Violences en banlieue: les policiers craignent la contagion

37 personnes ont été interpellées à Bobigny après les violences en marge d'un rassemblement en soutien à Théo. - AFP
Malgré les appels au calme appuyés par Théo et sa famille depuis dix jours, la colère se fait entendre dans les banlieues franciliennes et a pris un tournant violent ce week-end. Samedi à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, puis dimanche soir à Argenteuil, dans le Val-d'Oise, des heurts ont éclaté avec pour bilan un chauffeur de bus blessé, des voitures incendiées, des vitrines brisées avec des jets de pavés et du mobilier urbain dégradé. Or, ces incidents ne se restreignent pas à ces deux seules villes.
Cette escalade de violence réveille les souvenirs de 2005 quand les banlieues françaises s'étaient enflammées après la mort de deux adolescents, Zyed et Bouna, électrocutés dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois alors qu'ils tentaient d'échapper à un contrôle de police. "Ca va péter", craint un policier en Essonne en poste lors de ces événements il y a douze ans. "Aujourd'hui, on est dans la même situation que lors de l'affaire Zyed et Bouna. On prend la même direction".
Théo, Adama, Zyed, Bouna
Les tensions déjà présentes ont été ravivées au début du mois après l'interpellation musclée de Théo à Aulnay-sous-Bois. Le jeune homme de 22 ans dit avoir été violé par un policier avec une matraque. Il est hospitalisé depuis, avec de graves lésions. La semaine dernière, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a rendu ses premières conclusions et évoque la piste accidentelle. Selon l'examen des premiers éléments, le policier n'avait pas l'intention de causer une blessure à l'anus.
Depuis, les incidents se multiplient. D'abord en Seine-Saint-Denis, puis dans le Val-d'Oise et en Essonne. A Paris, le centre commercial du Forum des Halles a été fermé, les clients évacués vendredi dernier. En régions, la liste des villes où se sont tenus des rassemblements s'allonge: Marseille, Rouen, Nantes, Rennes, Toulouse et Lille. Souvent dans les cortèges, des banderoles appellent à la justice pour Théo, dont le nom se retrouve associé par les manifestants à Zyed et Bouna, mais aussi Adama Traoré, mort en juillet dernier après son interpellation par des gendarmes dans le Val-d'Oise.
"Fait de société"
Un SMS, intercepté par les services de renseignement, appelle à un rassemblement devant la mairie de Drancy, en Seine-Saint-Denis pour en découdre avec les "keufs" au nom de Théo, Adama, Zyed, Bouna, rapporte Le Figaro. Sur les réseaux sociaux, les groupes appelant aux manifestations ou en soutien aux quatre jeunes hommes et à leur famille se multiplient. "Nous ne sommes pas en face d'un fait divers, nous ne sommes pas en face d'une affaire judiciaire", a reconnu lundi matin sur France Inter Jacques Toubon, le Défenseur des droits. "C'est un fait de société."
Pour le moment, les incidents les plus violents se sont déroulés en Seine-Saint-Denis. Mais jusqu'à quand? C'est la question que les forces de l'ordre se posent. "Les relations dans les banlieues ont toujours été conflictuelles, estime Johann Cavallero", délégué national CRS au syndicat Alliance., expliquant qu'après les attentats, la mise en place du plan Vigipirate puis de l'état d'urgence, les banlieues ont été "un peu délaissées". Lors des heurts de ce week-end, plusieurs CRS ont été blessés légèrement. "Notre problématique est le maintien de l'ordre tout en évitant d'avoir des blessés des deux côtés." Si pour le moment, aucun redéploiement des CRS n'a été engagé, un rééquilibrage des compagnies est en cours.
Sacrifier des zones?
Dans la nuit de dimanche à lundi, le commissariat des Ulis, en Essonne, a été caillassé, tandis que incidents ont éclaté à Evry au cours du week-end. A Corbeil-Essonne, le caillassage des patrouilles de policiers est quasi-quotidien. "Nous ne sommes pas à l'abri", reconnaît Ludovic Magné, syndicaliste UNSA dans le Val-de-Marne. "Pour le moment, il y a juste une mèche avec une poudrière, il ne manque que l'étincelle." Son collègue en Essonne déplore le manque d'effectifs.
"C'est tendu", insiste Fabien Lefebvre, d'UNSA police. "Si ça se multiplie dans tous les quartiers, on ne pourra pas gérer. Est-ce que ça veut dire qu'on va devoir sacrifier des zones?"