"Un créature de Frankenstein": entre macronistes, inconnus et LR, le drôle de gouvernement de Sébastien Lecornu

Une drôle de liste de noms pour tenter de donner de l'air à Sébastien Lecornu. Moins de 48 heures après avoir été renommé par Emmanuel Macron, le Premier ministre a dévoilé un "gouvernement de mission" aux allures de patchwork ce dimanche soir.
Une poignée de visages très connus, quelques figures identifiées des débats parlementaires et d'autres noms totalement méconnus du grand public, voilà à quoi ressemble le gouvernement Lecornu 2. De quoi susciter quelques moqueries dans le camp.
"Vous vous rappelez du scandale de la viande de cheval dans les lasagnes? C'est pareil. On a mélangé des éléments pas frais, à la provenance douteuse. À la fin, ça n'est pas bon mais ça fait le job", résume un élu centriste auprès de BFMTV.
La surprise Gérald Darmanin
Première incongruité de ce casting: le maintien de Gérald Darmanin à la Justice. Le garde des Sceaux a beau avoir multiplié les appels du pied ces dernières semaines pour rester en poste, Sébastien Lecornu avait appelé la semaine dernière à ne pas s'entourer de personnalités à l'ambition présidentielle.
C'est pourtant le cas de Gérald Darmanin qui a lancé l'an dernier son propre mouvement Populaires. Le chef du gouvernement a-t-il eu des scrupules à rayer de la liste celui dont il a été le témoin de mariage tout en lui demandant de mettre de l'eau dans son vin? "Sans renier aucune de mes convictions, je me mets donc en congé de toute activité partisane", a twitté Gérald Darmanin.
"L'élection présidentielle n'est pas l'enjeu du moment. Il ne s'est d'ailleurs jamais déclaré candidat, il a uniquement fait savoir qu'il comptait défendre sa ligne d'une manière ou d'une autre, sans rien exclure", a encore bien précisé son entourage dans la foulée de sa nomination.
Des macronistes pur sucre
Sébastien Lecornu avait également semblé exclure les ministres au profil très marqué, en évoquant sur France 2 mercredi soir de futurs recrues éloignées de "certains problèmes partisans".
Plusieurs figures du camp présidentiel ont pourtant bien été réinvesties, à l'instar de Roland Lescure, un proche du chef de l'État qui reste ministre de l'Économie. Autre personnalité bien connue dans le camp présidentiel, Amélie de Montchalin, qui garde également le portefeuille du Budget tout comme Aurore Bergé qui redevient ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes après avoir été pendant 14 petites heures porte-parole du gouvernement.
C'est Maud Bregeon, qui la remplace, déjà à ce poste sous Michel Barnier, en dépit de ses vives critiques émises contre l'éventuelle suspension de la réforme des retraites. Laurent Nuñez, qui a été le bras du ministre de l'Intérieur Christophe Castaner pendant la crise des Gilets jaunes, fait son retour place Beauveau comme numéro un.
"C'est la continuation du macronisme. Heureusement qu'on nous avait promis la rupture", raille Pierre Jouvet, secrétaire général du parti socialiste, en faisant référence à la passation de pouvoir entre François Bayrou et Sébastien Lecornu.
Des ministres LR "très gentils"
Difficile en effet de ne pas voir l'ombre d'Emmanuel Macron planer sur la composition de ce gouvernement. Après avoir promis de "donner carte blanche" à son Premier ministre, l'Élysée a voulu accélérer le tempo en le convoquant dimanche soir et le poussant à boucler cette liste en quelques heures.
Preuve encore que le chef de l'État compte encore sur la droite pour parvenir à échapper à une dissolution, la nomination de six ministres LR. La consigne avait pourtant été donnée par le président du parti de droite Bruno Retailleau de ne pas participer. Plusieurs d'entre eux étaient membres du gouvernement de François Bayrou et du premier de Sébastien Lecornu comme Philippe Tabarot (Transports), Annie Genevard (Agriculture) et Rachida Dati (Culture).
Mais d'autres noms ont surpris comme celui de Vincent Jeanbrun. Le député LR qui s'était fait connaître du grand public pour avoir été victime de l'attaque de sa maison pendant les émeutes de l'été 2023, arrive au gouvernement comme ministre du Logement. Ce proche de la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse va être exclu des LR tout comme ses collègues.
"Ceux qui ont été nommés sont très gentils, mais ce ne sont pas eux qui vont donner la visibilité que donnait Bruno Retailleau à l’intérieur", se moque un élu de droite à l'Assemblée.
Quant aux députés Horizons qui semblaient réservés sur leur participation au gouvernement, Sébastien Lecornu a décidé de leur tendre la main. Naïma Moutchou devient ministe des Outre-mer, Charlotte Parmentier-Lecocq reste au Handicap et la députée Anne Le Hénanff fait son entrée au Numérique.
"Ça ne fait pas de mal d'avoir des élus d'Édouard Philippe et ce ne sont pas vraiment les plus remuants qui viendront nous chercher des poux", observe un poids-lourd de Renaissance.
Des profils de la société civile
Dernier étage de ce gouvernement: des membres de la société civile. Oubliées ces dernières années dans les différents castings gouvernementaux, c'est le retour de ces figures qui n'ont porté de mandat politique, tout en étant souvent très introduites dans les allées du pouvoir.
Exemple avec le nouveau ministre de l'Éducation nationale Édouard Geffray, haut-fonctionnaire, éphémère directeur de cabinet de François Bayrou à la Justice en 2017 et longtemps numéro 2 de ce ministère aux contours XXL. Même topo pour Alice Rufo, désormais numéro 2 du ministère des Armées après avoir fait une partie de sa carrière au Quai d'Orsay.
Autant de profils qui ne s'abîmeraient pas professionnellement si leur passage à la tête de ces portefeuilles devaient être éphèmères, comme cela sera probablement le cas.
"On n'arrive plus à aller chercher de beaux profils dans le privé. Ceux qui en viennent sont toujours en fin de carrière. Qui veut lâcher un gros poste pour être 3 semaines ministre? Personne. Les hauts-fonctionnaires, eux, seront réintégrés sans problème", observe un socialiste.
Parmi les débauchages dans le monde de l'entreprise, on trouve Serge Papin, le médiatique ex-PDG de Système U qui a quitté ses fonctions en 2018. À 70 ans, il a été nommé dimanche soir ministre en charge des petites et moyennes entreprises et du Commerce.
Quant à Jean-Pierre Farandou, jusqu'ici président de la SNCF, son arrivée au ministère du Travail a l'avantage de faire place nette pour Jean Castex, désigné par l'Élysée pour lui succéder. Celui qui a fait toute sa carrière dans le monde du rail aurait dû partir depuis la mi-2024 mais continuait d'en assurer l'intérim depuis.
Un proche de Carole Delga pour séduire le PS
Dernier élément à retenir: la nomination de Laurent Panifous au ministère des Relations avec le Parlement. Le poste a beau être méconnu du grand public, il est central dans un contexte où ce sont les députés qui ont le droit de vie et de mort sur le gouvernement.
Et le profil choisi par Sébastien Lecornu peut interroger au moment de devoir convaincre le PS de ne pas le censurer. Issu des rangs du parti à la rose, ce proche de Carole Delga a refusé dès son entrée à l'Assemblée en 2022 de siéger avec les socialistes avant de rejoindre le groupe LIOT, un ensemble hétéroclite de députés, et d'en devenir le président en 2024.
L'exécutif l'a-t-il choisi dans l'espoir qu'il fasse jouer ses contacts avec les socialistes? Fort probablement mais le calcul a du plomb dans l'aile alors même qu'il est suspendu du parti depuis des années.
Sébastien Lecornu a-t-il des chances de tenir avec cette équipe ministérielle aux allures de "créature de Frankenstein", dixit un député Renaisance? Une première réponse aura lieu dès jeudi avec l'examen des motions de censure déposée par La France insoumise et le Rassemblement national. Emmanuel Macron a appelé ce lundi matin les forces politiques à "œuvrer à la stabilité".