"D’ovni climatique" à modèle habituel: les canicules ressembleront-elles de plus en plus à celle de 2003?

Ce lundi 11 août, il a fait jusqu'à 42,1 °C à Angoulême (Charente), 42,1°C à Bergerac (Dordogne) et 41,5°C à Saint-Émilion (Gironde). Et il n'avait jamais fait aussi chaud dans ces villes depuis le début des relevés météorologiques. Les précédents records, eux, dataient d'août 2003.
La France vit actuellement sa 51e vague de chaleur recensée depuis 1947. Si cette deuxième canicule de l'été est particulièrement intense, elle ne devrait toutefois pas être aussi sévère que celle de 2003, malgré plusieurs records locaux dépassés. Mais plus de vingt ans après, la canicule d'août 2003 reste une référence absolue en matière d'intensité, de durée et d'impact sanitaire.
Une canicule durable et étendue
Cette canicule est, en effet, identifiée comme la vague de chaleur la plus forte qu’a connue la France métropolitaine depuis le début des mesures. Cela s'explique par sa durée dans le temps, par son extension géographique et par son intensité, c'est-à-dire les niveaux de chaleur atteints. "C'est ce qui donne une sévérité, une chaleur cumulée au cours de l'épisode, particulièrement remarquable", explique Lauriane Batté, climatologue à Météo-France.
D'abord, la canicule de 2003 s'inscrit dans "un été exceptionnellement chaud en France mais surtout l'ensemble de l'Europe", rappelle-t-elle.
En juin 2003, une vague de chaleur s'abat sur le sud de l'Hexagone. Il reste à ce jour le mois de juin le plus chaud jamais enregistré (avec une anomalie de +3,6°C par rapport aux normales). Le mois suivant, un deuxième épisode touche la métropole. "Début août, le mercure grimpe à nouveau pour atteindre des niveaux de chaleur jamais atteints, sur tout le pays et sur une grande partie de l'Europe Occidentale", raconte Météo-France.
Cette canicule est notamment historique en raison de son étendue. Lors de la vague de chaleur de juin-juillet 2025, 84 départements ont été placés en vigilance orange canicule. "Du jamais-vu", selon la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher. Mais comme le note La Croix, si ce dispositif d'alerte avait existé en 2003, ce chiffre aurait été encore plus important. "Selon des simulations réalisées a posteriori, la vigilance orange aurait été activée sur une grande majorité des départements durant les quinze premiers jours d'août", explique un prévisionniste de Météo-France au Monde.
Des températures suffocantes
La canicule de 2003 est aussi exceptionnelle par sa durée: deux semaines de chaleur extrême, entre le 2 août et le 17 août. "Les 35°C ont été dépassés pendant des séries allant jusqu'à douze jours à Bordeaux, Toulouse ou encore Carcassonne, et jusqu'à onze jours à Lyon par exemple", illustre Lauriane Batté. Plus étonnant peut-être, dans l'Yonne, Auxerre atteint ou dépasse les 40°C durant sept jours consécutifs.
L'historique canicule de 2003, c'est aussi la journée la plus chaude jamais relevée à l’échelle de la France. Le 5 août, le pays vit une journée suffocante avec une température moyenne de 29,4°C à l'échelle nationale. Pour la canicule actuelle, "les modèles actuels anticipent un pic aux alentours de 28,5°C, ce qui placerait cet épisode légèrement en retrait en intensité" par rapport à 2003, écrit La Chaîne météo.
15.000 décès
Si l'été 2003 a profondément marqué les esprits, c'est aussi en raison de la surmortalité qu'il a entraînée. Entre le 1er et le 20 août, environ 15.000 personnes sont mortes à cause des fortes chaleurs.
Les personnes âgées, dépendantes ou vivant seules, ont particulièrement été touchées. En Île-de-France, la mortalité a augmenté de 100 à 130% selon les départements.
Cet épisode meurtrier a déclenché une prise de conscience collective sur les risques liés aux fortes chaleurs. Les pouvoirs publics ont décidé toute une série d’actions préventives pour protéger la population: système d'alerte, campagnes d’information, formation du personnel de santé, mesures dans les établissements accueillant des personnes vulnérables...
Selon Santé publique France, près de 33.000 décès liés aux fortes chaleurs ont été comptabilisés entre 2014 et 2022. Chaque année, on compte toujours entre 1.500 et 2.000 décès, principalement des personnes âgées à cause de la chaleur.
Des records de 2003 battus
La canicule de 2003 demeure donc la plus sévère jamais enregistrée en France par sa durée, son étendue géographique et son intensité. Mais depuis, des vagues de chaleur ont parfois dépassé certains records. Localement par exemple, à Paris, les 39,5°C du 11 août 2003 ont été battus de trois degrés le 25 juillet 2019 (42,6°C, record absolu).
L'intense été de 2019 a également vu une pointe à 46°C être atteinte à Vérargues (Hérault). Il s'agit de la température la plus élevée jamais enregistrée en France. En 2003, c'est le village de Conqueyrac (Gard) qui avait à l'époque pulvérisé le record avec 44,1°C recensé.
De son côté, la palme de la journée la plus chaude enregistrée à travers le pays n'a pas été dépassée mais seulement égalée avec une température moyenne de 29,4°C ce même 25 juillet 2019.
Les canicules se multiplient et s'intensifient
Car depuis 2003, le dérèglement climatique s'est accéléré et ses conséquences se font de plus en plus ressentir. Il rend les vagues de chaleur plus précoces et tardives dans la saison, plus fréquentes, plus longues et plus intenses.
Si pour l'heure, aucune canicule n'a atteint la sévérité de celle de 2003, ces épisodes se sont multipliés. Selon Météo-France, la France a connu 51 vagues de chaleur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, 17 d'entre elles ont été recensées entre 1947 et 2000 et... 34 depuis.
La hausse des températures à l'échelle mondiale, liée aux émissions de gaz à effet de serre générées par nos activités humaines, se caractérise notamment par des flambées exceptionnelles du thermomètre. "En 2019, 37% des stations représentatives avaient dépassé le seuil des 40°C", illustre à cet égard Lauriane Batté de Météo-France. "Avant, ce pourcentage était anecdotique, mis à part en 2003 où il était de 20%".
Il est donc de plus en plus probable qu'une vague de chaleur atteigne, voire dépasse, les niveaux de sévérité de 2003. "La canicule de 2003 était considérée comme un ovni climatique, un impensable, un événement de cygne noir. Désormais, nous la titillons chaque été davantage... et ce en 20 ans seulement", alerte ainsi sur les réseaux sociaux le climatologue Christophe Cassou.
Et le terme "titiller" est presque déjà obsolète. Selon Lauriane Batté, cette canicule d'août 2025 est "comparable à août 2003 en Occitanie".
"Si on regarde les simulations climatiques pour la fin du 21e siècle, on se rend compte que l’été 2003, qui était une exception, pourrait devenir un été moyen", abonde dans le même sens Pascal Yiou auprès de l'Humanité.
Dans une France à +4°C d'ici 2100 (par rapport aux niveaux préindustriels), des températures supérieures à 40°C pourraient se produire tous les ans, et des pics inédits de chaleur pourraient atteindre jusqu'à 50°C localement. À la fin du siècle, il faudrait s'attendre à dix fois plus de jours de vague de chaleur.
Vers un 2003 encore plus chaud?
La canicule de 2003 a été causée par une situation de blocage anticyclonique classique de la saison. Cependant, "l'air très chaud et sec, emprisonné sous un dôme de chaleur, s'est maintenu pendant une durée inhabituelle", explique Météo-France. C'est ce qu'on appelle la variabilité naturelle du climat.
En revanche, cet été-là, les effets du réchauffement climatique étaient déjà perceptibles. Des études ont ainsi montré que la probabilité, déjà faible, d'avoir un tel événement avait déjà été multiplié par 200 par rapport à l'ère préindustrielle.
S'il est donc de plus en plus probable que l'on connaisse une canicule de l'ampleur de celle de 2003, il faut également noter que si des conditions météorologiques similaires se reproduisaient, il ferait beaucoup plus chaud. En effet, avec des températures moyennes plus élevées, une anomalie comme celle de 2003 ferait grimper le mercure bien plus haut.
"Un épisode de 11 jours avec le même niveau de chaleur que celui observé en 2003 a désormais (en 2023) 0,8% de chances de se produire, c’est-à-dire que sa probabilité a été multipliée par un facteur 10 environ", explique à ce titre Météo-France, ajoutant: "Si une canicule aussi rare venait à se reproduire (vingt ans plus tard), elle serait 1,1°C plus chaude que celle de 2003".