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"Des échanges très francs" et des dissonances: la relation complexe entre Emmanuel Macron et le pape François

Le pape François (en bas à gauche) et le président français Emmanuel Macron (à droite) réagissent au départ du pape à l'aéroport d'Ajaccio, sur l'île française de Corse, le 15 décembre 2024.

Le pape François (en bas à gauche) et le président français Emmanuel Macron (à droite) réagissent au départ du pape à l'aéroport d'Ajaccio, sur l'île française de Corse, le 15 décembre 2024. - Ludovic MARIN / POOL / AFP

Le pape François est mort, ce lundi 21 avril, à l'âge de 88 ans. Le chef de l'Église sera célébré par un parterre de dirigeants internationaux lors de ses funérailles ce samedi. Parmi eux, Emmanuel Macron, avec qui il entretenait des désaccords, qu'il n'a jamais cherché à dissimuler.

Le regard au sol, la mine serrée et le ton grave. Quelques heures après la mort du pape François ce lundi 21 avril, Emmanuel Macron adresse ses condoléances "à l'ensemble des catholiques du monde entier".

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Cette déclaration d'à peine plus d'une minute s'est faite alors que le président de la République se trouvait à Mayotte, en pleine visite dans l'Océan indien pour y distiller les engagements du gouvernement pour ces territoires éloignés de la métropole. Un agenda contrarié par cette nouvelle qui a fini par presser le chef de l'État à écourter son voyage pour les obsèques de François à Rome, ce samedi 26 avril.

"Nous serons aux obsèques du pape comme il se doit", a rapidement confirmé le chef de l'État sur BFMTV, après la confirmation du calendrier des célébrations funéraires.

A l'heure des funérailles du pape François, Élysée affiche la solennité de rigueur, malgré les crispations qui ont émaillé leur relations ces dernières années.

Emmanuel Macron, qui?

Avant même l'arrivée à l'Élysée d'Emmanuel Macron, celui-ci a pu être pincé par une déclaration de l'autorité catholique. Alors fraîchement ex-membre du gouvernement de François Hollande et candidat à la présidence de la République, celui-ci était tout bonnement inconnu du Saint-Siège. "Je ne sais pas d'où il vient", a confessé François durant l'entre-deux-tours de 2017, alors interrogé sur le candidat.

Adepte du tutoiement et du contact physique, Emmanuel Macron devenu président, affiche sa détente face au pape François. Cette volonté de proximité s'aperçoit d'ailleurs sur un grand nombre de clichés des deux hommes. Tantôt leurs mains jointes, tantôt la tête de l'évèque de Rome entre les mains du locataire de l'Élysée...

Emmanuel Macron et le pape François le 15 décembre 2024.
Emmanuel Macron et le pape François le 15 décembre 2024. © Tiziana FABI / POOL / AFP
Emmanuel Macron et le pape François le 26 juin 2018.
Emmanuel Macron et le pape François le 26 juin 2018. © Alessandra Tarantino / POOL / AFP

Une proximité physique qui n'a pas abouti sur celles des idées. En juin 2018, à l'issue de leur premier entretien formel et de ces embrassades démonstratives, le pape François lui avait lancé: "C'est la vocation des gouvernants de protéger les pauvres", "e tutti siamo poveri", "et nous sommes tous des pauvres", avait-il ajouté, avec un regard appuyé.

Ces mots pourraient paraître anodins. Mais ils paraissent autrement plus lourds dans leur contexte. À peine deux semaines avant cet entretien, Emmanuel Macron apparaissait dans une vidéo en train de pester contre le "pognon de dingue" investi "dans les minimas sociaux", des propos tenus à l'occasion d'un fastueux dîner à l'Élysée auxquels participaient Alexis Kohler, François Bayrou et Richard Ferrand. Un extrait hautement polémique qui n'avait visiblement pas échappé à François.

"Je viens à Marseille, pas en France"

Échanges téléphoniques lors de l'attentat de Nice, lors de la pandémie de Covid-19... Emmanuel Macron et François entretiennent un lien discret dans les années qui suivent. Jusqu'à la venue du souverain pontife sur le sol français, à Marseille, en septembre 2023.

Avant même l'arrivée de François et jusqu'à après son retour au Vatican, la communication autour de cet événement s'est transformée en chemin de croix pour la présidence de la République. "Je viens à Marseille, pas en France", a bien insisté le religieux avant même d'arriver à la cité phocéenne, écartant d'emblée l'idée d'une visite d'État, tout comme il l'avait fait pour son passage à Strasbourg en 2014.

Une fois sur place, le pape a enchaîné les sermons entrant en contradiction directe avec divers points de la politique d'Emmanuel Macron. En pleine crise migratoire à Lampedusa, sous le regard du ministre de l'Intérieur de l'époque Gérald Darmanin, François avait dénoncé une forme d'"indifférence" face au sort des migrants en Méditerrannée.

"Nous faisons notre part", avait réagi Emmanuel Macron, venu comme des milliers de fidèles assister à la messe géante au stade Vélodrome. "La France n'a pas à rougir, c'est un pays d'accueil et d'intégration", aurait soutenu le président auprès du Pape à l'occasion d'un entretien, comme l'avait indiqué le Palais dans un communiqué.

Autre épine, à l'occasion de cette même visite papale, les critiques sur la fin de vie et la perspective d'une loi sur l'aide à mourir au sein du programme d'Emmanuel Macron, élu un an plus tôt. Opposé à l'idée de toute forme d'euthanasie, François avait mis en garde contre "la perspective faussement digne d'une mort douce".

Un différend abordé par les deux chefs d'État à l'occasion d'un entretien l'année précédente. "Le pape sait que je ne ferai pas n'importe quoi", confiait alors Emmanuel Macron à l'issue de son audience avec le chef de l'Église.

La Corse plutôt que Notre-Dame

C'est enfin un dernier épisode qui marquera la relation entre le président de la République et le pape, mais aussi entre la France et ce pontificat, au sens plus large. Cinq ans après le spectaculaire incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l'Élysée a cherché à faire venir François à l'occasion de la réouverture, après un chantier titanesque dont Emmanuel Macron s'est satisfait de la réussite.

Comme le note Le Figaro, la présidence avait tenté de convaincre le pape en lui permettant de célébrer discrètement la première messe dominicale, au lendemain de la réouverture en grande pompe de la cathédrale ressuscitée. Un format censé apaiser le Vatican, qui aurait regretté qu'Emmanuel Macron prenne trop la lumière aux côtés du pape lors de sa venue dans la Cité phocéenne.

Une offre déclinée par le pape, qui préféra finalement se rendre en Corse. Il y sera malgré tout accueilli par Emmanuel Macron, qui a fait un aller-retour express spécialement pour un rendez-vous de 45 minutes au sein même de l'aéroport d'Ajaccio - un cadre bien différent des dorures respsectives de l'Élysée et du Saint-Siège.

Ce déplacement papal s'avérera être le tout dernier de ce pontificat de douze ans. Strasbourg, Marseille puis la Corse: le jésuite argentin aura finalement accordé trois déplacements à la France, le plus grand nombre de visites répétées durant son règne mais aucune visite diplomatique officielle.

"Des échanges très francs"

Au final, ces accrochages suffisent-ils à dire que les deux hommes n'entretenaient pas une bonne relation? Comme l'a résumé le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot mardi sur Franceinfo, "il y a eu à de nombreuses reprises des échanges très francs entre les deux chefs d'État", mais "chacun (était) dans son rôle".

"Ils ont traversé des crises ensemble, comme celle du Covid-19. Il y a eu des débats mais pas de frictions. Il y a eu des combats et des compagnonnages communs", explique à l'Agence France presse un proche du président, appelant à "ne pas exagérer les différences" entre le chef de l'État et celui de l'Église.

"Le pape aimait les Français, mais n'aimait pas le pouvoir, donc il n'est jamais allé à Paris. La question de migrants l'a mis en porte-à-faux avec toute l'Europe", explique sur BFMTV Mario Giro, ex-ministre des Affaires étrangères italien

Un point de vue bien identifié par Emmanuel Macron lui-même. Ce mercredi 23 avril dans une interview à TV5 Monde, le président de la République a rendu hommage au chemin "très singulier" de François tout au long de son pontificat. "Je crois qu'il a essayé à chaque seconde d'être le pape qu'il avait choisi d'être, d'être fidèle à cet enfant né en Argentine, qui avait fait l'essentiel de son office dans les quartiers pauvres de Buenos Aires. Il fallait beaucoup de volonté pour le faire, pour ne pas s'institutionnaliser", a reconnu Emmanuel Macron.

Tom Kerkour