Procès des attentats du 13-Novembre: Salah Abdeslam, l'accusé mutique au cœur des débats

"Mon silence ne fait pas de moi un criminel, c'est ma défense." Depuis son arrestation le 18 mars 2016, et hormis quelques brèves déclarations, Salah Abdeslam est resté mutique. Mutique sur son parcours, mutique sur son implication dans les attentats du 13-Novembre. À la veille de l'ouverture de son procès et de celui de 19 autres accusés, ce mercredi, la question est donc dans toutes les têtes: le seul survivant des commandos du 13-Novembre va-t-il enfin livrer les réponses que tous attendent?
Rien ne permet de répondre à cette question, pas même les déclarations publiques de son avocate Me Olivia Ronen, qu'il a lui-même contacté il y a trois ans. Cette dernière n'a rien voulu dévoiler de la stratégie de défense qui sera adoptée au cours du procès long de neuf mois, pour, dit-elle, ne pas "l'enfermer dans quelque chose de prédéfini".
Surveillé 24h/24
Peu de choses semblent avoir changé pour Salah Abdeslam, qui reste une énigme. Depuis 2016 et sa remise à la France par les autorités belges, il est incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis, en région parisienne. Ses conditions de détention ont été inchangées depuis cette date. Les cellules autour de la sienne sont vides.
Le terroriste est surveillé 24h/24 par un système de vidéosurveillance, notamment afin d'éviter qu'il se suicide, et huit agents pénitentiaires se relaient pour visionner les images. Un système de brouillage a également été mis en place à proximité de sa cellule pour empêcher toute conversation téléphonique illicite.
Comme tout détenu, Salah Abdeslam sort quotidiennement dans une cour de promenade aérienne, également placée sous vidéosurveillance. Il utilise occasionnellement un rameur et un vélo mis à sa disposition dans une cellule voisine de la sienne. Enfin, il est vu par des médecins deux fois par semaine, comme les autres détenus du quartier d'isolement.
Un temps, son comportement a d'ailleurs laissé penser qu'il était affaibli psychologiquement. Chaque jour, il nettoyait méthodiquement et à plusieurs reprises sa cellule de crainte d'être empoisonné. Aujourd'hui, il est décrit comme plus rationnel, et son état semble compatible avec un procès.
Enfermé dans son mutisme
L'homme reste toutefois muré dans son silence. Le 19 mars 2016, au lendemain de son arrestation en Belgique, il avait bien livré quelques éléments aux enquêteurs. Accusé d'avoir déposé les trois kamikazes qui se sont fait exploser à Saint-Denis, le jeune homme, aujourd'hui âgé de 31 ans, avait expliqué avoir loué des voitures et des chambres d'hôtel pour préparer les attaques. Il avait confié aussi qu'il voulait "se faire exploser au Stade de France" avant de faire "machine arrière" - les expertises montrent que sa ceinture était défectueuse.
Depuis sa remise à la France, les enquêteurs ou les magistrats instructeurs n'en savent pas plus. Une fois seulement, lors d'un interrogatoire d'un juge français, Salah Abdeslam s'est exprimé pour dédouaner l'un de ses amis mis en cause.
En 2016, Salah Abdeslam se retrouve même sans avocat, après que ses deux conseils français et belge Frank Berton et Sven Mary ont renoncé à assurer sa défense, convaincus que Salah Abdeslam "ne s’exprimera pas et qu’il appliquera le droit au silence".
"Nous avons prévenu, je l’ai dit depuis le premier jour: si mon client reste muet, nous quitterons sa défense", avait alors rappelé le ténor lillois.
Son procès en Belgique pour la fusillade survenue à Forest, durant sa cavale, donne peu d'espoir d'obtenir des réponses de sa part. À ce moment-là, en février 2018, il s'était simplement livré à un exercice de propagande, refusant de répondre à toutes les questions de la présidente de la cour, y compris pour décliner son identité. "Je n'ai pas peur de vous, je n'ai pas peur de vos alliés, je place ma confiance en Allah, je n'ai rien à rajouter", avait-il déclaré.
"Il est toujours dans la même idéologie", estime d'ailleurs auprès de RTL Aurélie Bolin, membre du syndicat Ufap-Unsa Justice de Fleury-Mérogis, qui l'a côtoyé au sein de la maison d'arrêt.
Les victimes n'attendent rien de sa part
La justice s'est cette fois-ci préparée à une éventuelle récusation de son équipe de défense à la dernière minute: trois avocats ont préparé le dossier et sont prêts à être commis d'office afin de ne pas entraver les débats. Les autorités ont également anticipé un refus de sa part de comparaître: le président de la cour d'assises spéciale de Paris pourrait dans ce cas demander son extraction de force. Salah Abdeslam serait alors conduit au tribunal mais pourrait rester dans la souricière, cette zone où attendent les détenus avant de comparaître.
Mais quoi qu'il en soit, en amont de l'ouverture du procès, la justice et les victimes du 13-Novembre n'attendent rien de lui.
"Il n'a aucun intérêt à être conciliant", estime Arthur Dénouveaux, le président de l'association de victimes Life for Paris. "On en attend le minimum. La priorité, c'est que la justice soit rendue, le reste, ce sera du bonus."
Plutôt que de se concentrer sur Salah Abdeslam, les autres acteurs du procès attendent davantage de réponses des autres accusés comme Mohamed Abrini, soupçonné d'avoir participé à la logistique et au financement des attentats du 13-Novembre, ou Osama Krayem, un Suédois qui a été son compagnon de cavale.