Syrie: qui sont les jihadistes du HTS et les rebelles qui ont pris Damas et fait chuter Bachar al-Assad?

Des combattants anti-gouvernementaux conduisent des véhicules militaires sur une route dans la partie orientale de la province d'Alep, le 1er décembre 2024. - Aref TAMMAWI / AFP
Une conquête historique. Les rebelles menés par des islamistes radicaux ont annoncé ce dimanche 8 décembre à la télévision publique syrienne la chute du président Bachar al-Assad et la "libération" de la capitale Damas, après une offensive fulgurante qui a mis fin à plus de cinq décennies de règne de la famille Assad.
Derrière cette offensive éclair? Une "mosaïque immensément complexe" de groupes armés, nous décrit le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense sur notre chaîne.
"C'est une coalition, très hétéroclite, d'opposants au régime de Bachar al-Assad", précise-t-il.
Une ancienne branche d'Al-Qaïda
La première force de cette coalition: les jihadistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une alliance dominée par l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda.
Pour comprendre la genèse de ce groupe, il faut revenir aux attentats du 11 septembre 2001 lorsque son fondateur, Abou Mohammed al-Joulani, commence à se radicaliser. Arrêté par les Américains, il rencontre en prison le futur créateur de Daesh, Abou Bakr al-Baghdadi.
De là, naît l'idée chez Abou Mohammed al-Joulani de créer un califat en Syrie. Mais il va rapidement prendre ses distances avec Daesh et va se tourner vers Al-Qaïda. En 2012, Abou Mohammed al-Joulani crée ainsi le Front al-Nosra, la filiale syrienne de l'organisation jihadiste. Si le groupe continue de combattre Bachar al-Assad, il rompt avec Al-Qaïda en 2016.
L'organisation Hayat Tahrir al-Sham (HTS) est née un an plus tard d'une fusion avec d'autres groupes similaires.
"En rompant avec Al-Qaïda, le groupe renonce en quelque sorte au terrorisme, il veut s'inscrire dans ce que l'on pourrait qualifier de salafisme-djihadisme plus réaliste. Il rouvre le dialogue avec les États-Unis, dissocie le militaire du politique...", explique à BFMTV.com Pierre Boussel, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de l'organisation Hayat Tahrir al-Sham.
Composé essentiellement de combattants syriens, le groupe se revendique aujourd'hui comme une alternative politique locale. Début 2019, il a pris le contrôle de la majorité de la province d'Idleb (nord-ouest) et a créé un "gouvernement du salut".
Pas de volonté "d'exportation du conflit"
"Il ne me semble pas qu'il y ait des velléités terroristes d'exportation du conflit", analyse le général Jérôme Pellistrandi. Mais plusieurs observateurs appellent à la prudence, affirmant qu'Hayat Tahrir al-Cham demeure fondamentalement un groupe islamiste radical.
"Le groupe a démontré qu'il était incroyablement opportuniste dans ses alliances et allégeances", souligne Tammy Palacios, en charge du contre-terrorisme au New Lines Institute. Sa transition auto-proclamée "n'est pas forcément partagée par tous ses membres" et il "continue de graviter autour des intérêts et grands objectifs d'Al-Qaïda", affirme-t-elle à l'Agence France presse. "HTS en a peut-être fini avec Al-Qaïda mais Al-Qaïda n'en a pas fini avec HTS".

Selon un rapport du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) américain, HTS disposait en octobre 2018 d'une force de combat comprise entre 12.000 et 15.000 hommes.
Aux côtés de Hayat Tahrir al-Sham figurent également d'autres groupes indépendants, "plus ou moins radicalisés et endoctrinés", affirme Pierre Boussel.
Des rebelles soutenus par la Turquie
Au-delà de cette première myriade de groupes jihadistes, la coalition qui fait face à Bachar al-Assad est également composée de groupes "rebelles". On trouve dans ces rangs, des restes de l'Armée syrienne libre, un rassemblement de rebelles formé en 2011, qui s'est lentement décomposé à partir de 2017.
De nombreux groupes de l'Armée syrienne libre se sont d'ailleurs retrouvés au sein d'une autre organisation, née en 2017, qui s'appelle l'Armée nationale syrienne (ANS).
"L'Armée nationale syrienne est une organisation d'une quarantaine de groupes armés qui aujourd'hui combat avec Al-Fatah al-Mubin et Hayat Tahrir al-Sham", résume le chercheur associé à la FRS.
Et cette organisation bénéficie d'un soutien de taille: celui de la Turquie dont l'armée contrôle plusieurs zones du nord de la Syrie, près de sa frontière sud. Ankara a cependant réfuté ce lundi 2 décembre toute "ingérence étrangère" dans l'offensive actuelle et a déclaré ne pas souhaiter "que la guerre civile s'intensifie davantage".
La Turquie aimerait en effet que les quelque trois millions de Syriens qui se sont réfugiés sur son territoire en raison de la guerre retournent de l'autre côté de la frontière. Pour cela, le président Erdogan aimerait une "zone tampon" au nord de la Syrie.

Puis, rentre en jeu la lutte menée par Ankara contre les Forces démocratiques syrienne en grande partie constituées de combattants kurdes issus d'un groupe connu sous le nom d'Unités de protection du peuple (YPG). Ce groupe est considéré comme une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) classé terroriste par la Turquie. À noter que les Forces démocratiques syriennes ont combattu Daesh aux côtés de la coalition internationale et qu'elles contrôlent le nord d'Alep.
"HTS représente pour la Turquie un rempart face aux forces kurdes. Ils laissent le levier HTS fonctionner tout seul", image Pierre Boussel.
"Erdogan veut aussi accroître son influence sur la frontière sud de son pays, une zone qui faisait partie de l'Empire Ottoman jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale", abonde le général Jérôme Pellistrandi.
Des groupes qui "ne s'entendent pas sur la marche à suivre"
Si les groupes jihadistes et les rebelles combattent côte à côte, leurs relations n'ont pas toujours été au beau fixe. L'opposition syrienne voyait d'un mauvais œil au début du conflit en 2011 l'intervention des groupes jihadistes car de nombreux membres espéraient que la lutte contre le régime brutal de Bachar al-Assad ne serait pas entachée par l'extrémisme violent.
Mais finalement, les différents groupes se sont entendus car un seul but les animait: renverser Bachar al-Assad. De plus, "ils souhaitent tous un régime islamique qui s'étende de la province d'Idleb à Alep", souligne Pierre Boussel. "Mais ils ne s'entendent pas sur la marche à suivre pour y parvenir".
La province d'Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, était déjà aux mains des opposants du régime de Bachar Al-Assad. C'est d'ailleurs depuis Idleb que l'offensive a été lancée "car le régime criminel avait massé des forces sur les lignes de front et commencé à bombarder les zones civiles, ce qui a provoqué l'exode de dizaines de milliers de personnes", selon le chef du "gouvernement" autoproclamé par HTS dans cette province, Mohammad al-Bachir. Reste désormais à savoir comment la prise de Damas et la chute de Bachar al-Assad vont influer sur les volontés de cette alliance.