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Entre Édouard Philippe et François Bayrou, une relation glaciale depuis 20 ans

Richard Ferrand, Édouard Philippe et François Bayrou, le 30 mars 2019 à Paris

Richard Ferrand, Édouard Philippe et François Bayrou, le 30 mars 2019 à Paris - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

L'ex Premier ministre a attaqué au vitriol François Bayrou le week-end dernier. Piqué, le Premier ministre n'a pas manqué de lui répondre. Mais l'inimitié entre les deux hommes n'a rien de nouveau et pourrait encore s'accélérer en mettant le cap vers la présidentielle de 2027.

Édouard Philippe aurait-il oublié que ses députés appartiennent au bloc commun et qu'il a deux ministres dans le gouvernement de François Bayrou? La question se pose alors que l'ex Premier n'a pas hésité à griffer le Premier ministre le week-end dernier.

"Ça a tapé très fort ces derniers jours. Je crois qu'on ne s'y attendait pas trop et qu'on a tous trouvé ça pas au niveau", s'agace un député Renaissance auprès de BFMTV.com

Passes d'armes sur les retraites et le rythme des réformes

Première salve samedi 15 mars dans les colonnes du Figaro. Le maire du Havre explique trouver "totalement hors-sol" le cycle de concertations entre syndicats et patronat lancé par François Bayrou pour discuter de la réforme des retraites qui fait passer l'âge de départ de 62 ans à 64 ans.

Réponse du locataire de Matignon le lendemain sur France inter: j'ai "une divergence avec Édouard Philippe", qui "considère que la démocratie sociale et les partenaires sociaux, c'est négligeable".

Seconde pique au même moment pour son prédécesseur, en plein meeting à Lille. L'ancien chef du gouvernement se dit "effaré" par "le contraste" entre l'urgence du réarmement militaire prônée par Emmanuel Macron et le débat sur les retraites "totalement dépassé".

Le tout quelques semaines après des propos du patron d'Horizons qui jugeait à Bordeaux que "nous ne ferons rien de décisif dans les deux ans qui viennent" du fait de l'absence de majorité parlementaire.

"L'idée que nous sommes condamnés à l'impuissance est pour moi antinationale", lui avait répondu François Bayrou, sans le nommer directement, dans La Tribune dimanche.

"Philippe ne fait que dire ce qu'on pense tous"

L'expression a suscité l'ire des proches d'Édouard Philippe qui jugent donc que le week-end dernier, l'ancien Premier ministre n'a fait que rendre la monnaie de sa pièce au locataire de Matignon.

"Moi, quand j'ai dîné avec le président la semaine dernière, je lui ai dit qu'on ne faisait qu'occuper les députés. Philippe n'a fait que dire ce qu'on pense tous. On a le droit de le dire quand même", tance le député Horizons Xavier Albertini.

Commentaire du député Modem Philippe Vigier, très proche de François Bayrou: "ce n'est pas correct de mettre de la friture sur la ligne comme ça".

Tensions en vue d'un éventuel match en 2027 entre le centriste et le maire du Havre? Vraies divergences de fond? Si les relations entre l'actuel Premier ministre et son prédécesseur se sont manifestement rafraîchies ces dernières heures, elles n'ont jamais été au beau fixe.

Désaccord dès la création de l'UMP

Dès 2002, Édouard Philippe, tout juste sorti de l'ENA, se rapproche d'Alain Juppé qui planche sur le lancement de l'UMP, l'ancêtre des LR, et tente d'y arrimer l'UDF, alors dirigée par François Bayrou. Le jeune conseiller d'État regarde alors avec étonnement le centriste, jusqu'ici toujours allié avec la droite, prendre au fur et à mesure ses distances.

Au point d'envisager un accord avec la candidate socialiste Ségolène Royal dans l'entre-deux-tours en 2007 puis de soutenir publiquement François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012.

Sept ans plus tard, alors que François Bayrou se considère comme l'architecte de la victoire d'Emmanuel Macron qu'il a rejoint en février 2017, il voit Matignon lui échapper au profit d'Édouard Philippe.

"Ils avaient des parcours très différents. Bayrou s'était déjà présenté trois fois à la présidentielle. Il jugeait que Macron lui devait en partie sa victoire. Philippe, lui, personne ne le connaissait, il avait tout à prouver", se rappelle un compagnon de route du Modem.

Recadrage en règle

Charge donc au tout nouveau Premier ministre d'installer rapidement son autorité et c'est chose faite quelques jours à peine après son arrivée à Matignon et un coup de fil courroucé de François Bayrou auprès de journalistes de Radio France.

"Quand on est ministre, on ne peut plus réagir comme quand on est un simple citoyen", lui fait alors publiquement savoir Édouard Philippe.

Quand, à peine cinq petites semaines après son arrivée au gouvernement, le centriste, sous le coup d'une enquête préliminaire, démissionne, Édouard Philippe ne verse pas des larmes de crocodile. Tout juste se contente-t-il dans un communiqué de presse de "prendre acte" de son départ.

Pendant plusieurs années, les échanges entre les deux hommes se font rares. Jusqu'à ce que la présidentielle de 2022 se rapproche. En septembre 2021, le centriste relance son projet de longue date, celui d'un grand parti démocrate qui serait une sorte de maison commune accueillant le Modem et Renaissance.

Haro contre Macron

L'objectif: s'assurer d'avoir le plus de circonscriptions gagnables aux législatives tout en permettant à la macronie de montrer qu'elle est capable de faire vivre différentes sensibilités.

L'ex-chef du gouvernement, lui, lance son propre mouvement Horizons et loin du dépassement promis par Emmanuel Macron, s'entoure de maires LR et appelle à avoir ses propres députés qui ne siègeraient pas dans le groupe macroniste à l'Assemblée.

Après des législatives catastrophiques pour le camp présidentiel, les deux hommes lâchent leurs coups contre Emmanuel Macron, Édouard Philippe sur "le volcan de la dette" dans un entretien à Challenges et François Bayrou sur son refus de l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution.

"Vous remarquerez quand même que l'un s'attaque à un sujet symbolique alors que l'autre se projette dans l'avenir du pays", tance un proche d'Édouard Philippe.

Choc des ambitions

Mais la dissolution met fin aux intérêts communs. Au lendemain de la dissolution de l'été 2024 qui tourne au fiasco, le maire du Havre accuse le chef de l'État d'avoir "tué la majorité présidentielle" quand François Bayrou le trouve "courageux".

Mais c'est surtout autour de la présence d'Édouard Philippe à un dîner avec Marine Le Pen en décembre 2023, révélée par Libération à l'été 2024, que les divisions se font à nouveau jour. François Bayrou voit dans ces agapes "un mauvais signal". Réponse de l'ancien Premier ministre: "je rencontre et je dîne avec qui je veux".

"Édouard Philippe a une liberté très forte, c'est certain. Leurs histoires ne les conduisent pas à être d'accord", reconnaît le député Modem Sylvain Berriot.

"Ils ont des tempéraments différents mais des ambitions pour 2027. C'est assumé pour Philippe, moins pour Bayrou. Comment ne voulez-vous pas que cela explose à un moment?", philosophe un sénateur macroniste.

Il faut dire que l'ex Premier ministre a tout intérêt à se mettre en scène comme celui qui souhaite porter des réformes tous azimuts alors que l'agenda de François Bayrou est pour l'instant plutôt calme au Parlement.

"Attention à ne pas pousser trop loin la rupture"

Tout juste est-il inscrit à l'ordre du jour les débats déjà en cours sur le narcotrafic à l'Assemblée, la loi fin de vie et enfin le changement de scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille.

Très loin d'Édouard Philippe qui prône pour 2027 une "dose de capitalisation" dans le système de retraites et le recours à des ordonnances "pour la justice, l'éducation, la santé" "qui doivent être considérablement réformées".

"Attention quand même à ne pas pousser trop loin la rupture. Je ne suis pas sûr que les électeurs de droite lui pardonneraient s'il fragilisait trop Bayrou au point de le mettre en danger et de le faire tomber", le met en garde un député Renaissance.

Le centriste et le maire du Havre vont avoir l'occasion de mettre les choses au clair. À l'initiative de François Bayrou, les deux hommes vont se voir cette semaine.

Marie-Pierre Bourgeois