Péninsule annexée, base navale russe... La Crimée, nœud géostratégique au cœur des négociations de paix en Ukraine

Depuis plus de dix ans au cœur du conflit entre Moscou et Kiev, la Crimée est remise sur le devant de la scène par Donald Trump. Avant sa rencontre avec Voldymyr Zelensky et autres dirigeants européens, ce lundi 18 août à la Maison Blanche, il a exclu que l'Ukraine récupère la Crimée "donnée par Obama (il y a 12 ans, sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré)".
De son côté, dimanche, lors d'une conférence de presse avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président ukrainien avait assuré que "de par la Constitution de l'Ukraine, il est impossible d'abandonner ou de céder des territoires".
• Un territoire annexé par la Russie en 2014
La Crimée est une presqu'île de 27.000 km² au sud de l'Ukraine qui est depuis 2.000 ans un nœud géostratégique. Elle est pour la première fois annexée par l'Empire russe en 1783 après avoir été un territoire de l'Empire ottoman.

En 1921, la péninsule est intégrée à l'URSS. C'est en 1954 qu'elle passe sous contrôle ukrainien. Cette année-là, dans un geste symbolique, le patron de l'Union soviétique Nikita Khrouchtchev offre la Crimée à la République socialiste soviétique d'Ukraine, intégrée à l'URSS.
Après la chute de l'Union soviétique en 1991, l'Ukraine devenue indépendante fait de ce territoire à la forte population russophone une région autonome.
En 2014, la situation bascule. Le président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch - qui bloquait l'accord d'association entre Kiev et l'Union européenne - est destitué, poussé dehors par les pro-européens.
Piqué au vif, Vladimir Poutine ordonne à ses soldats, le 27 février, de s'emparer de plusieurs lieux stratégiques en Crimée dont le Parlement et l'aéroport de la capitale régionale, Simféropol. À la suite d'un référendum au déroulement nébuleux, Moscou proclame l'annexion de la Crimée.
Une annexion qui n'a pas été reconnue par la communauté internationale et qui vaut depuis à Moscou de nombreuses sanctions de la part de pays européens ou des États-Unis.
• Une péninsule stratégique
La Crimée, aujourd'hui disputée par deux pays en guerre, est un territoire hautement stratégique. Il permet un contrôle sur la mer Noire et la petite mer d'Azov, ainsi que les routes commerciales qui les traversent. En annexant la Crimée, Moscou a annexé un large espace maritime, une large zone économique exclusive, où se trouve une quarantaine de gisements d'hydrocarbures.
Si cette presqu'île était avant l'invasion russe de l'Ukraine en 2022 une destination touristique aux plages et lieux de villégiatures prisés, elle est devenue très militarisée. Elle est comme "un immense porte-avions accolé à l’Ukraine", image auprès de Challenges, l’historienne et journaliste américaine Anna Appelbaum.
Le port de Sébastopol abrite l'importante flotte russe: sous-marins d'attaque, frégates, chasseurs, missiles... C'est depuis ce territoire, relié à l'Ukraine par un petit bras de terre, que Moscou orchestre toutes ses opérations militaires menées au sud de l'Ukraine. Il sert de base arrière aux forces russes: de là sont envoyés des renforts et la maintenance des appareils y est gérée.
De nombreuses attaques ont ainsi été menées par l'Ukraine sur des bases aériennes ou des dépôts de carburants en Crimée en riposte à l'invasion russe de février 2022. Des sous-marins et des navires russes ont été ciblés en mer Noire.
Sans les avoir revendiquées, Kiev est aussi tenue responsable de deux attaques sur le symbolique pont de Kertch. Une attaque à la voiture piégée en octobre 2022 et attaque de drones en juillet 2023. Inauguré en 2018, quatre ans après l'annexion de la péninsule de Crimée par Moscou, le pont relie le territoire annexé à la région de Taman dans le sud de la Russie. Il est le symbole du rattachement de la région à Moscou, et à l'inverse une provocation pour le régime de Kiev.

Le 25 mars dernier, les États-Unis ont annoncé avoir convenu avec la Russie et l'Ukraine d'une trêve en mer Noire avec la réactivation d'un accord permettant la navigation commerciale et les exportations de produits agricoles ukrainiens. Les contours de cette trêve restent cependant bien incertains.
• Un territoire hautement symbolique
Au-delà de son importance stratégique, Vladimir Poutine a fait de la Crimée un symbole de la puissance russe conquérante. Pour Kiev, c'est un symbole de souveraineté et un objectif politique majeur. Aux yeux de l'Ukraine, la Crimée est l'alpha et l'oméga de la guerre avec la Russie qui a commencée à leurs yeux il y a plus de dix ans.
En août 2022, Volodymyr Zelensky avait déclaré que "la guerre en Ukraine a commencé avec la Crimée et doit se terminer avec sa libération". Depuis, il continue de marteler son envie de la récupérer. Le 23 avril dernier, le président ukrainien a répété que la Crimée était "leur territoire".
"Aujourd’hui, du côté ukrainien, il est clair qu’il n'y a pas les forces nécessaires pour libérer la Crimée. Mais le fait de reconnaître son annexion reviendrait à mon sens à ouvrir la boîte de Pandore", explique Oksana Mitrofanova, enseignante-chercheuse sur l’Ukraine à l’Inalco et docteure en science politique, à 20 Minutes.
"Cela créerait un précédent juridique qui pourrait ouvrir la voie à une annexion par la Russie des quatre régions qui sont actuellement en partie occupées", abonde-t-elle.
Contraindre l'Ukraine à reconnaître la souveraineté russe sur la Crimée contreviendrait aux principes qui fondent l'ordre international établi avec la création des Nations unies selon les experts.
Ce serait "le retour du droit de conquête", considère Elie Tenenbaum, de l'Institut français des relations internationales (Ifri), interrogé par l'Agence France-Prese. "Le message que cela envoie est qu'il peut être payant, au moins pour les grandes puissances, de violer cette interdiction de l'usage de la force", renchérit Lauri Mälksoo, professeur à l'université de Tartu en Estoni.
Quand Michel Eperling, professeur à l'Institut Max-Plack à Francfort en Allemagne, estime qu'un "tel précédent pourrait avoir des "conséquences extrêmement déstabilisantes, voire catastrophiques, pour la paix mondiale".