Syrie: les enjeux de la bataille de Raqqa

C'est l'emblème d'un régime de terreur. La force arabo-kurde soutenue par les États-Unis a lancé une grande offensive pour reprendre Raqqa, la "capitale" de Daesh en Syrie. Baptisée "Colère de l'Euphrate", l'offensive a débuté samedi soir sous la houlette des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance anti-Daesh dominée par les Kurdes, qui comprend aussi des combattants arabes et turkmènes. Depuis, cette force s'est emparée de dix villages et de plusieurs hameaux de cette région du nord de la Syrie. Les enjeux de la bataille de Raqqa sont multiples.
Un symbole pour Daesh
Raqqa, ville de 240.000 habitants proche de la frontière turque, c'est le fief syrien du groupe terroriste. La charia y est appliquée de façon extrêmement violente. Dans le centre-ville, le rond-point paradis a été rebaptisé "rond-point de l'enfer". De nombreuses exécutions y ont été menées. C'est aussi sur cette place qu'étaient vendues les femmes yézidies comme esclaves sexuelles.
"C'est une ville symbole de la terreur, analyse pour BFMTV Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l'Institut d'études politiques de Paris. Raqqa est aussi le symbole de l'abattement de ces frontières considérées comme impérialistes et occidentales entre la Syrie et l'Irak. C'est la raison pour laquelle Daesh avait choisi ce bourg. Le jour où Raqqa sera réellement perdue par Daesh, l'État islamique aura perdu tout ou partie de son prestige."
Selon Ulysse Gosset, spécialiste des questions internationales pour BFMTV, reprendre Raqqa aux islamistes serait porteur d'un message fort. "C'est la première ville qui soit tombée aux mains de Daesh. La bataille ne fait que commencer mais elle est très importante, car elle dit aux islamiques qu'il n'y a pas que leur fief de Mossoul en Irak qui est combattu."
Affaiblir le groupe terroriste
Distantes de près de 400 km, Mossoul et Raqqa sont les deux dernières grandes villes contrôlées par le groupe terroriste qui a perdu une grande partie des territoires conquis en 2014 en Syrie et en Irak. "La ville est bombardée depuis plus de deux ans par les forces aériennes de la coalition pour essayer de réduire les capacités d'action, en détruisant des centres de commandement, des dépôts de munitions mais aussi des attaques plus ciblées", précise Ulysse Gosset. Objectif de ce nouveau front à Raqqa: accroître la pression sur les jihadistes acculés en Irak.
"L'enjeu, c'est d'infliger une défaite cuisante à Daesh pendant le siège de Mossoul, pointe pour BFMTV Christian Makarian, directeur délégué de la rédaction de L'Express. C'est une opération en tenaille. Quand Mossoul a commencé à être investi, on a vu des éléments de Daesh fuir vers Raqqa. En attaquant ces deux villes en même temps, il y a une vraie stratégie militaire tactique pour étrangler l'organisation terroriste."
Contrer l'intervention des Russes
Le régime de Bachar al-Assad, soutenu par la Russie et l'Iran, tente par tous les moyens de reconquérir Alep, en Syrie. Depuis septembre dernier, les bombardements, que Moscou juge "légitimes", se sont intensifiés. L'Observatoire syrien des droits de l'homme a fait état de raids de l'aviation russe et de largages de barils d'explosifs.
"Ce serait une victoire massive de la coalition occidentale contre ce que les Russes, les Iraniens et les forces de Bachar al-Assad sont en train d'entreprendre à Alep depuis des semaines: écraser l'est de la ville au prix de pertes atroces chez les civils syriens innocents, ajoute Christian Makarian. En remportant Raqqa, on donnerait une leçon de rapidité, d'efficacité et de réduction des drames dans la population civile."
- Prendre de vitesse la Turquie
Seconde puissance militaire de l'OTAN, la Turquie ne supporte pas d'être tenue à l'écart. Le premier ministre irakien a refusé qu'Ankara prenne part à la bataille de Mossoul. "Le président Erdogan, en défenseur des sunnites, veut voir reconnaître les villes de Kirkouk et de Mossoul -deux anciennes entités administratives de l'Empire ottoman- comme faisant partie de la zone", analyse Le Monde.
Depuis le mois d'août, la Turquie a lancé des opérations contre Daesh. Début novembre, Ankara a envoyé des chars et canons près de la frontière irakienne. Objectif: freiner l'influence des Kurdes.
"C'est la partie secrète de cette opération, remarque Christian Makarian. Ce sont les Forces démocratiques syriennes qui mènent l'offensive parmi lesquelles il y a majoritairement des Kurdes. C'est aussi une manière de prendre de vitesse la Turquie, furieuse de voir les Kurdes s'emparer du nord de la Syrie."
Les ordres des attentats de Paris depuis Raqqa
D'après les experts, environ 700 jihadistes français ou résidents en France se trouvent en zone irako-syrienne. À l'automne 2015, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve estimait qu'il y avait 5.000 Européens venus de France, d'Allemagne, de Belgique, du Royaume-Uni, de Suède ou d'Espagne "parmi les quelques 20.000 combattants étrangers présents" dans cette région. Quelque 200 à 300 d'entre eux seraient présents à Raqqa.
"C'est la ville où se trouvent le plus de jihadistes français, indique pour BFMTV Nicolas Hénin, spécialiste du jihadisme. C'est notamment la ville d'où ont été lancés plusieurs attentats qui ont frappé la France depuis un an et demi."
En août 2015, un jihadiste français de retour de Syrie avait été arrêté par la DGSI. Aux enquêteurs, le jeune homme avait raconté qu'à son arrivée à Raqqa, en Syrie, il avait été reçu par Abdelhamid Abaaoud qui lui avait demandé de revenir en France et de frapper lors d'un concert. Le commanditaire présumé des attentats de Paris était notamment chargé d'envoyer des volontaires en Europe pour y commettre des attentats.