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Rapport TikTok; la création d'un "délit de négligence numérique" pourrait intervenir dans les trois ans pour responsabiliser les parents

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les effets psychologiques de la plateforme TikTok sur les mineurs, présenté à l'Assemblée nationale, le 11 septembre 2025 à Paris

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les effets psychologiques de la plateforme TikTok sur les mineurs, présenté à l'Assemblée nationale, le 11 septembre 2025 à Paris - Bertrand GUAY © 2019 AFP

Alors que le rapport parlementaire sur les effets de Tiktok sur les jeunes utilisateurs secoue le pays, certaines propositions présentées choquent au premier rang desquelles la création d'un "délit de négligence numérique". Laure Miller, députée et rapporteure de la commission, explique comment et quand ce délit pourrait être créé et intervenir.

Un séisme à la hauteur de la charge. Rendu public aujourd'hui, 11 septembre 2025, le rapport de la commission parlementaire sur les effets psychologiques de Tiktok sur les mineurs fait l'effet d'une bombe. Autant par la situation dépeinte, "cette plateforme expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, addictifs", observe ainsi Arthur Delaporte (PS), président de la commission dans son avant-propos, que par les solutions préconisées en réaction.

"Interroger la responsabilité des parents"

Adopté à l'unanimité des députés de la commission transpartisane, le rapport recommande ainsi l'interdiction de la plate-forme au moins de 15 ans, ainsi qu'un couvre-feu, qui serait mis en place à partir de 22 heures, pour les utilisateurs qui ne sont pas encore majeurs. Des recommandations qui posent beaucoup de questions aussi bien techniques que légales. Mais une des propositions fait encore davantage réagir, la création "délit de négligence numérique". Autrement dit, un système qui pourrait mener des parents devant la justice s'ils ne font pas en sorte de protéger leurs enfants du piège que peut devenir Tiktok.

"L'idée est d'interroger la responsabilité des parents", explique Laure Miller (députée Ensemble pour la République, ERP), rapporteure des travaux de la commission, lors de la publication du rapport. "J'ai été frappée par les messages que j'ai reçus sur les réseaux.", explique-t-elle. "Tout le monde avait un avis extrêmement tranché. Soit c'était les plateformes qu'il fallait absolument sanctionner, soit les parents."

La députée ERP semble penser qu'il ne faut négliger aucune piste, et affirme: "On doit être responsable et tenu responsable de ce qu'on met entre les mains de son enfant. C'est un volet à ne pas négliger."

Partir de l'existant...

De cette position, qui renvoie les parents à leurs responsabilités légales et d'éducateurs, naît une question. Comment mettre les responsables légaux face à leurs obligations? "Aujourd'hui, il existe déjà un délit de négligence tout court", commence Laure Miller. "On doit protéger son enfant dans sa santé, sa moralité, sa sécurité. Ca fait déjà partie de la loi française".

Evidemment, la négligence est une affaire de nuance et de décision judiciaire en dernier recours. "Si vous nourrissez mal votre enfant, si vous n'allez pas le rechercher à l'école. Tout ça peut constituer une négligence, mais c'est au juge de le décider en fonction des faits qu'il a devant les yeux.", met en perspective la rapporteure, qui ne veut pas "fixer de limite précise dans la loi". L'idée n'est pas d'écrire noir sur blanc que "au-delà de 30 minutes, c'est de la négligence", explicite-t-elle. Autrement dit, l'objectif n'est pas de créer une police des bons et mauvais parents, un couperet qui se déclenche systématiquement et empiéterait par sa mise en place et par son exécution sur les libertés de chacun.

Pour Laure Miller, "l'idée est de pouvoir élargir cette forme [déjà existante, NDLR] de négligence", en l'ouvrant à des notions de sécurité et de moralité de l'enfant. "Si jamais un enfant de six ans passe sept heures par jour devant Tiktok, on peut se poser la question: 'est-ce que sa sécurité et sa moralité sont réellement protégées par les parents?'.", illustre-t-elle, de manière volontairement outrancière pour signifier que le texte final devra lui être bien plus nuancé.

Un processus long qui commencera par un travail pédagogique

Le délit de négligence fait partie des propositions validées. Mais son application et sa forme sont toujours "à débattre", commente la députée ERP, qui a surtout bien conscience que cette sanction ne peut pas et ne doit pas être mise en place immédiatement, sans un travail préliminaire.

"Dans le rapport, je préconise de réfléchir à cette sanction dans les trois ans", rappelle-t-elle. Pourquoi un tel délai, parce qu'avant d'en arriver au bâton, un chantier colossal est à mettre en route et à mener à bien. La rapporteure de la commission, qui déclarait le 11 septembre 2025 à l'antenne de RMC et sur RMC Story, comprendre que l'idée d'un délit "puisse choquer", précise bien qu'il faudra d'abord mener une opération de "sensibilisation massive de l'ensemble de la population", afin que personne ne "puisse dire ‘je ne savais pas’".

Maintenant que le rapport est remis, le travail des législateurs, qui s'inscrit dans un temps long, commence donc. Une "phase de concertation" va débuter avec des ajustements dans "les nuances", avant un éventuel dépôt de projet de loi devant la premier ministre va donc commencer.

Reste en attendant que ces trois ans soient passés, à voir comment l'Assemblée nationale va agir contre Tiktok et également et surtout faciliter le travail des parents. Si nul n'est censé ignorer la loi, il est essentiel de donner les outils aux parents pour qu'ils puissent mener à bien leur rôle d'éducateurs, face à des services et médias qu'ils ne maîtrisent pas toujours et dont ils ne mesurent pas toujours les effets.

Rappelons qu'une étude de l'Insee de 2021 sur la question indiquait que 15% des adultes de plus de 15 ans sont en situation d'illectronisme, tandis qu'une autre étude réalisée par la Crédor pour l'Arcep, le CGE et l'Arcom, en 2022, pointait que 48% des Français "éprouvent au moins un frein qui les empêche d'utiliser pleinement les outils numériques".

Pierre Fontaine, avec Salomé Ferraris