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Pourquoi l'appel entre Trump et Poutine est "une bascule historique" pour l'Ukraine et l'Europe

Le président russe Vladimir Poutine et le président américain Donald Trump lors de son premier mandat sont photographiés avant une réunion à Helsinki, le 16 juillet 2018. Photo d'illustration

Le président russe Vladimir Poutine et le président américain Donald Trump lors de son premier mandat sont photographiés avant une réunion à Helsinki, le 16 juillet 2018. Photo d'illustration - Brendan Smialowski / AFP

En écartant l'Ukraine et les Européens des négociations avec Vladimir Poutine, Donald Trump se livre à une rupture de la diplomatie américaine au bénéfice de Moscou et menace les relations transatlantiques, selon les spécialistes.

Une marche colossale. Le président américain Donald Trump a discuté ce mercredi 12 février pendant près 90 minutes par téléphone avec Vladimir Poutine. Un échange qui n'avait jamais été aussi long entre Moscou et Washington depuis le début de l'invasion russe en Ukraine en février 2022. Le 47e président des États-Unis a décidé avec Vladimir Poutine de lancer des négociations "immédiates" sur l'Ukraine. Les deux hommes ont également convenu de se rencontrer en personne.

"Il s'agit d'une rupture majeure de la diplomatie américaine", assure notre consultant défense, le général Jérôme Pellistrandi. "Trump semble passer au-dessus de l'Ukraine et de l'Europe" dans les négociations.

Aussi au-delà des discussions sur la guerre en Ukraine, cet entretien téléphonique représente une "bascule historique" pour l'Europe et "la géopolitique mondiale", soit l'alliance transatlantique, alerte le général.

• Une rupture avec la politique américaine depuis l'invasion russe

En quelques minutes, Donald Trump a rompu avec la politique tenue par Joe Biden depuis le début du conflit en Ukraine en 2022. Si son prédécesseur démocrate mettait un point d'honneur à ne pas discuter de "l'Ukraine sans l'Ukraine", le milliardaire républicain a fait tout l'inverse en décidant d'un début "immédiat" des négociations avec Vladimir Poutine, seul. Ce n'est qu'après avoir pris cette décision avec le président russe que Donald Trump en a informé Volodymyr Zelensky.

"La conversation s'est très bien passée. (Volodymyr Zelensky), comme le président Poutine, veut faire la PAIX", a écrit Donald Trump dans une publication beaucoup plus succincte que celle consacrée à son entretien avec le chef du Kremlin.

Selon Moscou, le chef du Kremlin a dit au président américain vouloir trouver une "solution de long terme" au conflit ukrainien via des "pourparlers de paix".

"Donald Trump négocie avec Poutine et l'Ukraine est sur un strapontin", image le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale. "Il considère que son interlocuteur est Poutine et le reste est secondaire".

Le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, a défendu l'initiative de son président ce jeudi en assurant qu'il ne s'agissait pas d'une "trahison" envers l'Ukraine. "Il y a la reconnaissance que le monde entier et les États-Unis sont investis dans la paix, une paix négociée", a-t-il ajouté depuis Bruxelles avant le début d'une réunion des ministres de la Défense de l'Otan.

• Des "concessions" faites à Moscou au détriment de Kiev

Après cet appel, Vladimir Poutine apparaît en position de force pour la suite des négociations. Il est "regrettable" que le président américain Donald Trump ait fait des "concessions" à Vladimir Poutine sur l'Ukraine "avant même le début des négociations", a affirmé devant la presse le ministre de la Défense allemand Boris Pistorius. "À mon avis, il aurait été préférable de parler de la question de l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan ou de possibles pertes de territoire à la table des négociations", a-t-il continué.

Le chef du Pentagone, Pete Hegseth, a clairement indiqué mercredi qu'une adhésion de l'Ukraine à l'Otan n'était pas réaliste, tout comme un retour de l'Ukraine dans ses frontières d'avant 2014, c'est-à-dire avec la Crimée, annexée par Moscou.

"Pourquoi l'administration Trump fait-elle des cadeaux à Poutine - des territoires ukrainiens et le refus d'une adhésion à l'Otan - avant même de commencer à négocier? J'ai négocié avec les Russes. Il ne faut jamais leur donner quelque chose gratuitement", a critiqué sur X Michael McFaul, ambassadeur américain en Russie entre 2012 et 2014.

"Le plus important pour Trump, c'est d'arrêter la guerre. Il est prêt à toutes les concessions pour arriver au cessez-le-feu", juge Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé au think thank Euro Créativ, contacté par BFMTV.com.

Depuis l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche en novembre dernier, les Russes ont accéléré leur offensive dans l'objectif de grappiller du terrain et d'arriver à la table des négociations avec un avantage. "Tout accord négocié en position de faiblesse sera exploité par le Kremlin", prévient Maria Snegovaya, experte au cercle de réflexion Center for Strategic and International Studies, à Washington dans les colonnes du Monde.

"Il ne tiendra pas à long terme, car les objectifs essentiels de Poutine demeurent inchangés: un contrôle total sur l’Ukraine et une révision des frontières de l’après-guerre froide."

Si le Kremlin parle de "pourparlers de paix", les spécialistes ne croient pas à la tenue d'une "paix durable". "Je pense que le cessez-le-feu sera bancal et pourra être rompu à tout moment", estime Ulrich Bounat. Surtout si les Européens ne prennent pas part aux discussions.

• Les Européens mis sur la touche

Les pays européens s'offusquent d'être également mis de côté. La guerre est sur leur continent et ils ont apporté une aide financière conséquente à Kiev depuis le début de l'invasion. "Nous souhaitons échanger sur la voie à suivre avec nos alliés américains", indique un communiqué publié mercredi soir à l'issue d'une réunion à Paris des chefs de la diplomatie française, allemande, polonaise, italienne, espagnole, britannique et ukrainienne. "L'Ukraine et l'Europe doivent participer à toute négociation".

L'ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul rappelle sur X que "les négociations de Minsk ont ​​été viciées parce qu'elles n'incluaient pas les États-Unis".

"Ces nouvelles négociations sur la fin de la guerre en Ukraine seront viciées si elles n'incluent pas les Européens", avance-t-il.

Pour le spécialiste de l'Ukraine, Ulrich Bounat, les "Européens et les Ukrainiens ont peur de se retrouver devant le fait accompli" sans avoir eu leur mot à dire. Les États-Unis souhaitent de plus, si accord il y a, que les Européens se chargent, seuls, de garantir des sécurités "robustes" pour l'Ukraine. Sans compter sur l'aide des troupes américaines. "C'est un grand moment de vérité" pour l'avenir de l'Otan, a ainsi estimé le ministre français de la Défense Sébastien Lecornu.

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"On assiste peut-être à une remise en cause de ce qu'est l'alliance transatlantique depuis les années 1950", estime le général Jérôme Pellistrandi.

"Si les États-Unis disent aux Européens de se débrouiller, quelle sera son attitude quand un de ces pays se fera attaquer? Qu'en sera-t-il de l'article 5 de l'Otan (principe de la défense collective, NDLR)?", s'interroge Ulrich Bounat.

• La rencontre future entre Trump et Poutine: une victoire politique pour Moscou

Lors de cet appel, Donald Trump et Vladimir Poutine ont convenu, selon le président américain, de se rencontrer en Arabie Saoudite. Une rencontre que le Kremlin souhaiterait "assez rapidement". Les deux hommes ont également convenu d'une visite dans "leur nation respective".

Aucun président américain ne s'est rendu sur le sol russe depuis Barack Obama en 2013 pour participer au G20 de Saint-Pétersbourg. La dernière rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump a eu lieu à Helsinki, en Finlande, en 2018. "C'est une victoire politique pour Poutine", affirme le général Jérôme Pellistrandi.

Ce à quoi abonde l'analyste géopolitique Ulrich Bounat: "Cet appel rend à nouveau Poutine fréquentable, c'est comme une réintégration pour lui avec un statut de puissance".

Vladimir Poutine était "ostracisé" sur la scène internationale depuis le début de l'invasion en Ukraine, et d'autant plus depuis le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale en 2023. "Il était persona non grata", note le spécialiste.

Au-delà de l'Ukraine, lors de cette future rencontre en Arabie Saoudite, le Kremlin, souhaite un "débat approfondi" sur "la sécurité sur le continent européen" dans son ensemble et les "préoccupations liées à la sécurité" de la Russie. Moscou veut donc discuter des sujets qui concernent l'Europe sans les Européens. De quoi rappeler selon Ulrich Bounat que la "guerre en Ukraine n'est qu'une guerre par procuration contre un Occident qui voudrait empêcher le développement de la Russie".

Juliette Brossault