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Déroute ou "présence symbolique": l'Ukraine a-t-elle résisté à la contre-offensive russe à Koursk?

Un combattant d'un bataillon tchétchène marche sur une route près du village de Kazachya Loknya, précédemment tenu par les troupes ukrainiennes et récemment repris par les forces armées russes, dans le district de Sudzha de la région de Koursk, le 18 mars 2025,

Un combattant d'un bataillon tchétchène marche sur une route près du village de Kazachya Loknya, précédemment tenu par les troupes ukrainiennes et récemment repris par les forces armées russes, dans le district de Sudzha de la région de Koursk, le 18 mars 2025, - TATYANA MAKEYEVA / AFP

Alors que Moscou revendique le contrôle de l'intégralité de la région russe de Koursk, Kiev dément et affirme continuer son offensive lancée par surprise en août dernier. Selon des experts, l'Ukraine, défaite, ne dispose plus que d'une présence "symbolique" dans la région sans poids militaire.

Le maître du Kremlin s'enorgueillit de la reprise de sa région de Koursk, sous les feux ukrainiens depuis août 2024. C'est le chef d'état-major de l'armée russe, Valéri Guérassimov, qui a annoncé ce samedi 26 avril la "libération" de "la dernière localité sur le territoire de la région de Koursk, le village de Gornal", lors d'une réunion par vidéoconférence et diffusée à la télévision d'État russe.

"L'aventure du régime de Kiev a complètement échoué", s'est immédiatement félicité Vladimir Poutine.

La victoire russe à Koursk est toutefois contestée par l'Ukraine. Le président Volodymyr Zelensky a assuré dimanche que l'armée ukrainienne poursuivait ses opérations dans cette région frontalière russe. Des responsables militaires ukrainiens avaient également rejeté la veille les "fausses" affirmations de l'état-major de l'armée russe, dénonçant "la propagande" de Moscou.

Une présence ukrainienne désormais "symbolique"

Dans les faits, selon les experts interrogés par BFMTV.com, les troupes ukrainiennes sont encore frugalement présentes dans la région de Koursk, seulement à quelques kilomètres au-delà de la frontière et dans quelques petits villages.

"Physiquement, ils sont encore présents et il y a des incursions de part et d'autre de la frontière, mais ce n'est que symbolique", estime Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé au think thank Euro Créativ, contacté par BFMTV.com.

Pour lui, la "valeur stratégique" de la présence ukrainienne dans cette région russe a été réduite à peau de chagrin quand les Russes ont repris la ville de Soudja le 13 mars dernier. Cette localité de 5.000 habitants constituait la principale prise des Ukrainiens dans la région.

Selon un blog militaire proche de l'armée ukrainienne DeepState cité par The Kyiv Independent, l'Ukraine continue de tenir des positions limitées dans le village de Gornal et près d’Oleshnya.

"Aujourd'hui il semblerait que Kiev occupe 30km2 de superficie à Koursk, soit l'équivalent de la ville de Vannes (Morbihan). Ce n'est rien", note le général Jérôme Pellistrandi, notre consultant défense.

Au plus fort de son incursion surprise dans la région de Koursk en août 2024 - portant pour la première fois la guerre sur le territoire russe depuis la Seconde Guerre mondiale - l'Ukraine avait réussi à contrôler jusqu'à 1.400 km2. Mais l'armée russe n'a pas tardé à entamer une contre-offensive pour faire face à cet affront.

En février, près des deux tiers des territoires conquis par l'Ukraine en Russie étaient repris. Le 13 février, Kiev a déclaré contrôler 500km2 de cette région, soit deux tiers de moins que les 1.400 km2 revendiqués au début de l'attaque. Ces dernières semaines, les troupes ukrainiennes ont continué de reculer dans cette zone du front, l'armée russe avançant petit à petit.

Poutine salue l'"héroïsme" des soldats nord-coréens déployés

Pour reconquérir ces terres, les Russes ont fait appel à l'aide de soldats nord-coréens. Jusqu'à 11.000 soldats nord-coréens ont été déployés dans la région de Koursk en octobre dernier selon Séoul, Kiev et Washington.

Vladimir Poutine a fait l'éloge ce lundi 28 avril de l'"héroïsme" de ces soldats qui ont selon lui "pris une part active" dans les combats dans la région de Koursk et "défendu la Patrie comme la leur".

Moscou a reconnu pour la première fois leur participation au conflit. Tout comme la Corée du Nord rompant avec son silence jusqu'alors sur cette question. Sur les 12.000 soldats nord-coréens engagés, plus de 3.000 auraient été tués ou blessés, selon Volodymyr Zelensky.

Le général Jérôme Pellistrandi se dit "surpris" par cet aveu de la part de Moscou. "En confirmant la présence de soldats nord-coréens, Poutine avoue une certaine faiblesse militaire", estime-t-il. "La Russie a mis beaucoup de temps à reconquérir le territoire, et de plus, avec l'appuie de la Corée du Nord", abonde le rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

Alors que Donald Trump tente tant bien que mal de mettre Kiev et Moscou à la table des négociations, Jérôme Pellistrandi craint que la reconnaissance de la présence de soldats nord-coréens "n'accroisse la colère et l'impatience" du président américain.

"Cela ne peut qu'agiter un chiffon rouge devant le taureau Trump", image-t-il soulignant que "la guerre de Corée reste un traumatisme pour les États-Unis".

Un bilan difficile à tirer

La reprise de Koursk tombe à pic pour le maître du Kremlin: il va pouvoir s'en glorifier lors des commémorations du 80e anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie, malgré l'échec global de son "opération éclair en Ukraine". Le président russe a d'ailleurs décidé unilatéralement d'une trêve de trois jours à cette occasion, du 8 au 10 mai.

"La reprise de Koursk donne à Poutine un peu plus de marge de manœuvre, les coudes un peu plus francs pour décider unilatéralement d'une trêve", souligne l'analyste géopolitique, Ulrich Bounat.

Mais "ce n'est pas parce que la libération de Koursk était une condition sine qua non aux yeux de Moscou pour discuter que les Russes vont se précipiter à la table des négociations", abonde-t-il.

Avec la reprise russe de l'oblast de Koursk, l'Ukraine perd de son côté une carte à jouer lors des potentielles futures négociations. Elle espérait monnayer cette petite partie occupée de la région. De plus, certains analystes estiment que les avancées russes dans l'est de l'Ukraine ont été facilitées par le détournement des forces de Kiev vers Koursk. Le moral de la société ukrainienne et de son armée risque également de prendre un coup.

Mais "il est encore difficile de faire un bilan de cette incursion, on ne connaît pas les pertes militaires", déclare le chercheur Ulrich Bounat.

Il note toutefois que les affrontements à Koursk ont été un "catalyseur". "Cela a permis de montrer aux yeux du monde que la menace nucléaire russe ne tient pas la route, l'internationalisation du conflit avec la Corée du Nord a montré leur faiblesse, et enfin cela a poussé les Occidentaux à livrer à l'Ukraine des armes plus sophistiquées et à permettre l'utilisation de leurs missiles sur le territoire russe", énumère-t-il.

D'un point de vue "tactique", cela a permis de "déstabiliser les Russes à un moment donné", conclut le chercheur.

Juliette Brossault