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Le président russe Vladimir Poutine et le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

PHOTOS AFP / MONTAGE PIERRE-OSCAR BRUNET

CARTES. Guerre en Ukraine: comment le conflit a changé de visage en trois ans

Après des premiers mois d'intenses combats, les Russes se sont empêtrés dans une guerre d'usure en Ukraine. Jusqu'à ce que, outre-Atlantique, Donald Trump évoque ses intentions de paix entraînant une recrudescence des batailles. Après trois ans de guerre, le bilan humain est lourd, les gains territoriaux minimes et l'alliance transatlantique ébranlée.

Il y a trois ans, jour pour jour, le 24 février 2022, Vladimir Poutine annonçait sur les ondes russes une "opération militaire spéciale" en Ukraine. Persuadée de sa supériorité, la Russie envisageait une guerre éclair afin de conquérir militairement son voisin, jugé trop proche des Européens. Un plan contrecarré par la résistance des forces ukrainiennes.

Après trois ans de conflit, Moscou apparaît toutefois en position de force, non pas sur le champ de bataille mais à la table des négociations. Donald Trump a convenu avec son homologue Vladimir Poutine d'entamer des discussions en laissant Volodymyr Zelensky sur la touche. Le milliardaire républicain tend fièrement la main à Moscou et tourne le dos à Kiev. Il va même plus loin en attaquant personnellement son président et en accusant, à tort, lui et l'Ukraine, d'avoir déclenché le conflit.

De quoi aussi inquiéter les Européens qui voient le lien transatlantique se consumer, après trois ans d'un conflit qui a beaucoup évolué.

• Des combats urbains en 2022, les civils sous les feux

Ce jeudi d'hiver 2022, les forces du Kremlin pénètrent les frontières ukrainiennes, de Mykolaïv à Louhansk au sud-est et de Kiev à Kharkiv au nord-est. Des troupes terrestres affluent depuis la Biélorussie, la Russie et la Crimée. Des bombes sont larguées sur tout le pays.

L'objectif de Moscou à ce stade? S'emparer de la capitale ukrainienne, Kiev, afin d'y imposer un régime fantoche.

"La guerre était extrêmement intense pendant les premiers mois", constate Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé au think thank Euro Créativ, contacté par BFMTV.com.

"Désormais, les combats sont moins létaux pour les civils car ce ne sont plus des combats de rue", précise le spécialiste. "Ils se concentrent dans des zones restreintes autour de la ligne de front dans le sud-est qui ont en grande partie été désertées." Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l'ONU notait toutefois en janvier dernier que la majorité des victimes (81%) ont été recensées près de la ligne de front.

D'après la même source, entre février 2022 et décembre 2024, au moins 12.456 civils ont été tués en Ukraine, dont 669 enfants. 28.382 civils ont également été blessés, dont 1.833 enfants.

"Les chiffres réels sont probablement considérablement plus élevés", a estimé la cheffe des affaires politiques de l'ONU, Rosemary DiCarlo, lors d’une réunion du Conseil de sécurité en janvier dernier. Notamment car la majorité des corps se trouveraient dans les territoires inaccessibles occupés par la Russie. Volodymyr Zelensky a affirmé début février que "des dizaines de milliers de civils" ukrainiens avaient été tués.

De nombreuses exactions contre la population ont également été observées au début du conflit. Viols, tortures, exécutions sommaires... "Aucune règle n'était imposée aux soldats russes, et les comportements les plus agressifs étaient encouragés", nous indique l'ancien officier et chroniqueur de guerre, Guillaume Ancel. La ville de Boutcha est le symbole de ces violences: à sa libération le 31 mars 2022, des fosses communes sont découvertes et des cadavres jonchent les rues.

• Une guerre d'usure, jusqu'à une récente intensification des combats

L'ancien président a martelé pendant sa campagne sa capacité à régler la guerre en Ukraine en "24 heures" s'il retourne à la Maison Blanche. "Paradoxalement, le fait de parler de paix a accéléré la guerre", remarque Ulrich Bounat. Moscou et Kiev tentent de "maximiser leurs conquêtes" afin d'arriver en position de force à la table des négociations.

La Russie décide notamment de redoubler d'efforts dans le sud-est de l'Ukraine.

"Avec une grosse bombe de 1.000 kilos, un immeuble de trois étages s'effondre d'un coup, aucun ouvrage ne résiste", ajoute-t-il. Outre les infanteries ukrainiennes, les infrastructures énergétiques dans le pays sont aussi massivement visées.

En septembre 2022, soit sept mois après le début de la guerre, de nouveaux référendums sur l'adhésion de la Russie, aux procédures irrégulières, sont tenus dans les régions de Donetsk et de Louhansk mais également à Kherson et Zaporijjia. Vladimir Poutine annonce l'annexion de ces quatre oblasts.

Au 3 février 2025, la Russie détenait 67,8% des terres de Donetsk, 72,3% de Zaporijjia, 71,9% de Kherson et enfin 98,94% de Louhansk, selon l'analyste de données War mapper, un cartographe bénévole parmi les plus rigoureux qui travaillent sur la guerre en Ukraine.

• Un autre front ouvert par l'Ukraine à Koursk

Alors que Moscou tente de grappiller du terrain dans le sud-est de l'Ukraine, Kiev ouvre un autre front en août 2024. Pour la première fois depuis le début du conflit, les Ukrainiens entament une incursion surprise dans la région frontalière russe de Koursk. Et depuis cet été, les combats perdurent: Kiev s'accroche malgré les contre-offensives lancées pour les expulser.

Du côté du Kremlin, "c'est un défi permanent d'avoir des Ukrainiens sur leur sol et cela traduit un échec", analyse Guillaume Ancel, créateur du blog politique et défense Ne pas subir. L'Ukraine de son côté espère que cette prise lui permettra de peser davantage dans les négociations. Volodymyr Zelensky aimerait monnayer cette petite partie occupée de la région.

"L'Ukraine a fait un pari en mobilisant des forces à Koursk et en estimant qu'un km² dans cette région valait plus qu'un km² dans le Donbass. Le juge de ce pari sera les négociations", estime l'analyste géopolitique Ulrich Bounat.

On ne connaît pas les pertes militaires russes dans cette région. Du côté des civils, quelque 350 personnes ont été tuées dans les régions de Koursk et de Belgorod selon des bilans des autorités régionales et l'agence d'État Ria Novosti publiés fin 2024.

• Des gains territoriaux faibles après 3 ans de conflit

Symptôme d'une guerre d'usure, et malgré l'intensification des combats ces derniers mois, les lignes de front ont peu bougé en trois ans de guerre. Les gains territoriaux de la part de la Moscou sont minces. Selon les observateurs du conflit, la Russie contrôle environ 20% du territoire ukrainien. Un chiffre qui comprend la Crimée, annexée depuis 2014.

Lors de la première année de guerre, les troupes de Vladimir Poutine ont effectué une percée et ont conquis jusqu'à 26% du territoire avant de se faire repousser par les soldats ukrainiens. Depuis la fin de l'année 2022, ces superficies ne bougent qu'à la marge. Moscou ne fait que "grignoter" du terrain.

"En 2024, la Russie a conquis 0,6% du territoire ukrainien", note Guillaume Ancel. "À cette allure, il leur faudrait un siècle pour conquérir l'Ukraine. La Russie n'a jamais dominé le champ de bataille". Entre février 2024 et le 16 février 2025, les forces russes ont toutefois avancé 22 fois plus que pendant la deuxième année de guerre, selon les données fournies par l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW). Parmi les grandes conquêtes russes, on compte Marioupol, Bakhmout, Avdiivka...

"Leur plus grosse conquête à mon avis est le corridor le long de la mer d'Azov entre la Crimée et la Russie qui a une haute valeur stratégique", juge le chercheur Ulrich Bounat.

Près des trois quarts du territoire pris par les Russes sont situés dans la région orientale de Donetsk, où les troupes de Moscou ont revendiqué, le 7 février 2025, la prise de Toretsk et sont aux portes d'une autre ville minière d'importance, Pokrovsk.

• Les armées épuisées par des pertes considérables

Si les gains sont minces, l'investissement, tant du côté de Moscou que de Kiev, est conséquent. Les armées sont épuisées.

Du côté ukrainien, les spécialistes tablent sur environ 450.000 soldats "hors de combat", soit "entre 50.000 et 100.000 morts et 300.000 blessés", précise Ulrich Bounat, auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives? (Ed. Cygne). Dans une rare estimation publique auprès de la chaîne américaine NBC, Volodymyr Zelensky a affirmé mi-février que plus de 46.000 de ses soldats avaient été tués et quelque 380.000 autres blessés.

Du côté russe, "en trois ans, Moscou a au moins consumé une armée complète, soit au moins 500.000 hommes", en comptant les tués comme les blessés, signale Guillaume Ancel. Le site indépendant Mediazona et le service russe de la BBC disent avoir identifié jusqu'ici 91.000 soldats russes tués. Fin 2024, le secrétaire américain à la Défense de l'époque, Lloyd Austin, avait évoqué 700.000 militaires russes morts ou blessés.

Aucun chiffre officiel n'a été communiqué par Moscou depuis septembre 2022, quand un bilan de près de 6.000 morts - sans doute largement sous-estimé - avait été établi.

Les pertes russes seraient plus importantes en raison de la stratégie adoptée par Moscou pendant la majeure partie du conflit: la stratégie dite de la "chair à canon" ou du "hachoir à viande". "Cela consiste à envoyer massivement des soldats pour submerger le front et épuiser les forces ukrainiennes", explique le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV, "sans hésiter à sacrifier pour gagner".

Cette stratégie a par exemple été adoptée au printemps 2023 lors de la bataille de Bakhmout où encore lors de l'offensive d'ampleur sur la ville d'Avdiïvka.

"Désormais, les Russes sont plus précautionneux", assure Guillaume Ancel. "Les négociations approchant, ils n'ont plus le temps de reformer des soldats, de régénérer une armée."

D'où le recours à près de 11.000 soldats nord-coréens pour leur prêter main forte.

• Une aide occidentale vitale mais menacée

Face à la myriade de soldats envoyés par la Russie sur le front, l'Ukraine, loin de posséder les capacités de l'une des plus puissantes armées du monde, repose depuis le début de la guerre sur l'aide occidentale. Une aide financière et militaire dont elle n'a cessé de demander l'accroissement pour faire face aux assauts russes. Environ 80 milliards d'euros par an ont été reçus par Kiev selon l'Institut allemand de Kiel pour l'économie mondiale. Entre le 24 janvier 2022 et le 31 décembre 2024, les Européens ont dépensé 132,3 milliards d'euros et les États-Unis, 114,2 milliards d'euros.

"L'aide occidentale a été livrée par à-coups", constate Ulrich Bounat. "Ils ont toujours avancé à reculons ou à contre-temps, souvent trop tard". Il donne pour exemple les discussions "sans fin" qui ont menées à la livraison d'une flotte d'avions de chasse moderne dont manquait Kiev "une fois qu'ils se sont rendu compte que la contre-offensive s'était mal passée", ou encore à la livraison de missiles à longue portée, sources de tensions avec Moscou. "Les Occidentaux ont toujours eu peur de l'escalade de trop".

Depuis la réélection de Donald Trump et l'intensification des combats, l'aide à l'Ukraine a connu un pic. Entre octobre et décembre 2024, les États-Unis, alors encore sous l'égide de Joe Biden, ont envoyé leur plus grosse enveloppe depuis le début du conflit, l'équivalent de 26,80 milliards d'euros. Le démocrate craignait que son successeur tourne le dos à Kiev. Et l'actualité semble lui donner raison.

Donald Trump sème le désarroi depuis la mi-février en affichant son rapprochement avec Moscou et en faisant monter la tension diplomatique avec Kiev - qui dépend de manière cruciale de l'aide américaine pour résister à l'invasion russe - et avec les Européens.

Le président américain a clairement indiqué son envie de se désengager de l'Ukraine après un accord de cessez-le-feu. Il souhaite que le Vieux Continent se charge, seul, de garantir des sécurités "robustes" pour Kiev. De quoi inquiéter les dirigeants européens qui craignent d'être laissés à la merci du maître du Kremlin et ses velléités expansionnistes.

Estimant que la Russie devient "une menace existentielle", Emmanuel Macron a appelé les Européens à "augmenter l'effort de guerre" pour faire face à cette "nouvelle ère". Et éviter à Volodymyr Zelensky une paix qui reviendrait à une "capitulation".

Théophile Magoria et Juliette Brossault