Entre soutien aux policiers et solidarité gouvernementale, le jeu d’équilibriste de Gérald Darmanin

"On est dans l'entonnoir. C'est un peu dur en ce moment". Un député proche de Gérald Darmanin manie la litote pour résumer à grand trait la situation du locataire de la place Beauvau. Pressé entre des policiers très en colère après le placement en détention provisoire d'un agent marseillais et Emmanuel Macron qui a rappelé que "nul n'était en dessus des lois", le ministre de l'Intérieur joue gros.
Depuis dimanche soir, le locataire de la place Beauvau, qui rechigne rarement à s'exprimer s'était d'ailleurs fait discret, jusqu'à ce jeudi soir.
"Je veux dire que les policiers ne réclament pas l'impunité, ils réclament le respect, ils ne réclament pas d'être au-dessus des lois, ils réclament de ne pas être en dessous des lois ", a lancé Gérald Darmanin ce jeudi soir.
Depuis un commissariat du 19e arrondissement et avant une rencontre avec les syndicats, il a ajouté "comprendre cette fatigue, cette tristesse, cette émotion" des forces de l'ordre.
"Il met de l'huile sur le feu"
De quoi espérer sortir d'une séquence politique qui l'a mis en porte-à-faux avec le chef de l'État. Après la mise en examen de 4 policiers marseillais, dont un actuellement en détention provisoire, soupçonnés d'avoir roué de coups le jeune Hedi après un tir de LBD, le directeur général de la police a jugé dimanche auprès du Parisien qu'un policier "n'avait pas sa place en prison" avant un procès, "même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves" dans le cadre de son travail.
La sortie a fortement déplu à Emmanuel Macron qui veut à tout prix éviter de remettre de l'huile sur le feu après les émeutes liées à la mort de Nahel, tué par un tir de policier.
Lors d'une interview pour clôturer la fin des "100 jours d'apaisement" et la première année de son second quinquennat, le président tente ainsi de ménager la chèvre et le chou. Tout en disant comprendre "l'émotion" des policiers, le chef de l'État appelle au respect de "la déontologie" et à "la sérénité" et "l'indépendance" de la justice."
Avant ces mots du président, un proche de Gérald Darmanin avait cependant rappelé la "très grande confiance" du ministre envers le patron de la police.
"Darmanin nous a mis dans la mouise alors qu'on a fait redescendre la tension. Vraiment, ce n'est pas sérieux. Il met de l'huile sur le feu tout le temps alors qu'on a besoin de calme", s'agace un député de l'aile gauche de la majorité.
Un soutien "pas du tout lié au contexte"
"Le ministre n'a pas vraiment le choix. La police est fâchée, juge qu'on ne la soutient pas assez. Donc oui, il se met du côté du directeur général de la police nationale", décrypte cependant un député macroniste de la commission des lois.
Le contexte joue également en faveur d'un traitement de faveur: à l'approche de la Coupe du monde de rugby et des Jeux olympiques, Gérald Darmanin sait qu'il va devoir compter sur les forces de l'ordre.
"Le ministre a toujours été dans une posture de très fort soutien à la police, de grande confiance. Ce n'est pas du tout lié au contexte actuel", banalise son cabinet.
Peut-être, mais il vaut mieux éviter de se fâcher avec les syndicats des forces de l'ordre, très pointilleuses. Auditionné devant le Sénat après les émeutes mi-juillet, l'ex-maire de Tourcoing avait ainsi évoqué le profil des policiers à l'entrée de leur formation les décrivant "comme des enfants de 18 à 20 ans qui n'ont pas fait de longues études", contrairement "aux magistrats ou aux professeurs". Si le constat est très factuel, les centrales n'apprécient pas.
Éviter que la fronde policière fasse tache d'huile
"Ces mots sont maladroits, inappropriés et offensants", se fâche Denis Jacob, le secrétaire général du syndicat Alternative police-CFDT. Dans la foulée, Gérald Darmanin rétropédale, assurant n'avoir eu "aucune volonté de blesser".
Pas question donc de donner de nouvelles billes contre lui alors que la fronde policière en cours menace de s'étendre au-delà de Marseille - où des agents sont en arrêt-maladie ou ne prennent que les plaintes "essentielles.
Le ministre n'a pas non plus oublié la grève au sein de la police judiciaire en 2022, la manifestation des policiers devant l'Assemblée nationale ou encore la "marche de la colère" en 2017 qui rassemble pas moins de 27.000 policiers selon les organisateurs à Paris.
"Prendre le temps d'écouter" les policiers
Autant dire que l'opération câlinothérapie ce jeudi soir autour de syndicats à Beauvau tombe à pic.
"On a beaucoup tendu la machine pendant les émeutes, en faisant revenir des policiers de congés. Le dialogue ne s'est jamais rompu mais c'est important de prendre le temps de les écouter", défend le député macroniste Mathieu Lefèvre.
Au risque de susciter à nouveau la controverse. Certaines propositions des centrales ne passent pas dans les rangs de la gauche, de l'exclusion de la détention provisoire pour un agent en mission à la possibilité d'être rémunéré en cas de suspension.
Un remaniement qui a aussi des avantages
Mais Gérald Darmanin a en réalité déjà le regard tourné vers l'après. S'il n'a pas décroché Matignon comme il le souhaitait et qu'aucun de ses soutiens n'est finalement rentré au gouvernement, le ministre de l'Intérieur ne se déclare pas battu pour autant.
Avec un objectif désormais en tête: dépasser son périmètre. Le nouveau casting gouvernemental n'est pas forcément en sa faveur, mais n'est pas si sombre. Son portefeuille a désormais été élargi à la Ville avec sa nouvelle secrétaire d'État Sabrina Agresti-Roubache, lui permettant de s'exprimer largement sur les banlieues.
"Parler de la ville, c'est la rénovation urbaine mais aussi l'adaptation au réchauffement, la question des écoles", sourit un élu local qui l'apprécie.
Cap sur les "classes populaires" à la fin de l'été
Il a également obtenu la tête du ministre délégué à l'Outre-mer Jean-François Carenco remplacé par Philippe Vigier, lui permettant potentiellement d'aller bien plus sur le terrain ultramarin.
"L'Intérieur est un magnifique ministère, mais ça vous marque beaucoup. On ne peut pas rester enfermé dans les sujets police", décrypte l'un de ses proches.
Bien décidé à prendre date pour la présidentielle de 2027, Gérald Darmanin ne devrait pas manquer de faire passer quelques messages lors de sa rentrée politique le 27 août prochain. Direction Tourcoing, la ville qu'il a longtemps dirigée, pour une "après-midi de réflexion" consacrée "aux attentes des classes populaires".