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"Une lutte de chaque instant": ces parents qui tentent de résister à l’emprise des écrans sur leurs enfants

Un jeune garçon concentré sur un smartphone.

Un jeune garçon concentré sur un smartphone. - Flickr - CC Commons - Charlie & Melody W

Smartphones, tablettes, télévisions, consoles: les écrans ont envahi le quotidien des enfants dès le plus jeune âge. Face à ce constat préoccupant, une commission d’enquête parlementaire a proposé une série de mesures pour limiter leur exposition, allant jusqu’à envisager la création d’un délit de négligence pour sanctionner les parents jugés trop laxistes. BFMTV a recueilli le témoignage de parents qui se battent chaque jour contre l’omniprésence des écrans.

"Il y a urgence". Frédéric et sa compagne, démunis face à leurs adolescents de 11 et 17 ans, aimeraient tirer la sonnette d'alarme. Au quotidien, ils ne savent plus quoi faire alors que leurs enfants sont obnubilés par leurs téléphones portables et les réseaux sociaux, parmi lesquels Instagram, Snapchat et évidemment Tiktok.

Depuis quelques mois, le couple originaire de Saint-Raphaël (Var) a commencé à instaurer des règles: ils ont banni les smartphones à table et ils coupent désormais le wifi à partir de 21 heures pour empêcher leurs ados de scroller à l'infini avant de dormir. Des solutions qui montrent vite leurs limites, puisque la 4G et la 5G leur permettent malgré tout de rester connectés.

Ce père de famille, qui a vu grandir ses deux premiers enfants dans les années 1990-2000, se dit aujourd’hui "désemparé" face à ce qu’il considère comme une catastrophe annoncée pour la nouvelle génération. "C’est en train de devenir un véritable problème, et personne ne semble s’en soucier", déplore-t-il.

"Ils n'ont plus aucune discussion"

Une inquiétude partagée par les parlementaires, qui dans un rapport publié le 11 septembre dernier alertaient sur les effets psychologiques néfastes du réseau social chinois. "Cette plateforme expose délibérément nos enfants et nos adolescents à des contenus toxiques, dangereux et hautement addictifs", soulignent-ils.

Le document entend aussi "interroger la responsabilité des parents" et propose plusieurs mesures fortes: interdire l’accès aux moins de 15 ans, instaurer un couvre-feu numérique à partir de 22 heures, ou encore créer un "délit de négligence numérique" pour sanctionner les parents laissant leurs enfants naviguer librement sur internet, et notamment sur les réseaux sociaux.

Une mesure critiquée, à la fois car elle difficile à appliquer mais aussi parce que même avec la meilleure volonté du monde, les parents se retrouvent parfois démunis face à l'addiction aux écrans de leur progéniture. C'est le cas de Frédéric, qui ne sait plus sur quel pied danser avec ses beaux-enfants adolescents.

Une fillette en train de jouer à un jeu vidéo sur tablette.
Une fillette en train de jouer à un jeu vidéo sur tablette. © Flickr - CC Commons - Nicolas Duprey

Le soir après l'école, les deux jeunes montent directement dans leur chambre et ils scrollent sur leur téléphone jusqu'au soir, où ils ne les voient pas jusqu'au dîner. Dernièrement, le couple a dû interdire le téléphone à table, au risque de perdre toute communication avec eux. "C'est un calvaire, on est en train d'en faire des asociaux: ils n'ont plus aucune discussion, leur vie sociale tourne autour des vidéos Tiktok qu'ils se partagent", s'alarme le quinquagénaire.

Pour autant, le beau-père trouve ça difficile de leur interdire complètement l'accès aux réseaux sociaux, inhérents à leur époque. "C'est difficile de faire la part des choses car d'un côté c'est leur génération. Aujourd'hui tout se passe sur internet, on nous matraque de partout", reconnaît Frédéric, partagé sur la stratégie à adopter.

"Quand il n'a pas sa dose de vidéos, il est très insistant"

Christel a décidé de faire l'inverse avec son fils de 11 ans. Henri n'a jamais eu de téléphone portable, et il n'a droit qu'à une demi-heure de télévision par jour. Malgré tout, cela ne l'empêche pas d'être "très demandeur", au grand désespoir de sa mère. "Petit, je ne l'ai pas habitué à ça: il ne me voit pas particulièrement devant les écrans, je l'encourage à lire, faire des activités créatives, sortir... mais rien n'y fait. Il me le dit: il préférera toujours regarder une vidéo au reste".

"Quand il n'a pas eu sa dose de vidéos, il est très insistant", s'inquiète la mère de famille. "Il revient à la charge tout le temps, comme un addict. Pour lui c'est une façon facile de passer le temps et s'il pouvait passer ses journées devant un écran, il le ferait je pense. Une fois devant, il est comme happé par l'écran".

Cette professeure de lettres près de Lyon regrette de devoir être en conflit permanent avec son fils à ce sujet. "Ça demande de la ressource!", reconnaît cette mère célibataire, pour qui "il faut accepter de se disputer avec son enfant pour son bien, et ça tous les jours de sa vie". C'est difficile de devoir dire non, répéter, de faire face à son mécontentement puis à une heure de bouderie. Mais je tiens bon!", sourit-elle, un peu las.

"On est là pour les éduquer, les préserver mais ça n'est pas vraiment pas si facile, et on a pas tous les ressources", défend Christel. "Ça demande énormément de temps et d'énergie".

Un constat partagé par Solène Murphy. Cette mère de famille de 35 ans, sophrologue à Orléans, veille à minuter le temps d'écran de ses jumeaux de 10 ans depuis leur plus jeune âge. Conformément aux recommandations publiques, ils n'ont jamais été exposés à un écran avant leurs trois ans, et désormais ils ont droit à une heure de vidéos une fois de temps en temps, mais jamais les soirs de veille d'école ni le matin avant de partir.

"Du mal à les faire raccrocher à la vie réelle"

À force de voir le comportement de leurs enfants changer après avoir joué aux jeux vidéo ou consommé des vidéos Youtube, le couple a décidé d'imposer des règles strictes, qu'ils sont amenés à adapter régulièrement. "Chez nous pas de téléphone à table, et quand on est sur le canapé pour regarder un film, personne n'a de téléphone".

"À force, ils ont compris que les écrans, c'était, de temps en temps, plus en forme de récompense que vraiment une activité qu'on pouvait faire quand on s'ennuyait", explique Solène.

"On a mis ça en place parce qu'on s'est rendu compte avec mon mari qu'après plusieurs vidéos, on avait du mal à les faire raccrocher à la vie réelle en fait. En terme de nervosité ce n'était plus les mêmes: ils étaient dans leur bulle, plus énervés voire agressifs. Ils avaient aussi une espèce d'abattement, comme si la vie leur paraissait plus fade à côté de tout ce qu'ils voyaient sur YouTube, puisqu'on le sait ces contenus sont très stimulants".

Les enfants face aux écrans
Les enfants face aux écrans © Julio Cesar AGUILAR / AFP

Une des solutions trouvées par le couple est de faire l'effort de s'intéresser aux contenus regardés par l'enfant de manière à ne pas couper le lien entre le réel et leur monde numérique. "Même si les contenus consommés par vos enfants sont à 1.000 lieux de ce qui vous intéresse, je vous conseillerai de faire semblant de vous y intéresser afin de pouvoir échanger avec eux".

"Il faut leur montrer qu’avec nous, ils peuvent parler de tout, sans jamais craindre d’être jugés. Si on se contente de leur répéter 'TikTok ou Insta, c’est nul, ça ne sert à rien', ils finiront par se refermer, s’enfermer dans leur algorithme et perdre le lien avec le réel. Car s’ils ont le sentiment de ne pas pouvoir échanger avec leurs parents (faute de sujets communs et faute d’écoute), alors l’écart se creuse et le dialogue s’éteint."

Le matin, lorsqu’ils se réveillent trop tôt, les enfants ont pris l'habitude de jouer aux Lego ou se plongent dans leurs lectures. La limitation des écrans a eu un effet inattendu: ils ont développé une véritable passion pour les bandes dessinées. Le budget familial passe donc volontiers dans l’achat d’albums ou d’abonnements à des revues, afin qu’ils reçoivent chaque mois de nouvelles histoires à découvrir. Une manière de nourrir leur curiosité tout en instaurant une habitude de lecture.

"La solution de facilité" pour certains parents

Néanmoins la mère de famille, qui a dû se former elle-même au sujet de l'addiction aux écrans, de la dopamine et de la psychologie de l'attention, ne comprend pas pourquoi ces problématiques n'ont jamais été abordées par l'établissement scolaire. Selon elle, la prévention devrait avant tout cibler les parents. Car ceux qui laissent leurs enfants longtemps devant un écran sont souvent des parents épuisés, contraints de négocier en permanence avec ce qui s’apparente à une addiction.

Une étude de l'Insee datant de 2021 révélait d'ailleurs que 15% des adultes de plus de 15 ans étaient en situation d'illectronisme, c'est-à-dire la difficulté, voire l'incapacité à utiliser ou créer des ressources numériques en raison d'un manque ou d'une absence totale de connaissances à propos de leur fonctionnement.

"Punir les parents, pour moi, ce n'est pas la solution car beaucoup laissent faire car ils ont besoin de leur tranquillité le soir", corrobore Frédéric, qui reproche souvent cette attitude à sa compagne. Il explique que pour elle à la sortie du travail, "c'est une sortie de secours en quelque sorte". "Pendant qu'il est sur son tél, il m'emmerde pas", lui répond-t-elle souvent.

"Sevrer son enfant d'un écran, c'est trois jours de crise non-stop, c'est dur. Donc je peux comprendre que pour des parents qui ont des journées de boulot intensives avec d'autres enfants à gérer, ce soit la solution de facilité".

"C'est pourtant tout aussi important que parler de nutrition, de lecture, de sport, parce qu'en fait les réseaux sociaux sont rentrés dans nos quotidiens de façon si insidieuse qu'on ne se rend pas compte de leurs dangers. C'est tellement venu petit à petit qu'on ne mesure pas forcément l'impact qu'ils ont sur nous".

Un atelier de sensibilisation à l'école lancé dans l'Oise

Mais si les initiatives de sensibilisation sont encore relativement rares à l'échelle nationale, elles ne sont pas inexistantes. Dès le début 2026, 2.500 élèves de CM2 de plusieurs écoles volontaires de l'Oise vont être sensibilisés au numérique, notamment à leur identité numérique, par plusieurs acteurs dont la Cnil, l'Association pour le développement et l'innovation numérique (Adico) en lien avec l'Education nationale, comme le rapportaient nos confrères du Courrier Picard.

Cette intervention de 45 minutes a été imaginée par Emmanuel Vivé, directeur de l'Adico, inspiré par son expérience personnelle de père. "À titre individuel, quand mon 4e enfant est arrivé en classe de 5e au collège, j'ai observé une bascule complète", confie à BFMTV ce père, qui raconte avoir mis en place des verrouillages et limitations de temps d'écran afin d'encadrer les usages de son petit dernier.

Une adolescente sur son smartphone
Une adolescente sur son smartphone © ROBIN UTRECHT / ANP MAG / ANP via AFP

"À l’école primaire, certains enfants possèdent déjà un téléphone, mais l’usage reste limité et relativement encadré. Tout bascule à l’entrée en sixième: le portable devient alors la norme, notamment avec l'argument qu'ils doivent avoir accès à l'ENT pour les devoirs et les notes. Plus personne ne se cache, et, très vite, plus personne ne contrôle vraiment rien".

Les interventions, menées en binôme par un inspecteur et un délégué à la protection des données, concerneront une centaine d’établissements. L'idée de ces ateliers, selon Emmanuel Vivé, est de faire naître "une prise de conscience des élèves comme des parents sur les risques liés au numérique", avec un questionnaire de la CNIL permettant de cibler et de comprendre les usages des élèves.

Chaque enfant repartira avec du matériel ludique et pédagogique: livret illustré, jeux, affiche et charte du numérique à afficher en classe. Les enseignants, eux, s’engagent à prolonger la discussion avec leurs élèves. Enfin, une enquête auprès des familles viendra mesurer l’impact de l’opération. L’objectif est d'installer une culture de la prévention numérique, au même titre que la nutrition, le sport ou la lecture.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV