Bombardements, risque de "famine", population déplacée... Quelle situation à Gaza avant la nouvelle offensive israélienne?

Israël ira "jusqu'au bout". Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé ce mardi 13 mai que l'armée allait prochainement entrer avec "toute sa force" dans la bande de Gaza, dont elle contrôle déjà de large pans.
"Il n'y aura aucune situation où nous arrêterons la guerre", a-t-il prévenu, évoquant simplement la possibilité de "trêve temporaire" pour assurer la libération d'otages toujours retenus à Gaza.
Depuis qu'il a repris sa guerre contre le Hamas le 18 mars, le gouvernement de droite et d'extrême droite israélien est confronté à des critiques internationales croissantes, notamment pour le blocage d'une aide vitale pour les Gazaouis qui plonge le territoire dans une "catastrophe humanitaire" selon l'ONU. Mardi, Emmanuel Macron a qualifié l'action d'Israël de "honte", provoquant la colère de Benjamin Netanyahu.
· Des bombardements meurtriers
Les bombardements de l'armée israélienne font chaque jour des dizaines de morts dans un territoire palestinien déjà dévasté par un an et demi de guerre. La Défense civile palestinienne a recensé ce mercredi au moins 80 Palestiniens tués dans des frappes israéliennes et 103 autres au cours de la journée de ce jeudi 15 mai.
Ces bombardements portent à 52.928 le nombre total de morts dans le territoire palestinien depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas jugés fiables par l'ONU. Parmi ces victimes, 2.300 ont perdu la vie depuis la rupture de la trêve et la reprise des combats le 18 mars.
"En l’espace de près de 18 mois de guerre, plus de 15.000 enfants auraient été tués et plus de 34.000 autres blessés", rappelle également l'Unicef.

· Un projet de déplacement de la population
Le 5 mai, Israël a annoncé une nouvelle campagne militaire sur la bande de Gaza, qui prévoit la "conquête" du territoire palestinien. Cette campagne nécessitera le déplacement interne de "la plupart" de ses habitants, selon l'armée, qui dit avoir rappelé des "dizaines de milliers de réservistes".
"Nous avons mis en place une administration qui leur permettra de partir, mais le problème de notre côté se résume à une seule chose: nous avons besoin de pays prêts à les accueillir. C'est sur cela que nous travaillons actuellement", a déclaré Benjamin Netanyahu.
"Si nous leur offrons la possibilité de partir, je vous le dis, plus de 50% partiront, et je pense même bien davantage. Mais le Hamas ne sera plus là", a-t-il ajouté en rappelant qu'un des objectifs de la guerre était de détruire le mouvement islamiste palestinien.
Israël bénéficie pour cela du soutien total des États-Unis dont le président rêve de faire de l'enclave la "Riviera du Moyen-Orient". Ce jeudi, Donald Trump a déclaré qu'il souhaitait que les États-Unis "prennent" la bande de Gaza pour en faire une "zone de liberté".
Les habitants sont soumis depuis le début de la guerre à d'incessants déplacements au gré des opérations de l'armée israélienne. Actuellement, 71% du territoire gazaoui est occupé par les soldats israéliens et/ou concerné par des ordres d'évacuation de l'armée, selon le buureau de l'ONU de la coordination des affaires humanitaires.
· Un risque de "famine de masse"
Plus aucune aide humanitaire n'est entrée depuis le 2 mars dans le territoire palestinien, et nombre d'organismes, dont Médecins du Monde, Médecins sans frontières ou Oxfam, ont alerté sur le risque d'une "famine de masse" si le blocus de l'aide par l'armée israélienne se poursuit. Le Programme alimentaire mondial, comme d'autres ONG, a annoncé il y a quelques jours avoir "épuisé tous ses stocks" sur place.
Le Cadre Intégré de Classification de la sécurité alimentaire, qui fait autorité dans la classification des situations d'insécurité alimentaire, a évoqué "un risque critique de famine" dans son dernier rapport publié le 12 mai. Pour la période du 1er avril au 10 mai, le consortium, qui classe le niveau d'insécurité alimentaire selon cinq niveaux, indique que 37% des Gazaouis étaient en situation de crise (niveau 3), 44% en situation d'urgence (niveau 4) et 12% en situation de "catastrophe" (niveau 5).
Pour décréter le niveau 5, établissant une famine avérée, au moins 20% de la population doit souffrir de pénuries alimentaires extrêmes, un enfant sur trois doit souffrir de malnutrition aiguë et deux personnes (ou quatre enfants) sur 10.000 doivent mourir chaque jour de la faim ou d'une maladie liée à la malnutrition.

La situation se détériore de jour en jour. Médecins sans Frontières indique à l'AFP que ses équipes médicales sur place ont "observé une augmentation de 32% du nombre de patients présentant des symptômes de malnutrition au cours des deux dernières semaines".
Selon un récent rapport de Médecins du Monde, la malnutrition touche en particulier les mères et leurs nourrissons. "Près d'un nourrisson de moins d'un an sur quatre et quasiment 20% des femmes enceintes et allaitantes vus dans nos centres de santé souffrent de malnutrition aiguë", explique à BFMTV Léa Gauthier, responsable de plaidoyer au sein de l'ONG française.
Ces chiffres peuvent rapidement chuter si Israël mettait fin au blocus, insiste l'humanitaire: "après l'entrée en vigueur de la trêve, on a vu les taux de malnutrition aiguë chez les enfants passer de 17% en novembre 2024 à 2,7 % en février 2025".
· Une fondation sous contrôle israélien pour gérer l'aide?
Une ONG, créée de toutes pièces et soutenue par les États-Unis, la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), a annoncé mercredi qu'elle entendait commencer à distribuer de l'aide dans la bande de Gaza assiégée par Israël d'ici la fin du mois de mai.
La Fondation assure qu'à sa demande Israël "a accepté d'augmenter le nombre de points de distribution pour desservir l'ensemble de la population de Gaza, et de trouver des solutions pour la distribution de l'aide aux civils qui ne sont pas en mesure d'atteindre un point de distribution".
Mais l'initiative suscite la colère des organisations humanitaires. "On craint une mainmise totale des autorités israéliennes et de l'armée sur la distribution de l'aide humanitaire, avec énormément de crainte sur l'impartialité de l'aide", déplore Léa Gauthier de Médecins du Monde. "Nous, notre seul critère, c'est les besoins. Mais on sait que ça ne sera pas le cas pour les autorités israéliennes et pour cette prétendue fondation".
En outre, l'humanitaire précise que cette pratique serait "contraire au droit international humanitaire qui prévoit que les organisations impartiales comme les nôtres puissent avoir accès aux populations qui en ont besoin".
MSF voit dans ce "plan israélien de contrôle de l’aide humanitaire" un "pas de plus vers l’éradication des Palestiniens à Gaza", selon un communiqué diffusé ce mercredi.
· Le système de santé à genou
La situation des systèmes de santé est critique à Gaza. "Les structures de santé qui fonctionnent encore – déjà insuffisantes en nombre et en capacité pour la population – continuent d’être attaquées et sont frappées par des ruptures de stock de médicaments et d’autres fournitures essentielles", résume MSF dans son communiqué.
Les dernières fournitures que les équipes de MSF ont pu acheminer à Gaza ont été trois camions de fournitures médicales le 27 février. "Les efforts d'aide sont restés limités par les exigences obligatoires et non transparentes des autorités israéliennes en matière d'autorisation préalable - et souvent par le rejet - des articles dits à double usage tels que les scalpels, les ciseaux, les concentrateurs d'oxygène, les unités de désalinisation et les générateurs", critique encore l'organisation.
Sur place, les drames se succèdent. "Il n'y a pas assez de lits, pas de médicaments et aucun moyen de traitement", a témoigné pour l'AFP Mohammad Awad, urgentiste à l'hôpital indonésien près de Jabalia. "De nombreux blessés meurent faute de soins", a-t-il dit, décrivant des corps "gisant par terre, dans les couloirs de l'hôpital".
Dans l'incapacité de soigner correctement malades et blessés, les soignants sont eux-mêmes victimes des pénuries. "Que ce soit les Gazaouis ou nos collègues, beaucoup de personnes sont obligées de boire de l'eau qui est non potable ou alors de l'eau salée pour réserver les quelques litres d'eau potable qu'elles peuvent encore trouver pour les enfants ou pour les personnes âgées", illustre Léa Gauthier.