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Au gouvernement, la saison des ralliements à Macron est lancée

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, le 10 mai 2016.

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, le 10 mai 2016. - Bertrand Guay - AFP

Dans une interview accordée à Ouest France ce vendredi, le ministre de la Défense annonce son ralliement à Emmanuel Macron. Il a agi conformément aux consignes de François Hollande qui avait fixé au 24 mars, la date à laquelle ses ministres pourraient "faire campagne". Ils pourraient le prendre au mot.

C'est fait. Jean-Yves Le Drian annonce ce vendredi matin son soutien à Emmanuel Macron dans la perspective de la présidentielle dans les colonnes de Ouest France. Il a agi ainsi en "hollandais fidèle" car le président de la République avait édicté, il y a quelques jours, la règle suivante: "A partir du 24 mars, il y aura la possibilité pour les ministres de faire campagne. (...) Ils pourront dire ce qu’ils veulent faire dans cette période très importante qui est le choix du prochain président de la République", avait-il développé le 9 mars en marge d'une réunion du Conseil européen. 

Le 24 mars, horizon fixé aux ministres tentés par Macron

Ce jeudi, dans les allées du Salon du Livre, François Hollande s'est abstenu de commenter la démarche de son ministre, rappelant que l'échéance avait été respectée: "J’ai laissé les ministres, à partir de la fin de la semaine, exprimer leur choix. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire." François Hollande avait d'ailleurs fait de cette règle une loi d'airain au moment où, il y a quelques jours, Jean-Yves Le Drian lui confiait qu'il allait rejoindre le camp du fondateur d' "En marche!" de manière imminente. Le chef de l'Etat lui avait alors (sèchement) intimé l'ordre d'attendre.

D'autres n'avaient pas eu cette patience. La secrétaire d'Etat à la Biodiversité, Barbara Pompili, a déjà rendu public son choix macronien. Thierry Braillard, le secrétaire d'Etat aux sports, au mépris des directives de son mouvement, le Parti radical de gauche (PRG) qui s'inscrit dans l'orbite hamoniste, a aussi déclaré son ralliement à l'ancien ministre de l'Economie ce jeudi, sur RTL.

Le Drian, premier de cordée parmi les ministres socialistes

A l'évidence, cette liberté de se prononcer à partir du 24 mars, octroyée par le chef de l'Etat à ses ministres, ne concerne que les membres de l'exécutif tentés de se placer sous l'aile d'Emmanuel Macron. Car les statuts du parti socialiste ne laissent pas ce genre de latitudes. A l'article 1.2.3, il est ainsi stipulé: "Les membres du parti qui soutiendraient dans les médias des opinions contraires aux décisions du parti ou y engageraient une polémique contre un autre membre du parti relèvent pour de tels actes du contrôle du Conseil national ou du Bureau national". A noter d'ailleurs que pour ce qui est des candidats à la primaire, comme Manuel Valls qui a refusé de parrainer Benoît Hamon, un autre article (le 5.3.1) est plus clair encore: "Les candidats aux Primaires doivent s’engager à soutenir publiquement le candidat désigné et à s’engager dans sa campagne."

Avant Jean-Yves Le Drian, aucun ministre en exercice membre du Parti socialiste n'avait d'ailleurs enjambé ces statuts et le Rubicon séparant "En marche!" et le PS. Et les multiples ministres socialistes, dont Najat Vallaud-Belkacem ou Matthias Fekl secrétaire d'Etat au Commerce extérieur devenu cette semaine ministre de l'Intérieur, et dans une moindre mesure le Premier ministre Bernard Cazeneuve, désireux de s'engager dans la campagne du candidat désigné par leur mouvement et ses alliés à la présidentielle n'avaient pas eu à attendre le 24 mars. La trajectoire emmenant Jean-Yves Le Drian vers l'ex-pensionnaire de Bercy a donc tout du point de bascule et d'un potentiel détonateur dans le gouvernement. 

Bientôt Ayrault, Royal, Le Guen dans l'équipe d' "En marche!" ?

Eddy Fougier, politologue et chercheur associé à l'IRIS, fait le point pour BFMTV.com sur les ministres sur la tangente, pris entre la loyauté pour leur parti et leur plus grande sympathie pour la ligne d'un Emmanuel Macron que pour celle du "frondeur" Benoît Hamon, perçu comme un contempteur du quinquennat:

"Jean-Marc Ayrault, le ministre des Affaires étrangères, serait un gros ralliement pour Emmanuel Macron. Si le soutien d'un poids lourd comme Le Drian était suivi d'un Ayrault, ça commencerait à peser. On peut aussi penser à Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat chargé de la Francophonie, le porte-flingue de Manuel Valls."

Sur notre antenne, Thierry Arnaud, chef du service politique de BFMTV, a également cité un autre nom: "Ségolène Royal hésite mais elle se réserve éventuellement pour un poste à la tête de la Pnud (ndlr: le programme de l'ONU pour le développement)". Doit-on s'attendre à une profession de foi des trois ministres cités, auxquel on peut ajouter Patrick Kanner, l'énigmatique ministre de la Ville qui a récemment dit avoir besoin de "preuves d'amour de Benoît Hamon", sans exclure finalement de voter pour Emmanuel Macron, en faveur de ce dernier? Proximité idéologique, défiance à l'égard des positions et du profil de Benoît Hamon, perspectives d'une victoire de l'ancien protégé de François Hollande, les raisons n'y manqueraient pas. 

Macron a intérêt à fermer les vannes gouvernementales

Mais le point d'achoppement principal n'est pas à chercher du côté des potentiels ralliés...mais du principal intéressé. "L'obstacle majeur, c'est qu'Emmanuel Macron n'a pas intérêt à davantage de soutiens venus du gouvernement. Il n'a pas intérêt à apparaître comme le successeur de François Hollande. S'il apparaît comme un prolongement de la gauche, c'est l'échec de sa stratégie", explique François Miquet Marty, analyste et président de l'institut ViaVoice à BFMTV.com, avant d'ajouter: "Et ça pourrait même être une évolution de la campagne attendue par la droite". 

Le politologue Eddy Fougier se tient ici sur la même ligne: "Emmanuel Macron pourrait craindre un effet de contagion de l'impopularité de l'exécutif sur sa propre campagne". Et l'équipe d' "En marche!", qui se flatte de rassembler sous une même bannière Jean-Yves Le Drian et d'anciens ministres de droite comme Philippe Douste-Blazy ou Dominique Perben s'exposerait à perdre sur l'autre volet du tableau: "Si l'équipe de campagne se met à pencher trop à gauche, ça pourrait inciter une partie de la droite, proche de Juppé, à s'abstenir ou à faire corps autour de François Fillon", observe le politologue.

En attendant la 25e heure

Entre le ralliement à Emmanuel Macron ou l'engagement, même sans enthousiasme, derrière Benoît Hamon, reste une dernière option qui a, jusqu'ici, la préférence de beaucoup des ministres dont le comportement est depuis longtemps scruté. "Beaucoup de ministres ou de parlementaires socialistes pensent qu'il est urgent d'attendre. Ils viendront en bloc au secours de la victoire. C'est un grand classique," analyse pour nous Thomas Guénolé, spécialiste de la vie politique française. Il s'agirait donc de laisser le chronomètre tourner jusqu'à atteindre la vingt-cinquième heure...et se prononcer pour Emmanuel Macron.

Robin Verner