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"On l'attend au tournant": Sébastien Lecornu peut-il obtenir la bienveillance du RN pour tenir à Matignon?

Sébastien Lecornu à Paris le 10 septembre 2025

Sébastien Lecornu à Paris le 10 septembre 2025 - LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Le Premier ministre entretient des relations cordiales avec Marine Le Pen, avec qui il a dîné à plusieurs reprises. Mais dans les rangs des députés du Rassemblement national, on brandit déjà la menace de la censure. Charge à Sébastien Lecornu de tenter d'inverser la vapeur. Dans le camp présidentiel, pas grand-monde n'y croit vraiment.

Un troisième Premier ministre en à peine un an, prêt à connaître le même destin que Michel Barnier et François Bayrou? À peine nommé à Matignon, la partie s'engage mal pour Sébastien Lecornu. Accueilli très sévèrement par la gauche, qui menace déjà de le censurer, le nouveau locataire de Matignon pourrait être très tenté de regarder vers le Rassemblement national et ses alliés d'Éric Ciotti.

Avec ses 138 députés, le bloc de l'extrême droite peut peser lourd et permettre de voter un budget, soit en s'y associant ou, plus probablement, en s'abstenant et ainsi d'éviter à Sébastien Lecornu de tomber sur une motion de censure, dans un contexte budgétaire particulièrement délicat.

"Le même sort que ses prédécesseurs"

Emmanuel Macron n'a d'ailleurs pas fait mystère du cap fixé: son nouveau chef de gouvernement doit parvenir à "la stabilité politique et institutionnelle". Mais pour l'instant, les troupes de Marine Le Pen ne semblent pas disposées à lui faire de cadeau.

"S'il continue d'appliquer la politique d'Emmanuel Macron, cela ne va rien changer pour nous. Les mêmes causes produiront les mêmes effets", tance le député RN José Gonzales auprès de BFMTV.

Même son de cloche pour son collègue Yoann Gillet. "S'il ne tourne pas la page du macronisme, il connaîtra le même sort que ses prédécesseurs", nous explique ce porte-parole du Rassemblement national.

Marine Le Pen a de son côté déjà jugé qu'Emmanuel Macron avait "tiré la dernière cartouche du macronisme". Quant au dirigeant du mouvement Jordan Bardella, il a évoqué des "lignes rouges" dans la foulée de la nomination de Sébastien Lecornu, avant d'indiquer ce mercredi lors d'un déplacement à Strasbourg que ce sera "la rupture ou la censure".

Pas de "baguette magique"

Pour trouver d'éventuels points de négociation sur le budget 2026, il faut remonter à dimanche dernier lors de la rentrée politique de l'ex-candidate à la présidentielle à Hénin-Beaumont, à la veille de la chute inéluctable de François Bayrou. Elle les avait déjà évoqué quelques semaines plus tôt dans un courrier adressé au centriste, alors toujours Premier ministre.

Baisse de la "contribution de la France à l'Union européenne", "réduction du train de vie de l'État", "lutte contre la fraude sociale et fiscale", pas d'augmentation d'impôts... Marine Le Pen dresse une liste aux contours plutôt flous, pas franchement propice à des négociations budgétaires qui se jouent souvent sur des points très concrets.

"La vérité, c'est que s'ils veulent nous censurer, ils le feront, lignes rouges ou non" reconnaît un député macroniste, qui ne voit pas Sébastien Lecornu "avoir une baguette magique" pour sortir de la crise politique.
Les Experts : Sébastien Lecornu à Matignon, barre à droite toute - 10/09
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Dîners et amendements

Pourtant, si quelqu'un peut obtenir une relative bienveillance du RN et s'éviter une censure, c'est bien Sébastien Lecornu. Celui qui a fait toute sa carrière en politique ne fait pas partie de ceux qui refusent d'échanger avec Marine Le Pen.

Le nouveau Premier ministre a dîné à plusieurs reprises avec elle dans un cadre privé. Il était par exemple présent en décembre 2023 lors des agapes entre Édouard Philippe et la cheffe du file du RN au domicile de son ami Thierry Solère, un intime d'Emmanuel Macron.

Resté conseiller départemental de l'Eure après avoir dirigé pendant quelques années le département, le nouveau Premier ministre peut aussi se targuer d'avoir noué des contacts de longue date avec les élus de terrain du RN qui compte pas moins de 4 députés sur 5 dans son territoire.

De quoi leur permettre d'obtenir la prise en compte de leurs amendements dans la loi de programmation militaire portée par Sébastien Lecornu lorsqu'il était ministre de la Défense en 2023 - une première pour le parti à la flamme. Sans manifestement changer la donne.

"Certes, c'est quelqu'un de cordial et il n'est pas sectaire, pas plus que François Bayrou. Mais il ne suffit pas de nous taper dans le dos pour qu'on signe les yeux fermés un budget", tance un proche de Marine Le Pen.

La dissolution dans le viseur

Le député Kevin Mauvieux, élu du même département que Sébastien Lecornu, lui voit cependant une chance de tenir grâce à la stratégie de "l'anguille".

"Il était un LR convaincu avant de devenir un macroniste convaincu. Peut-être qu'il va faire encore faire l'anguille quand il se rendra compte que l'avenir, c'est nous. Mais s'il veut passer un mauvais budget pour les Français, on l'attendra au tournant", le met en garde le député de l'Eure.

Mais peut-être plus que le budget présenté par Sébastien Lecornu, c'est surtout la stratégie choisie par le RN qui devrait peser dans la balance. Pour espérer pousser Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale, le parti à la flamme doit faire tomber Sébastien Lecornu.

Le chef de l'État, qui se retrouverait à nouveau en première ligne, serait probablement contraint de convoquer de nouvelles élections législatives. Avec l'espoir pour le RN d'augmenter nettement son nombre de députés et d'obtenir l'arrivée à Matignon de Jordan Bardella.

Le va-tout de Marine Le Pen

La présidente des députés RN a beau être sous le coup d'une peine d'inéligibilité immédiate qui l'empêche de se présenter à toute future nouvelle élection, elle veut à tout prix pouvoir se représenter devant les électeurs. Un procès en appel aura lieu à partir du mois de janvier prochain. Mais l'élue du Pas-de-Calais veut accélérer le tempo.

En cas de nouvelles législatives, la préfecture devrait en effet refuser d'enregistrer sa candidature. Pour y parvenir, elle a déjà annoncé qu'elle déposerait une question prioritaire de constitutionnalité avec l'espoir de forcer les juges du Conseil constitutionnel à se prononcer sur l'existence des peines d'inéligibilité immédiate.

La méthode, à l'issue très incertaine, pourrait éventuellement lui permettre d'y voir plus clair et de savoir si elle pourra ou non se présenter à des législatives anticipées et par ricochet à la prochaine présidentielle en 2027.

"On est dans des calculs qui n'ont plus rien à avoir avec Sébastien Lecornu ou le budget, mais directement avec l'avenir de Marine Le Pen. Et là, je ne vois pas comment on peut la faire sortir de ce type de raisonnement", regrette un député Renaissance.

Marie-Pierre Bourgeois