Prévention, hôpitaux... Quels sont les progrès réalisés pour lutter contre la canicule depuis 2003?

Une résidente de maison de retraite regarde par la fenêtre depuis son fauteuil roulant, dans un EHPAD de Saint-Sulpice-La-Pointe, dans le sud-ouest de la France, le 4 janvier 2023. Photo d'illustration - Charly TRIBALLEAU / AFP
"Nous sommes préparés, beaucoup plus qu'il y a vingt ans". À l'issue d'une réunion interministérielle ce dimanche 29 juin, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a assuré que la France était "mieux préparée" qu'en 2003 à faire face à l'intense épisode de canicule que connaît actuellement l'Hexagone.
En 2003, la France a été frappée par une vague de chaleur inédite: 15.000 personnes sont mortes entre le 1er et le 20 août. La ministre a-t-elle raison en avançant une meilleure préparation? La réalité est plus nuancée.
Un dispositif de surveillance déclenché chaque été
Après 2003, l'État s'est en effet pour la première fois emparé de la question. "2003 a été un véritable tournant", affirmait en 2023 à nos confrères des Echos Karine Laaidi, chargée de projets scientifiques à Santé publique France. Dès 2004, "un dispositif national de gestion sanitaire des vagues de chaleur" a été mis en place. Ce dispositif repose sur la création la même année de la "vigilance canicule" par Météo-France permettant de prévoir ces vagues de chaleur.
Alors que les épisodes caniculaires se sont multipliés et intensifiés dans un contexte de changement climatique ces dernières années, le "plan national canicule" a depuis été retravaillé.
Ce plan indique s'appuyer sur 5 principes: "la mise en œuvre de mesures de protection des personnes à risques hébergées en institutions", "le repérage des personnes à risques isolées", la surveillance des données sanitaires, "la solidarité", et enfin "la communication aux échelons national et local".
Dans le détail, chaque année désormais, entre le 1er juin et le 15 septembre, Santé publique France déclenche automatiquement une surveillance quotidienne des données sanitaires, comme des recours aux soins d'urgence à cause de la chaleur. En fonction des vigilances décrétées par Météo-France, l'autorité sanitaire intensifie sa surveillance.
Mais la gestion des vagues de chaleur repose aussi, et surtout, sur les collectivités, tant au niveau des régions, des départements que des communes. Les collectivités sont appelées à déployer tout un arsenal de mesures pour tenter de soulager leurs administrés: cartes indiquant les endroits climatisés, gratuité des piscines ou des musées, parcs ouverts tard, maraudes pour les sans-abris...
Des registres ont également été ouverts dans les mairies pour que les personnes fragiles, handicapées ou les personnes âgées s'inscrivent et soient contactées en cas de canicule. Depuis 2021, un dispositif Orsec, un plan d'urgence polyvalent de gestion de crise sous l'autorité du préfet, est prévu.
Concernant la protection des travailleurs, de nouvelles mesures entreront en vigueur ce mardi 1er juillet. Les employeurs seront désormais soumis à un certain nombre d'obligations envers leurs salariés lors des périodes de fortes chaleurs, graduées en fonction des alertes lancées par Météo-France. Ils devront par exemple "adapter les horaires de travail", faire en sorte que la chaleur s'accumule moins dans les locaux professionnels ou encore les entreprises devront fournir des équipements de protection individuelle.
La prévention et la communication au coeur du plan canicule
Le "plan" de l'État mise aussi particulièrement sur la prévention et la communication. "Les mesures à mettre en œuvre en cas de survenue d’une canicule (vigilance météorologique orange) sont principalement des mesures de sensibilisation de la population et d’adaptation des comportements, incitant à l’adoption de mesures de protection individuelle", écrit le ministère de la Santé sur son site.
En cas de vigilance orange ou de vigilance rouge - ce mardi 16 départements seront en vigilance rouge et 68 en vigilance orange - "des actions de communication complémentaires à celles mises en œuvre par les acteurs locaux peuvent être déclenchées au niveau national", affirme le ministère de la Santé.
Un numéro-vert "Canicule info service" joignable au 0 800 06 66 66 est activé. Ce numéro vise à donner des conseils pour faire face aux fortes chaleurs. Il peut aussi également être demandé aux médias de diffuser à la télévision ou à la radio des spots de prévention. Des partenariats avec les entreprises de transports peuvent être noués. Et Santé publique France communique massivement sur les réseaux sociaux.
"Un des rares progrès que l'on a fait depuis 2003, c'est que l'on diffuse beaucoup de conseils", estime sur BFMTV-RMC Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France.
L'obligation d'avoir une pièce réfrigérée dans les établissements de santé
Le "plan national canicule" porte une attention particulière aux établissements acaccueillant un public fragile, soit les hôpitaux, les établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les écoles.
Après 2003, les établissements hébergeant des personnes âgées ont dû rédiger "un plan bleu" indiquant un protocole à suivre en cas de situation de crise.
Selon l'AP-HP, les "hôpitaux s'organisent pour mettre en place des actions concrètes telles que le rafraîchissement des locaux d'hospitalisation, l'accueil des personnes à risque dans des pièces climatisées, ou encore l'anticipation d'une plus grande affluence aux urgences". Depuis 2003, il est obligatoire de mettre à la disposition des patients ou des résidents au moins une salle climatisée.
"Dans les Ehpad, on n'est pas dans la situation qu'on a connue en 2003, il y a la climatisation dans tous les Ehpad (...) Tous les établissements ont l'obligation d'avoir une pièce réfrigérée...", affirme sur BFMTV Eric Fregona, directeur adjoint de l'association des directeurs au service des personnes âgées.
Un gérant d'un Ephad à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) précise que les sorties extérieures sont interdites ou encore qu'un suivi protocolisé de l'hydratation des résidents a été mis en place. "Nous sommes très vigilants parce qu'on a été sensibilisés en 2003 par cette grande canicule", déclare Paul Bensadoun, gérant de l'Ehpad les Figuiers.
"On n'a rien appris de la canicule et de la crise Covid"
Cependant dans les faits, d'autres spécialistes tirent la sonnette d'alarme. Le nombre de décès dû aux fortes chaleurs reste élevé. Selon Santé publique France, près de 33.000 décès liés aux fortes chaleurs ont été comptabilisés entre 2014 et 2022. Chaque année, on compte toujours entre 1.500 et 2.000 décès, principalement des personnes âgées à cause de la chaleur.
"Le problème des urgences, c'est que nous sommes en situation de crise permanente", déplore Christophe Prudhomme, porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France.
"On n'a pas de lit, et encore moins pendant l'été parce que nous sommes à flux tendu sur le personnel, car il faut que le personnel parte en vacances", abonde-t-il. "On va avoir cet été des gens qui vont être sur des brancards pendant 24-48 heures, c'est source de mortalité".
Christophe Prudhomme pointe du doigt le gouvernement qui veut faire des économies et ainsi "tirer sur la corde en permanence". "On n'a rien appris de la canicule et de la crise Covid", constate-t-il.
Des bâtiments toujours inadaptés aux fortes chaleurs
Autre problème soulevé face aux températures qui grimpent localement jusqu'à 40°C: l'inadaptation des logements dans l'Hexagone. "Le problème que nous avons en France, c'est que nos logements sont complétement inadaptés", explique Christophe Prudhomme. "Il y a des chambres d'hospitalisation où il fait 35°C, comment vous voulez qu'une personne qui vient d'être opérée puisse supporter ces températures?", s'exclame-t-il.
Les établissements scolaires sont eux aussi inadaptés. Quelque 200 écoles publiques, sur 45.000, font l'objet d'une fermeture partielle ou totale jusqu'à mercredi. L'ancienne ministre de l'Environnement Ségolène Royal a déploré ce dimanche que le "programme de travaux d’isolation sur les écoles et les bâtiments publics lancé en 2015" ait été arrêté.
"On attend des responsables politiques qu'ils agissent, qu'ils expliquent pourquoi on est aujourd'hui obligé de fermer les écoles qui ne correspondent pas aux normes d'isolation", a-t-elle réagi sur le plateau de BFMTV.
Alors que Météo France table sur 10 fois plus de jours de vagues de chaleur d’ici 2100 dans l'Hexagone à cause du changement climatique, Christophe Prudhomme appelle "à mettre le paquet pour rénover les habitats et rénover les villes".