La "sérénité" contre le "bruit" et la "fureur": comment Le Pen tente d'adoucir son image face à Zemmour

"Un FN gentil, ça n'intéresse personne". La citation est signée Jean-Marie dans Le Point, quelques jours après le débat raté de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron en 2017. C'est pourtant la stratégie adoptée par la candidate du Rassemblement national à moins de 70 jours du premier tour face à son rival Eric Zemmour.
Les deux s'affrontent à distance ce samedi: l'ex-polémiste attend environ 8000 partisans à Lille (Nord), pendant que Marine Le Pen réunit quelque 3000 personnes à Reims (Marne) pour une "convention présidentielle" - deux meetings à suivre en direct sur BFMTV.
Quand le premier ne cesse d'alimenter les polémiques, la seconde s'attache à répéter qu'elle ne "veut pas créer de fractures supplémentaires", mais "au contraire réconcilier, reconstruire, recoudre".
"Je retrouve chez Eric Zemmour toute une série de chapelles qui, dans l’histoire du FN, sont venues puis reparties remplies de personnages sulfureux", tance ainsi Marine Le Pen dans une interview au Figaro publiée ce jeudi. "Il y a les catholiques traditionalistes, les païens, et quelques nazis. Tout cela ne fait pas une posture présidentielle."
Des chats et une colocataire
Ces deux stratégies qui se font face ont semble-t-il un temps décontenancé les électeurs du RN, mettant en difficulté la candidate dans les sondages. Le jeu électoral à l'extrême droite s'est depuis stabilisé: Marine Le Pen est désormais au-coude-à-coude avec Valérie Pécresse pour accéder au second tour face à Emmanuel Macron tandis que l'ancien journaliste est distancé, quatrième des intentions de vote.
Sur les bancs du parti, on estime avoir dépassé le creux des sondages grâce à la "nouvelle version" de Marine Le Pen, qui en en est à sa troisième - et dernière, affirme-t-elle - campagne présidentielle et connaît mieux les rouages électoraux. On vante aussi le programme, conçu avec les Horaces, un groupe de hauts-fonctionnaires censés conseiller la candidate.
"Ce n'est pas Éric Zemmour qui nous change. On a surtout un projet beaucoup plus approfondi. Marine Le Pen a gagné en étoffe, en épaisseur. Elle est beaucoup plus professionnelle d'une certaine façon", juge son porte-parole Jean-Lin Lacapelle, auprès de BFMTV.com.
La communication de la candidate a également été pensée pour adoucir son image. Une vidéo pour France Inter dans laquelle elle raconte sa passion pour les chats ou encore sa participation à l'émission "Une ambition intime" sur M6 dans laquelle on découvre qu'elle vit en colocation avec une amie, un tract dévoilé par BFMTV ce vendredi sur lequel elle apparaît en photos aux côtés de ses aînées, d'un bébé ou d'un chat... Autant de séquences médiatiques qui font apparaître Marine Le Pen sous un jour nouveau.

"On est dans une séquence qui recentre sa personnalité. Elle apparaît comme équilibrée, évitant les polémiques", analyse le député européen RN Thierry Mariani, ancien transfuge des LR.
"La diabolisation, ça donne de l'audience"
Il faut dire que face à la campagne d'Éric Zemmour rythmée par les polémiques - d'une arme pointée sur la poitrine d'un journaliste à son doigt d'honneur à Marseille en passant à sa troisième condamnation par la justice en janvier -, celle de Marine Le Pen semble bien calme.
Parmi la vieille garde du Rassemblement national, souvent peu favorable à la députée du Pas-de-Calais, on jette un autre regard sur la situation en cours.
"Il est certain qu'Éric Zemmour vit ce que Jean-Marie Le Pen a vécu pendant des années", estime Bruno Gollsnich, l'ancien directeur de campagne du Menhir en 2002. "Il doit à la fois faire campagne sans appareil politique et vivre l'enfer de la chasse aux signatures tout en rencontrant la diabolisation. Le système ne peut pas avoir deux ennemis en même temps."
Là où certains au RN y voient une chance pour Marine Le Pen, le député européen s'inquiète. "Je constate que ce qu'elle dit ou fait a moins d'écho depuis qu'il est en campagne. C'est le bon côté de la diabolisation. Ça donne de l'audience à vos interventions", lâche l'ancien dauphin de Jean-Marie Le Pen.
Des propositions abandonnées
"On a abandonné certains sujets, c'est dommage", regrette encore Bruno Gollnisch. Des propositions, jugés trop clivantes, ont ainsi disparu du programme, à l'instar de la suppression de la double nationalité, sans prévenir l'état-major du parti.
"J'ai rencontré des milliers de gens. Par exemple, des Marocains qui, juridiquement, ne peuvent renoncer à leur nationalité car leur pays l'interdit. Je préfère mettre ce sujet de côté car c'est comme mettre du sel sur les plaies", a de son côté justifié Marine Le Pen devant des journalistes à Fréjus.
"C'est une évolution très intéressante. Elle semble d'une certaine façon vouloir donner à Zemmour l'image du candidat raciste tandis qu'elle serait celle qui est plus réaliste, celle qui ne veut pas diviser les Français", analyse l'histoire spécialiste de l'extrême droite Nicolas Lebourg.
L'universitaire ne manque cependant pas de rappeler que derrière la disparition de cette mesure, l'essentiel du programme est très stable, à commencer par la préférence nationale qui en reste la pierre angulaire.
Le risque d'être "très peu lisible"
C'est qu'en filigrane, Marine Le Pen est consciente du risque de perdre son essence contestataire et de devenir in fine un parti comme un autre. C'est l'une des raisons évoquées par Damien Rieu, l'un des cadres du RN qui a quitté le parti pour rejoindre l'équipe de Reconquête.
"En menant le combat des idées et en dénonçant le 'grand remplacement', la fusée Éric Zemmour a réussi à créer une dynamique inédite dans l'histoire politique", a ainsi expliqué le co-fondateur de Génération identitaire dans un tweet qui annonçait son départ.
En toile de fond de cette campagne présidentielle, c'est aussi l'avenir de la droite et de l'extrême droite qui se dessine. "Avec des LR qui tiennent un discours très droitier, le candidat de Reconquête qui se voit un avenir bien après la présidentielle et Marion Maréchal qui se tient en embuscade, son positionnement risque d'être très peu lisible", analyse Nicolas Lebourg, l'historien de l'extrême droite.
Auprès du Figaro, Marine Le Pen, elle, se dit "lassée du bruit et de la fureur", de "l’ivresse de la brutalité, des mots chocs et de la polémique permanente". La candidate vante désormais, au contraire, son "efficacité" et sa "sérénité".