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Le corridor de Suwalki, un axe convoité par la Russie qui alimente les craintes de l'OTAN

Des soldats polonais à la frontière polonaise, au niveau du Corridor de Suwalki, le 7 juillet 2022 (image d'illustration)

Des soldats polonais à la frontière polonaise, au niveau du Corridor de Suwalki, le 7 juillet 2022 (image d'illustration) - WOJTEK RADWANSKI / AFP

Depuis près de dix ans, le corridor de Suwalki est un territoire au coeur des tensions entre l'OTAN et la Russie. Ce couloir d'une soixantaine de kilomètres possède des enjeux autant stratégiques que militaires dans une période explosive.

Environ 65 kilomètres et des années de tensions et convoitises. Au coeur des différends entre la Russie et les pays alliés de l'OTAN, le corridor de Suwalki, qui sépare l'exclave de Kaliningrad à la Biélorussie, est particulièrement surveillé, quelques jours après l'intrusion sans précédent de drones russes sur le territoire polonais.

Un gap qui attire les convoitises en raison de son placement stratégique. "Ce corridor est la seule voie terrestre qui réunit les pays baltes au reste de l'Europe et au reste des alliés de l'OTAN", souligne l'historien militaire Guillaume Lasconjarias, joint par BFMTV.

"Dit autrement, si le corridor est coupé, les pays baltes deviennent une île et ils ne pourraient ainsi plus être approvisionnés que par la voie maritime ou aérienne, ça vous donne l'enjeu stratégique du contrôle de cette zone", poursuit-il.

En conséquence, la Lituanie, qui partage la frontière de ce corridor sur la partie nord, avec la Pologne pour le sud, a décidé de renforcer sa sécurité et "répond désormais aux normes les plus élevées en matière de protection des frontières extérieures de l'UE", affirme Vladislav Kondratovič, le ministre de l'Intérieur, dans un communiqué.

Ce dernier précise qu'une barrière a été montée "tout au long de la frontière", il évoque également la mise en place de systèmes de surveillance avancés et l'augmentation du nombre d'agents équipés d'armes "conformes aux normes de l'OTAN" au niveau de la frontière.

Des exercices militaires en guise de "provocations"

Dans le même temps, les exercices "Zapad 2025", des opérations militaires d'entraînement conjointes entre la Russie et la Biélorussie ont débuté ce vendredi 12 septembre et se tiennent jusqu'à mardi. Elles se tiendront également en mer de Barents et en mer Baltique. Ces manoeuvres se déroulent alors que l'armée russe progresse sur le front ukrainien et intensifie ses attaques aériennes en Ukraine et en Pologne notamment.

Pour l'historien militaire Guillaume Lasconjarias, ce type d'exercice a trois intérêts, et d'abord militaire pour "entraîner les troupes". Sa deuxième fonction vise à démontrer la capacité opérationnelle de ces troupes et leur crédibilité, soit leur capacité à s'engager dans un conflit, poursuit-il, auprès de BFMTV. Enfin, ce type de mission sert au signalement stratégique. "C'est une expression extrêmement importante parce que ce signalement stratégique s'adresse à la fois aux adversaires, aux alliés et à sa propre opinion publique", complète-t-il.

Le Premier ministre polonais Donald Tusk estime que ces manoeuvres visent à simuler l'occupation du corridor de Suwalki, qui s'étend le long de la fa Biélorussie à l'est. Varsovie a dit, elle, s'attendre "à des provocations" lors de ces exercices, a déclaré vendredi le ministre coordinateur des services spéciaux polonais, Tomasz Siemoniak.

Cette inquiétude s’appuie sur des signaux concrets dont l'augmentation de la présence militaire russe à Kaliningrad et en Biélorussie, manœuvres soudaines, mouvements de troupes inhabituels. "Nous voyons se répéter des schémas déjà observés avant la guerre en Ukraine", a souligné l’ancien officier de renseignement britannique Philip Ingram, dans des propos rapportés par 112.ua.

Une inquiétude qui a grandi depuis près de 10 ans

La chercheuse en Relations internationales spécialisée dans la sécurité, Cindy Regnier, notait en 2023 pour The Loop qu'avant 2015, cette zone était assez peu considérée avant de devenir "le lieu le plus susceptible d'être le théâtre d'un guerre entre la Russie et l'OTAN".

Ce corridor est souvent considéré comme un point faible de l'Otan qui pourrait être la première cible d'une éventuelle attaque russe. Cette crainte a été renforcée par de précédents exercices Zapad, en 2017 et 2021, qui simulaient une invasion de ce corridor.

Cette crainte est une "absurdité totale", a balayé le président bélarusse Alexandre Loukachenko. Côté russe, les mises en garde occidentales sont régulièrement tournées en dérision. Maria Zakharova, porte-parole du ministère des affaires étrangères, dénonçait en juin "les mythes alarmistes" autour du corridor, accusant l’OTAN de "se faire peur" en agitant le spectre d’une invasion imminente.

"Si on écoutait les Russes, théoriquement, il ne fallait pas envahir l'Ukraine non plus", rétorque Guillaume Lasconjarias. "La parole des Russes en termes d'objectifs stratégiques est, à mon avis, à prendre avec énormément de précautions, et très clairement, il faut être raisonnablement prudent", soutient-il. Néanmoins, "au vu des contingents qui seraient déployés, parce que là aussi c'est un point important, la notion de risque est encore limitée". Il ajoute: "Mais ça ne veut pas dire que ce ne soit pas véritablement dangereux."

Une vision partagée par Tomas Godliauskas, vice-ministre de la Défense lituanien. "La Russie est un ennemi de longue date et nous avons tiré les leçons de l'histoire. Nous comprenons assez bien comment ce pays agit et pense réellement", a-t-il déclaré à The Parliament.

une typologie particulière

Seulement, les équilibres stratégiques ont évolué. L’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’alliance a changé la donne. "Le corridor de Suwałki a perdu une partie de son importance, car les renforts de l’OTAN peuvent désormais arriver par la mer Baltique ou par voie aérienne", estime ainsi l’analyste lituanien Darius Antanaitis, auprès de Defence Blog.

Reste que le terrain accidenté et boisé de cette zone en fait un espace difficile à défendre et donc une cible tentante pour Moscou. "C'est loin d'être un environnement très pratique", souligne Guillaume Lasconjarias, citant le faible nombre de voies d'accès, les lacs et forêts "relativement denses" de la zone. "C'est donc en fait une vraie difficulté et une fois qu'effectivement il est coupé, il est probablement difficile de le réouvrir sans y engager des forces."

"L'histoire nous a appris comment agit la Russie"

Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, la perspective d’un affrontement direct entre Moscou et l’OTAN n’est plus théorique. En mai dernier, l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW) mettait en garde contre la construction par la Russie d’un narratif idéologique visant à justifier de futures agressions, comme ce fut le cas avec l’Ukraine.

Si les experts divergent sur la capacité militaire de Moscou à ouvrir un nouveau front dans les prochaines années, le corridor de Suwałki reste l’un des symboles de la fragilité européenne. "L’histoire nous a appris comment agit la Russie", rappelait Tomas Godliauskas, vice-ministre lituanien de la défense à The Parliament Magazine. "Nous n’avons pas le droit de sous-estimer cette menace."

Comment l'OTAN se prépare à une attaque ?

La question de ce corridor se poserait moins sans le rôle déterminant d'allié russe joué par la Biélorussie. Le pays d'Alexandre Loukachenko, qui est de plus en plus dépendant de la Russie, "se comporte avec l'UE de manière agressive", note l'historien militaire. Et ce, en usant plutôt de "manœuvres hybrides", sans confrontation directe mais plutôt en utilisant "les fragilités de ses voisins et finalement de l'Union Européenne et de l'OTAN". D'autant que le pays accueille également sur son sol, non seulement des troupes russes mais aussi des missiles nucléaires tactiques.

Face à la menace renforcée d'une attaque du corridor, l'OTAN "s'est déjà préparé" depuis au moins 2020 par le biais notamment de la mise à jour des plans stratégiques régionaux, assure néanmoins Guillaume Lasconjarias. Avec l'entrée dans l'OTAN de la Suède et de la Finlande, les liens avec les pays baltes ont également évolués. "La mer Baltique est aujourd'hui un 'lac otanien'", résume-t-il. Ainsi, la capacité de protection et d'intervention dans cette zone s'est renforcée, au même titre que les capacités des alliés en matière d'armement et de coopération militaire.

"Typiquement, les Allemands mettent une brigade en Lituanie, les Français travaillent avec les Estoniens et ont déployé une opération militaire depuis de nombreuses années, les Britanniques aussi, il a été mis en place ce que l'on appelle un fil de détente qui fait que si les Russes décidaient de jouer avec la sécurité des états baltes, nous serions capables de répondre", conclut l'historien militaire.

Arthus Vaillant