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Poitiers

Mort d'Inès à Poitiers: la juge Gwenola Joly-Coz estime que ce féminicide appelle un "changement" d'approche

Au moins 1 200 personnes ont participé à une marche silencieuse en mémoire d'Inès Mecellem, 25 ans, à Poitiers, le 20 septembre 2025.

Au moins 1 200 personnes ont participé à une marche silencieuse en mémoire d'Inès Mecellem, 25 ans, à Poitiers, le 20 septembre 2025. - JEAN-FRANCOIS FORT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Inès Mecellem, 25 ans, a été poignardée le 8 septembre dernier par son ex-compagnon à Poitiers (Vienne). Par le passé, la jeune femme avait porté plainte cinq fois contre cet homme, principal suspect de l'affaire.

Le féminicide d'Inès Mecellem, poignardée le 8 septembre dernier à Poitiers (Vienne) alors qu'elle avait déposé plusieurs plaintes contre son ex-compagnon, nécessite de "changer" d'approche et de déplacer la focale sur l'auteur, estime la juge Gwenola Joly-Coz dans un entretien à l'Agence France-presse (AFP), ce mercredi 24 septembre.

La première présidente de la cour d'appel de Papeete (Polynésie française), très engagée sur la question des violences conjugales, doit remettre un rapport le 25 novembre prochain au garde des Sceaux Gérald Darmanin; un rapport qui portera, entre autres, sur les pistes d'amélioration de la justice en matière de violences intrafamiliales (Vif).

  • Quel regard portez-vous sur le féminicide de Poitiers?

Gwenola Joly-Coz:"Le féminicide d'Inès Mecellem est du même ordre que celui de Chahinez Daoud, brûlée vive en 2021 à Mérignac (Gironde). Ce féminicide avait amené à l'époque toutes les organisations à modifier leur comportement vis-à-vis des féminicides. Je pense que celui d'Inès Mecellem sera aussi un point de bascule, intellectuel, quasiment moral pour la France et pour son institution judiciaire.

Inès Mecellem avait fait tout ce que les institutions demandent: elle avait déposé plainte, elle avait un téléphone grave danger, elle avait quitté cet homme qui la menaçait. Elle avait fait tout ce qu'il fallait faire, donc cela met de côté tout le discours habituel sur "il faut que les femmes viennent déposer plainte, il faut qu'elles quittent les hommes violents". Cela force à changer de discours."

  • Que faudrait-il faire?

Gwenola Joly-Coz:"Ce féminicide nous dit résolument "tournons-nous vers l'auteur". Cet homme avait commis des faits qui étaient déjà d'une très haute criticité (strangulation et menaces de mort). Il faut que l'institution judiciaire arrive à déterminer quand il s'agit d'une "situation particulièrement grave".

Dès lors qu'un homme exprime "je vais te tuer" je pense que nous devons criticiser les situations, non simplement donner un téléphone grave danger à madame, mais contrôler monsieur."

Féminicides : comment y mettre fin et alerter
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14:52
  • Est-on au milieu du gué en matière de lutte contre les violences faites aux femmes?

Gwenola Joly-Coz:"Il reste encore beaucoup à faire mais l'institution judiciaire a beaucoup évolué depuis 20 ans.

Il y a eu les téléphones grave danger, les bracelets anti-rapprochement, les ordonnances de protection. On a beaucoup mieux protégé les femmes ces dernières années. Mais nous avons également évolué dans la poursuite des hommes. Aujourd'hui, 67.000 hommes sont suivis pour des violences conjugales en France, un quart en prison, trois quarts en probation, c'est quand même énorme.

Mais là où on n'est pas encore assez bon, c'est sur la prévention du féminicide. On a du mal parce que c'est compliqué. Il faut réussir à avoir une vraie grille de lecture, très claire, qui permette à tout le monde de comprendre que nous sommes dans une analyse genrée des violences, et que ces crimes sont des crimes de propriétaires, de domination."

  • Faut-il plus de budget?

Gwenola Joly-Coz:"Il faut des investissements budgétaires mais je ne suis pas d'accord avec l'analyse qui consiste à dire que le premier problème de l'institution judiciaire, c'est une question budgétaire. La justice a bénéficié de beaucoup de moyens, ce qui manque maintenant, c'est une pensée claire."

  • Vous allez remettre votre rapport le 25 novembre au garde des Sceaux, quelles sont les pistes envisagées?

Gwenola Joly-Coz:"Dans ce rapport que l'on remettra avec le procureur général de la cour d'appel de Bordeaux Eric Corbaux, il y a notamment la mise en place d'un juge VIF, un juge transversal qui s'occupe du civil et du pénal, de l'aspect violence mais aussi de l'aspect famille, du droit de visite et d'hébergement sur les enfants, de l'autorité parentale. Il faut que tout ça soit en commun, parce que la vie des gens n'est pas découpée en morceaux.

En 2019, le Grenelle de la lutte contre les violences faites aux femmes avait été un moment très important, il faut relancer une mobilisation, il faut un acte II. Les femmes nous disent que ça ne marche pas, donc il faut que nous fassions en sorte que ça marche. C'est notre responsabilité."

3919: le numéro de téléphone pour les femmes victimes de violences

Le "3919", "Violence Femmes Info", est le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...). C'est gratuit et anonyme. Il propose une écoute, informe et oriente vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge. Ce numéro est géré par la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF).

C.D. avec AFP