
"L'école ne peut pas fonctionner au jour le jour. Nous avons besoin d'une équipe stable à l'année."
Un professeur qui manque par collège ou lycée
Le 1er septembre, Élisabeth Borne, la ministre de l'Éducation nationale du gouvernement démissionnaire, a reconnu qu'il manquait l'équivalent de 2.500 professeurs. Mais la ministre s'est dans le même temps félicitée que "99,9% des postes" soient pourvus dans le premier degré et "quasiment pas de postes non pourvus" dans le second degré.
Pourtant, deux jours plus tard, le Snes-FSU, premier syndicat du second degré, a alerté sur la pénurie d'enseignants. Selon ses données, dans plus de sept collèges et lycées sur dix, l'équipe pédagogique et éducative était incomplète - qu'il s'agisse de professeurs, CPE, assistant d'éducation, AESH ou psychologue). Et dans le détail, il manquait au moins un professeur dans 55% des collèges et lycées.
"À l'heure des grande ambitions sur l'inclusion et la santé mentale (présentée comme une priorité du ministère, NDLR), on n'a même pas le nombre de professionnels prévus dans les établissements", accuse auprès de BFMTV Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU, le premier syndicat enseignant du second degré.
"On ne va quand même pas s'habituer au fait qu'il manque des enseignants dès le jour de la rentrée."
Au collège Pierre Mendès France, un établissement classé Rep dans le 20e arrondissement de Paris, ce sont trois professeurs qui font défaut: français, physique-chimie et mathématiques. "Et on n'a eu aucun remplaçant", regrette pour BFMTV un représentant de parents d'élèves. "C'est assez inquiétant qu'il manque des enseignants dès le premier jour de l'année, ça ne présage rien de bon pour la suite."
"C'est du jamais-vu"
Le compteur (non exhaustif) Ouyapacours de la FCPE, la première fédération de parents d'élèves, affiche déjà 3736 heures de cours perdues (ce lundi midi) pour les élèves. "L'année à venir s'annonce pire que l'année dernière", s'inquiète Grégoire Ensel, le vice-président de la FCPE.
Chaque année, ce sont en moyenne 15,6 millions d'heures d'enseignement qui sont perdues dans le second degré, selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance. Ce qui représente 9% des heures de cours dans les collèges et lycées.
Et dans le premier degré, quelque 7,5 millions de demi-journées d'absence ont été comptabilisées en 2023-2024, selon un rapport du Sénat publié en juin dernier. Ce qui représente une augmentation de 17,4% par rapport à 2018. Mais si près de huit absences sur dix sont remplacées dans les écoles primaires, cela devient de plus en plus difficile. Car le nombre d'absences non remplacées a augmenté de 49% en six ans.
"Le problème, c'est qu'on a déjà beaucoup tapé dans le vivier de remplaçants pour prendre des postes fixes à l'année", pointe Grégoire Ensel, de la FCPE. "La conséquence, c'est que pour les remplacements de courte durée, il n'y a plus personne." "La réserve est à sec", abonde Sylvie Perron, secrétaire nationale du Sgen-CFDT. "Les inspecteurs nous disent que la pénurie est telle que c'est du jamais-vu."
"On attaque une nouvelle année scolaire sans vivier de remplaçants. C'est d'entrée de jeu fragile et on n'en est qu'à la deuxième semaine."
Une classe n'est pas "un tableur excel"
Sylvie Perron dénonce aussi un autre phénomène: la hausse du nombre d'élèves par classe qu'elle a constatée dans plusieurs établissements du second degré. "Pour avoir un professeur devant chaque classe, on a gonflé les effectifs. Et par exemple, au lieu d'avoir six classes à 28, on en a cinq à 33."
"On joue sur les effectifs pour optimiser et dégager des moyens. Alors oui, bien sûr, ça marche très bien sur un tableur excel. Mais dans la réalité, c'est plus compliqué."
Une pénurie de professeurs qui s'explique par la perte d'attractivité du métier. Cette année encore, les concours n'ont pas fait le plein. Au total, ce sont 2063 postes qui n'ont pas été pourvus à l'issue des concours de recrutement du premier et du second degré des établissements publics cette année, selon les décomptes de BFMTV. En 2024, c'était 3185 postes qui étaient restés vacants.
"Le système est plus que tendu, la pénurie devient structurelle", s'alarme Grégoire Ensel, de la FCPE.
Les académies recrutent toujours
Certaines académies en particulier celles en tension comme Versailles ou Créteil ont ainsi, depuis plusieurs années, massivement recours aux contractuels. Des personnels peu formés qui ne sont pas passés par les concours enseignants. Le 12 septembre, des annonces étaient encore en ligne sur le site de France travail pour recruter des enseignants de lettres classiques, mathématiques, physique/chimie, SVT, espagnol ou encore technologie dans plusieurs académies.
Pourtant, ce mode de recrutement ne convainc pas. Le dernier rapport Pisa publié fin 2024 a ainsi pointé les "efforts conséquents" qui restent à faire concernant les enseignants contractuels pour lesquels "les formations proposées restent courtes"; ceux rejoignant l'Éducation nationale en cours d'année "ne semblent pas bénéficier d'une formation avant leur prise de poste".
"On est en train de glisser vers un système où on n'a plus un enseignant et un pédagogue devant chaque classe, mais un adulte devant chaque classe, et ce n'est pas la même chose", dénonce Grégoire Ensel. "Enseigner, évaluer, accompagner, faire progresser les élèves et la classe, c'est un métier."