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Une "situation pire qu'escomptée": la commission d'enquête sur Tiktok préconise l'interdiction aux moins de 15 ans

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Dans son rapport sur les effets psychologiques des réseaux sociaux sur les mineurs, la commission parlementaire dresse un état des lieux sombre et dénonce l'application qui "expose en toute connaissance de cause" les jeunes à des contenus dangereux. Elle énumère enfin différentes propositions pour mieux réguler Tiktok, et l'ensemble des réseaux sociaux.

Pour Tiktok, c'est bientôt l'heure de rendre des comptes. La commission parlementaire sur les effets psychologiques de l'application sur les mineurs a dévoilé son rapport, adopté à l'unanimité, jeudi 11 septembre. Il dresse le tableau d'une plateforme exposant "en tout connaissance de cause" les enfants à des contenus dangereux.

"À l’issue de cette commission d’enquête, le verdict est sans appel: cette plateforme expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, addictifs", observe Arthur Delaporte (PS), président de la commission, dans son avant-propos.

Tiktok "exploite les vulnérabilités des mineurs"

Pendant six mois, les 30 députés ont tenté d'étudier les logiques derrière Tiktok et ses répercussions psychologiques sur les enfants et les adolescents. Pour cela, les membres de la commission ont auditionné près de 180 personnes à travers plus de 90 heures d'audition. "Le constat est encore pire qu’escompté", déplore le député du Calvados. "La plateforme favorise, par les mécanismes de viralisation des contenus problématiques, la diffusion d’idéologies politiques négatives et contraires aux droits humains."

A l'issue de ces mois de travail, la rapporteur, Laure Miller (EPR) dresse un bilan sombre de l'application. L'algorithme de recommandation de Tiktok, au coeur des auditions, est particulièrement décrié. Le rapport souligne un consensus fort dans la communauté scientifique concernant les effets de l’utilisation des réseaux sociaux sur la santé mentale des mineurs.

Selon les rapporteurs, ces plateformes, et plus particulièrement Tiktok, exploitent les vulnérabilités psychologiques des moins de 18 ans, comme la "dépendance, la sédentarité ou le manque de sommeil". Parallèlement, elles renforcent des "dynamiques sociales délétères" comme la comparaison sociale et amplifient les vulnérabilités psychologiques existantes. Selon les députés, un "lien de corrélation clair" apparaît entre la "dégradation de la santé mentale" des jeunes et une "utilisation intensive des réseaux sociaux". Un constat bien plus marqué chez les jeunes filles.

Et les conséquences de cet algorithme peuvent être dramatiques. Comme le notait FranceInfo en mars dernier, 11 familles françaises ont assigné Tiktok en justice, reprochant au réseau social d’avoir recommandé à des mineurs des vidéos promouvant le suicide, l’automutilation ou les troubles alimentaires.

Le "cynisme et la dangerosité" des influenceurs

Si les plateformes ont "connaissance des risques inhérents à l’utilisation des réseaux sociaux", elles ne prennent pas le soin d’en informer le public, affirme le rapport. Le 12 juin dernier, plusieurs responsables de la modération de Tiktok et des représentants de la plateforme ont en effet été entendus par la commission d'enquête. Tous avaient botté en touche ou éludé la majorité des questions, finissant par admettre à demi-mot des "trous dans le système de modération".

"Des dizaines de questions sont restées sans réponse sous de faux prétextes, et lorsque nous obtenions des réponses elles restaient parcellaires, quand elles n’étaient pas à côté de la plaque ou de simples copier-coller des rapports de transparence", déplore Arthur Delaporte, qui souligne une "forme de mépris de l’entreprise".

Malgré l'engouement médiatique autour des auditions des influenceurs, le rapport évoque peu leurs témoignages. Le 10 juin dernier, Alex Hitchens, AD Laurent, Julien et Manon Tanti avaient été entendus par la commission. Des échanges qui ne se sont pas toujours bien déroulés. L'influenceur masculiniste Alex Hitchens avait claqué la porte de la commission, agacé par les questions du président.

Pour Laure Miller, ces auditions ont "confirmé le cynisme et la dangerosité" de certains influenceurs face au laisser-aller des plateformes, dénonce-t-elle dans un communiqué de presse.

"Ces auditions et la médiatisation qui les a entourées ont cependant permis de mettre en lumière les travaux de la commission (...) et de faire connaître au grand public, et notamment aux parents, les types de contenus auxquels leurs enfants pouvaient être confrontés", note le communiqué de presse.

Interdire les plateformes aux moins de 15 ans

Parallèlement à ses observations, Laure Miller liste un arsenal de propositions pour mieux réguler Tiktok, et plus largement l'ensemble du secteur des réseaux sociaux.

Longtemps évoquée, la possibilité d'interdire Tiktok n'est pas recommandée par le rapport. C'est par exemple le choix fait par les Etats-Unis, où l'avenir de la plateforme est menacé. Les députés soulignent de leur côté que cette mesure serait "inefficace" et "fragile" juridiquement.

D'autant que d'autres applications similaires pourraient facilement voir le jour. Pour protéger les plus jeunes, les députés préconisent, entre autres, d'interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Ils proposent également d'introduire un couvre-feu numérique pour les réseaux sociaux de 15 à 18 ans, entre 22h et 8h, de généraliser le dispositif "portable en pause" dans les écoles, "d'imposer une diversification des contenus recommandés" ou encore de renforcer les possibilités de l'utilisateur de paramétrer son propre algorithme.

Mais la plupart de ces propositions se heurtent à de nombreux obstacles, notamment juridiques. Que cela soit pour le couvre-feu numérique ou l'interdiction des réseaux aux moins de 15 ans, le gouvernement ne peut pas imposer ses règles sans l'aval de la Commission Européenne. Les députés de la commission ont conscience de cette barrière. Le rapport recommande ainsi de "maintenir la pression" sur l'Union européenne, seule véritable décisionnaire. Mais une convergence des luttes n'est pas non plus à exclure. Le 10 septembre, lors de son discours sur l'état de l'Union européenne, Ursula von der Leyen a en effet déclaré que l'Europe pourrait interdire l'accès aux réseaux sociaux au moins de 16 ans, comme c'est le cas en Australie.

Sur le volet juridique, les députés préconisent de réfléchir à un changement de statut des plateformes. Juridiquement considérées comme hébergeurs, les députés aimeraient qu'elles basculent vers un statut d'éditeur. Enfin, le rapport insiste sur l'importance de financer des études pour mieux étudier les effets des réseaux sur les jeunes.

Salomé Ferraris, Sophie Cazaux, Raphaël Grably