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Menace terroriste en France: faut-il s'inquiéter de la prise de pouvoir des rebelles jihadistes en Syrie?

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Alors que le pouvoir en Syrie a été repris par des rebelles jihadistes - qui affichent pour le moment un agenda "national" - les autorités françaises se disent "vigilantes" face au risque terroriste. Une vigilance également orientée vers Daesh, encore présent en Syrie quoique très affaibli.

Le régime de Bachar al-Assad en place depuis plus de 20 ans en Syrie a été renversé ce dimanche 8 décembre dans une offensive éclair menée par les rebelles jihadistes du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Si la chute du dictateur syrien, qui martyrisait sa population, a été favorablement accueillie par les dirigeants occidentaux, la crainte de voir s'accroître la menace terroriste a ressurgi. La crainte vient tant d'avoir de nouveaux attentats fomentés depuis la Syrie, à l'image du 13-Novembre, que du réveil d'une nébuleuse jihadiste en Europe.

Un groupe jihadiste qui lisse son image

Le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) est en effet une alliance d'islamistes dominée par l'ancienne branche syrienne d'al-Qaïda. Ce groupe est né en 2017 après la rupture avec al-Qaïda, menée par son chef Abou Mohammad al-Jolani, radicalisé en 2003. Depuis, il ne cesse de polir son image, tant auprès de sa population et des minorités syriennes qu'auprès de la communauté internationale.

Abou Mohammad al-Jolani, le chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche d'al-Qaïda en Syrie
Abou Mohammad al-Jolani, le chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche d'al-Qaïda en Syrie © Omar HAJ KADOUR / AFP

Il tente notamment de rassurer sur leur doctrine "islamo-jihadiste" qui "s'inscrit dans un cadre national" et non "international", explique auprès de BFMTV.com David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). "Ils veulent rassurer pour ne pas être taxé d'organisation terroriste".

Lorsqu'il rompt avec al-Qaïda, Abou Mohammad al-Joulani dit le faire pour "ôter les prétextes avancés par la communauté internationale" d'attaquer son organisation. HTS reste toutefois considérée comme une organisation terroriste par les chancelleries occidentales.

"Un calendrier propre à la Syrie"

"Je ne pense pas que la situation en Syrie change beaucoup sur la capacité à envoyer des commandos sur le territoire européen. Le HTS indique sa rupture avec al-Qaïda et déclare s'éloigner du jihadisme international, son calendrier a l'air propre à la Syrie", souligne sur RTL Olivier Christen, le procureur national antiterroriste.

"La menace terroriste n'est pas leur priorité, c'est certain. Ils ont même totalement renoncé, au moins dans leur discours", abonde sur la même radio Jean-François Ricard, ex-procureur de la République antiterroriste.

Toutefois, certains spécialistes craignent cela ne soit qu'une posture de façade adoptée par HST et son chef. "L’islamiste repenti et le djihadiste modéré, ça occupe la même niche écologique que le merle blanc et le mouton à cinq pattes", image, auprès de La Dépêche du Midi, Alain Chouet, ancien chef du renseignement de sécurité de la DGSE et spécialiste du terrorisme islamiste. "Ces gens-là sont des techniciens du mensonge et de la dissimulation".

"Jolani n’a pas changé (...) il attend son heure. Quand la situation sera un peu apaisée (...) il reprendra son habit de calife à la place du calife", abonde-t-il.

Le tueur de Samuel Paty en lien avec un membre de HTS

Un élément vient de plus semer le doute sur la sincérité d'Hayat Tahrir al-Sham: le tueur de Samuel Paty avait des contacts avec un membre du groupe nommé Farrouk Faizimatov. Peu après l'assassinat du professeur d'histoire-géographie, et avant qu'il ne soit abattu par des policiers, Abdoullakh Anzorov a envoyé à cet homme une photographie de la tête décapitée de Samuel Paty ainsi qu'un message de revendication.

"Allah Akbar, que la paix et la bénédiction d'Allah soit sur vous", a répondu Farroukh Faizimatov, également connu sous le nom de Faruq Shami.

Douze jours avant la mort de Samuel Paty, le 4 octobre 2020, Abdoullakh Anzorov faisait également l'éloge du groupe Hayat Tahrir al-Sham dans un message publié sur un groupe Snapchat auquel il appartenait.

"Il n'y a pas de doute que ce qui se passe à Idleb est le vrai jihad où Allah choisit ses serviteurs. Le meilleur groupe actuel à rejoindre c'est Hayat Tahrir Al-Sham", affirmait le jeune Tchétchène de 18 ans selon une source proche de l'enquête.

Des jihadistes français liés à HTS

Si les autorités françaises n'ont pas monté d'un cran leur inquiétude face à la situation en Syrie, elles se disent toutefois "vigilantes" et être dans une "phase d’observation active". Notamment auprès des ressortissants français proches de HTS ou d'autres groupes qui gravitent autour.

En effet, parmi la centaine, jusqu'ici présent dans la zone d'Idleb, une poche au nord de la Syrie contrôlée depuis 2019 par le groupe islamiste, "une trentaine appartiendrait à la mouvance dirigée par Abou Mohammed al-Joulani", selon Olivier Christen, procureur national antiterroriste interrogé par Le Figaro. Dix jihadistes français ont été identifiés dans les rangs de HTS, a appris BFMTV d'une source proche du dossier confirmant une information de France info.

Une cinquantaine de ressortissants appartiendraient quant à eux à la brigade d’Omar Omsen, un jihadiste niçois soupçonné d'être le plus gros recruteur de Français en Syrie, recherché en vertu d'un mandat d'arrêt international.

"Nous avons dénombré, également présentes à Idleb, une trentaine de femmes évadées des camps ou qui s’y sont réfugiées avec la débâcle de Daesh", ajoute Olivier Christen.

Avant de tempérer: "Les Français qui sont au sein de HTS le sont depuis extrêmement longtemps, totalement absorbés par la Syrie, sans beaucoup de liens avec la France et donnant le sentiment d’avoir voulu s’établir définitivement en Syrie".

Se pose aussi la question des 300 Français partis faire le jihad dans le pays à partir de 2010 qui sont depuis portés disparus. "Nos incertitudes concernent ceux qui ont disparu, qui sont présumés mort et qui parfois réapparaissent dans les dossiers", explique Olivier Christen.

Un autre point d'interrogation: les répercussions de la situation syrienne sur les motivations des Français en voie de radicalisation. "Nous savons d'expérience qu'une situation géopolitique mouvante peut avoir des répercussions sur la jihadosphère et sa part qui est en France", analyse le procureur national antiterroriste. Il affirme qu'il est cependant "trop tôt" pour le savoir. "Nous travaillons à l'analyse de cette évolution avec la DGSI", rassure-t-il.

Une résurgence de Daesh?

Autre point d'inquiétude: la possible résurgence de Daesh qui conserve quelques poches sur le territoire syrien. Une situation qui semble peu probable "sous la forme qu’on a connue" estime toutefois sur Franceinfo le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre. Daesh est en effet très affaibli et n'entretient pas de bonnes relations avec HTS qui, au contraire, les combats.

"Cette prise de pouvoir par HTS ne leur bénéficie en rien. Ils sont d’ailleurs sans doute aujourd’hui confrontés à un ennemi plus puissant que le régime syrien ne l’était", note Olivier Christen.

Pour éviter un tel scénario, les États-Unis ont mené ce dimanche "des dizaines de frappes aériennes" dans le centre de la Syrie visant "plus de 75 cibles" de Daesh. "Il ne doit y avoir aucun doute: nous ne laisserons pas l'EI se reconstituer et tirer profit de la situation actuelle en Syrie", a déclaré le général Michael Erik Kurilla.

Juliette Brossault