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Fragilisé après trois ans de guerre, Volodymyr Zelensky est-il encore populaire en Ukraine?

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky photographié en marge d'un sommet à Munich (Allemagne), le 15 février 2025.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky photographié en marge d'un sommet à Munich (Allemagne), le 15 février 2025. - SVEN HOPPE / AFP / PIERRE-OSCAR BRUNET

Usé par un conflit qui s'enlise, Volodymyr Zelensky est pressé par Donald Trump de s'engager dans des négociations pour mettre fin au conflit. Au même moment en Ukraine, un parfum de campagne présidentielle commence à se faire sentir.

Volodymyr Zelensky, un président en sursis? Après trois ans de guerre, le dirigeant ukrainien est sous pression, pris en étau entre l'armée russe qui continue de grignoter du terrain dans l'est et Donald Trump qui veut rapidement mettre fin au conflit.

Lors d'un coup de téléphone inédit depuis le début de l'invasion, le président américain et son homologue russe Vladimir Poutine ont convenu le 12 février de lancer des négociations "immédiates". Une décision non-concertée avec Kiev qui a vivement inquiété les Ukrainiens et les Européens, Emmanuel Macron mettant en garde contre une paix qui serait "une capitulation" de l'Ukraine.

"Dictateur sans élections"?

Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump durcit le ton contre son homologue ukrainien, dont il fait porter la responsabilité d'avoir "commencé" la guerre en Ukraine malgré l'invasion russe du pays.

Ses critiques sont encore montées d'un cran ce mercredi, après que Volodymyr Zelensky a dénoncé les pourparlers russo-américains qui se sont tenus sans lui en Arabie saoudite. Dans un violent message publié sur son réseau social, le président américain a qualifié le président ukrainien de "dictateur sans élections", choquant de nombreux dirigeants occidentaux et même des élus de son propre camp.

Par cette saillie, Donald Trump remet en cause la légitimité démocratique du président ukrainien, utilisant un argument régulièrement brandi par le Kremlin. Sans la loi martiale en vigueur en Ukraine depuis février 2022, des élections législatives auraient en effet dû se tenir en octobre 2023, et une élection présidentielle en mars 2024.

Le président américain a également affirmé à tort que son homologue ukrainien ne bénéficiait que de "4% d'opinions favorables" auprès de ses concitoyens, sans citer de source. Selon l'AFP, ce chiffre relayé par certains médias russes est issu d'un "sondage" informel réalisé via Telegram par le député ukrainien prorusse Oleksandr Doubinsky, sanctionné par Washington en 2021 pour son appartenance présumée à "un réseau d'influence étrangère lié à la Russie".

Une popularité érodée par la guerre

En réalité, Volodymyr Zelensky est crédité en Ukraine de 57% d'opinions favorables, selon le dernier sondage réalisé début février 2025 par le Kyiv International Institute of Sociology (KIIS). Alors que 77% des Ukrainiens lui faisaient confiance en décembre 2023, le président a vu sa côte de popularité fondre jusqu'à atteindre 52% en décembre 2024, puis rebondir de cinq points ces dernières semaines.

Dans l'hypothèse - encore lointaine - d'un cessez-le-feu et de l'organisation d'une élection présidentielle, Volodymyr Zelensky y participera-t-il? L'ancienne star de la télévision ukrainienne, qui disait lors de sa campagne ne vouloir effectuer qu'un seul mandat, apparaît fragilisée.

L'effet drapeau qui l'avait porté après l'invasion russe semble s'être émoussé au fil d'une guerre qui s'enlise et enlève la vie d'Ukrainiens de plus en plus nombreux. 31.000 soldats ukrainiens ont tués selon la présidence ukrainienne, mais des estimations de médias, comme celles du Wall Street Journal, évoquent jusqu'à 80.000 morts du côté de Kiev.

Pour pallier le manque d'hommes sur le front, la politique d'enrôlement s'est durci ces derniers mois. Certaines scènes de recrutement forcé ont choqué une partie de l'opinion, d'autant que les conscrits sont de plus en plus jeunes. En avril dernier, l'âge de mobilisation est passé de 27 à 25 ans.

Un pouvoir "centralisé"

Si les choix militaires et stratégiques de Volodymyr Zelensky peuvent faire débat, c'est aussi sa gestion du pouvoir, concentré dans les mains d'un cercle restreint de proches, qui est pointée du doigt en Ukraine.

En 2019, son parti "Serviteur du peuple" avait raflé une large majorité au Parlement, la Rada - il détient aujourd'hui 232 des 450 sièges. Une configuration politique inédite dans l'ancienne république soviétique qui a permis au président de gouverner sans former de coalition.

"La quasi-totalité du pouvoir est concentrée entre les mains du chef de l’État et du bureau présidentiel, qu’il contrôle", observe le Centre for Eastern Studies, basé à Varsovie, dans une étude parue en août 2024 et citée par Le Monde.

"Au lieu d’essayer de construire un 'gouvernement de salut public' et de partager le pouvoir avec les opposants, Zelensky cherche plutôt à centraliser toutes les décisions autour de lui et de son cabinet", confirme auprès de BFMTV.com la politologue Hanna Perekhoda, chercheuse à l'université de Lausanne (Suisse).

Dans l'hémicycle, les voix de l'opposition se sont élevées contre un gouvernement jugé trop restrictif. Au cœur des critiques: le contrôle exercé sur les voyages à l'étranger des députés, imposé depuis que deux parlementaires du parti présidentiel ont été vus en vacances aux Maldives et en Thaïlande pendant la guerre.

Le vaste remaniement de septembre 2024, au cours duquel la moitié des ministres ont quitté leurs fonctions, a aussi fait grincer des dents dans la classe politique. Alors que le président invoquait le besoin d'une "énergie nouvelle", des partis d'opposition ont qualifié le remaniement de brutal et de malvenu à un moment où l'armée subissait des revers dans l'est.

Un parfum de campagne

Suffisant pour faire vaciller Volodymyr Zelensky? Alors que les négociations pour une paix s'accélèrent, le "processus politique ukrainien endormi" est en train de se réveiller, observe le journal en ligne Ukrayinska Pravda. "Les anciens et les nouveaux acteurs s’activent progressivement, à la recherche de nouveaux électeurs, de nouveaux canaux de communication, de nouvelles équipes", explique le média dans un article repéré par Le Monde.

L'opposition apparaît néanmoins encore faible. Dans ces prémisses de campagne électorale, l'adversaire le plus virulent de Volodymyr Zelensky est sans doute l'ancien président Petro Porochenko (2014-2019). Son parti Solidarité européenne, première force d’opposition au Parlement, compte 27 députés contre 232 pour la formation présidentielle.

Le prédécesseur de Volodymyr Zelensky est resté très actif tout au long de la guerre, créant sa propre milice - surnommée le bataillon Porochenko - et finançant des équipements pour l'armée de Kiev sur ses fonds propres.

Mais l'ancien industriel pourrait être rattrapé par son passé judiciaire. Depuis la fin de son mandat et sa défaite, l'ancien président a été cité dans de multiples procédures, jusqu'à être accusé de "haute trahison". Il lui est notamment reproché d'avoir accru la dépendance énergétique de l'Ukraine envers la Russie et d'avoir acheté du charbon à des séparatistes prorusses.

Le 12 février, le Conseil de défense et de sécurité nationale d'Ukraine, rattaché à la présidence, a imposé des sanctions contre plusieurs personnalités du monde des affaires ukrainien, dont Petro Porochenko. "Tous ceux qui ont détruit la sécurité nationale de l'Ukraine et aidé la Russie doivent être tenus responsables", a justifié Volodymyr Zelensky, sans donner de motif précis à ces sanctions qui prévoient un gel des avoirs et une interdiction de quitter le pays.

Petro Porochenko a dénoncé des décisions "politiquement motivées" et "illégales", accusant même le camp présidentiel de lui avoir proposé d'échapper aux sanctions en échange d'un vote au Parlement.

"Volodymyr Zelensky veut nettoyer le terrain électoral et liquider son principal concurrent. Cela n'a rien à voir avec la démocratie", a-t-il encore insisté à la télévision américaine.

Le 13 février, ses alliés sont montés à la tribune de la Rada pour protester contre les sanctions, forçant la fin prématurée des délibérations dans le Parlement.

L'ancien commandant en chef, futur rival?

De l'autre côté du spectre politique, l'opposition pro-russe a elle été quasiment réduite à néant après qu'une dizaine de formations proches du Kremlin ont été interdites dans le cadre de la loi martiale.

"Les bastions politiques traditionnellement pro-russes, tels que certaines villes désindustrialisées de l'est et du sud de l'Ukraine, ont énormément souffert de l’armée russe. Beaucoup de ceux qui ont jadis voté pour les oligarques pro-russes locaux ont désormais un profond ressentiment envers l'État russe et ceux qui lui sont associés", explique la chercheuse Hanna Perekhoda.

Selon la politiste ukrainienne, "l'opposition actuelle est principalement nationaliste ukrainienne, se positionnant à la droite du gouvernement de Zelensky".

Si aucun responsable politique ne semble incarner une opposition sérieuse à même de rassembler une majorité d'Ukrainiens, d'autres figures populaires du pays pourraient nourrir des ambitions nationales. Comme l'ex-champion du monde de boxe et maire de Kiev Vitali Klitschko. Et surtout l'ancien commandant en chef de l'armée Valeri Zaloujny, devenu ambassadeur au Royaume-Uni. Selon un sondage du Centre ukrainien de recherche sociale relayé par plusieurs médias, il recueillait en novembre dernier 27% des intentions de vote contre 16% pour Volodymyr Zelensky.

Quoi qu'il en soit, l'issue des négociations pour mettre fin au conflit sera déterminante pour la campagne. "Un accord de paix dicté selon les conditions russes entraînerait inévitablement une frustration énorme et une radicalisation des millions de personnes, favorisant les forces extrémistes aux dépens des acteurs modérés et progressistes", estime Hanna Perekhoda.

François Blanchard