Passes d'armes, recadrages, divergences stratégiques... Le gouvernement de Bayrou se craquelle

Le Premier ministre François Bayrou à l'Assemblée nationale le 18 juin 2025 - Photo by Thomas SAMSON / AFP
C'est bien connu, les apparences sont parfois trompeuses. Prenez le gouvernement par exemple. Mercredi 2 juillet, ses différents membres prennent la pose dans les jardins de l'Élysée, plus de six mois après la nomination de François Bayrou à Matignon. Chacun se tient en rang aux côtés du Premier ministre et du président Emmanuel Macron pour la traditionnelle photo de famille, affichant ainsi une unité de l'exécutif.
Le cliché est impeccable. Pourtant, il mériterait de nombreux contrastes, tant le "socle commun", attelage rassemblant le parti Les Républicains et l'ex-majorité présidentielle, semble fragile.
Au sein de cette alliance de circonstances - formée au lendemain des élections législatives pour construire une majorité très relative dans une Assemblée nationale divisée en trois blocs - chacun cherche à tirer son épingle du jeu, à moins de deux ans de l'élection présidentielle.
Passes d'armes Attal-Retailleau
Les passes d'armes s'accumulent. La plus récente est née d'une tribune dans Le Figaro, publiée le 2 juillet. Ses auteurs: deux vice-présidents du parti Les Républicains, François-Xavier Bellamy et Julien Aubert, ainsi que le nouveau chef de la boutique, un certain Bruno Retailleau.
Coiffé de cette nouvelle casquette depuis le 18 mai, le ministre de l'Intérieur cultive davantage son indépendance. S'il fallait en apporter la preuve, le trio LR plaide dans son texte pour stopper les "subventions publiques" pour l'éolien et le photovoltaïque, érigeant comme "priorité de rebâtir un parc nucléaire en reconstituant une compétence industrielle française".
Un message difficilement acceptable pour les macronistes qui défendent, au contraire, un renforcement des énergies renouvelables. D'autant plus que le vase est déjà plein sur l'écologie: LR a participé quelques semaines auparavant à affaiblir le principe de "zéro artificialisation nette" (ZAN) et à supprimer les zones à faibles émission (ZFE), détricotant ainsi le bilan du camp présidentiel.
Le même mois, lors des débats sur la trajectoire énergétique de la France, LR a présenté un amendement, soutenu par l'extrême droite, instaurant un moratoire sur les énergies solaires et éoliennes.
Forcément, Gabriel Attal, qui avait alors dénoncé "un axe anti-écologie", s'est également opposé à la tribune signée par Bruno Retailleau. Le chef des députés Renaissance a déploré sur X "un retour d'une forme de climatoscepticisme antiscience très inquiétant", "alors que nous subissons une vague de chaleur inédite".
Ce vendredi, Agnès Pannier-Runacher s'est joint à la riposte. "Cette tribune est absurde et dangereuse d'un point de vue industriel, économique, social, mais aussi géopolitique", a déploré la ministre de la Transition écologique et membre du parti présidentiel, dans un entretien au Monde.
L'ombre de la présidentielle
Ce n'est pas la première fois que les divergences des partis présents au gouvernement, où une certaine "polyphonie" est autorisée, éclatent. Ministre de l'Éducation, Élisabeth Borne, pour ne citer qu'elle, avait pris ses distances il y a quelques mois avec les accents droitiers de ses collègues, que ce soit sur le port du voile dans le sport ou le droit du sol. Ce vendredi, elle a réitéré en estimant "important que chacun s’exprime dans ses domaines de compétences".
De l'autre côté, Bruno Retailleau s'est habitué à se singulariser, notamment en tenant un discours très offensif vis-à-vis de l'Algérie, à la différence de la ligne, davantage équilibrée, du Quai d'Orsay, qui a recherché la voie de l'apaisement pour tenter de résoudre la crise diplomatique entre Paris et Alger.
Mais le rythme des dissonances semble s'accélérer. Du moins, l'échéance présidentielle à venir ne présage pas d'un essoufflement. Car dans ce socle commun, les ambitieux ne manquent pas. Il y a Bruno Retailleau certes. Mais aussi plusieurs membres du camp présidentiel. D'Édouard Philippe à Gabriel Attal, en passant par Gérald Darmanin.
Affaiblissement des arbitres Bayrou et Macron
Dans ce contexte, les deux têtes de l'exécutif peinent à siffler la fin de la récréation. Emmanuel Macron s'y est essayé ce jeudi. En marge d'un déplacement dans l'Aveyron, le chef de l'État a enjoint "chaque ministre" à "s'occuper des affaires pour lesquelles il est nommé", plaidant pour "discipliner la parole" au sein de l'équipe de François Bayrou. Non sans viser ce dernier au passage, rappelant qu'un "Premier ministre doit diriger son gouvernement".
Invité de BFMTV, l'intéressé a quant à lui appelé ses ministres à cultiver "l'esprit de responsabilité" pour s'exprimer "avec un tout petit peu plus de nuances". Quant au recadrage d'Emmanuel Macron, le patron du Modem a expliqué avoir "voulu un gouvernement de poids lourds" qu'on ne peut pas mener "comme une classe enfantine", et dénoncé "des campagnes internes, des mouvements politiques". Tout en affirmant son autorité: "c'est moi qui tranche".
Mais, Emmanuel Macron, comme François Bayrou, seront-ils vraiment entendus? Ont-ils les moyens politiques de l'être? L'un a été largement affaibli par la dissolution de l'Assemblée nationale. L'autre, très impopulaire dans les sondages, ne sait s'il passera le prochain hiver à Matignon. Car d'ici là, il faudra franchir l'étape à haut risque du budget à l'automne.