"Alger a choisi l'escalade": comment la crise diplomatique entre la France et l'Algérie repart de plus belle

Le président français Emmanuel Macron et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune en Italie à Savelletri - Ludovic MARIN / AFP
La montée des tensions, un début d'accalmie et finalement une crise qui repart de plus belle. La relation entre la France et l'Algérie se tend à nouveau ces dernières heures. Dernier élément en date: Emmanuel Macron a décidé ce mardi 15 avril d'expulser douze agents algériens, en réponse à une mesure similaire de l'Algérie, accusée d'être responsable de cette dégradation brutale.
Le président français, qui s'était personnellement entretenu au téléphone avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune le 31 mars pour relancer le dialogue après des mois de brouille, a aussi "décidé de rappeler pour consultations l'ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet", a annoncé l'Élysée dans un communiqué.
Point de départ de ce regain de tensions: les autorités algériennes ont déclaré dimanche persona non grata douze fonctionnaires français du ministère de l'Intérieur, leur donnant 48 heures pour quitter l'Algérie. Il s'agissait alors de riposter à l'arrestation en France, suivie d'une mise en détention, d'un agent consulaire algérien.
Emmanuel Macron monte en première ligne
Au départ, Le chef de l'État français a temporisé, mais voyant que le pouvoir algérien ne revenait pas sur sa décision, il a décidé de monter en première ligne.
L'expulsion de ces Français, qui étaient en route vers la France mardi soir, "méconnaît les règles élémentaires de nos procédures judiciaires" et "est injustifiée et incompréhensible", a affirmé l'Élysée. Qui a décidé de procéder "symétriquement", aussi sous 48 heures, "à l'expulsion de douze agents" consulaires et diplomates algériens.
"Les autorités algériennes prennent la responsabilité d’une dégradation brutale de nos relations bilatérales", juge l'Élysée. Pour le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot, qui était allé à Alger début avril pour recoudre les liens, Alger a "choisi l'escalade".
Une réponse "appropriée"
L'Algérie avait défendu lundi soir sa décision "souveraine", faisant porter au ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau "la responsabilité entière" de ces nouvelles dissensions. Cette figure de la droite française s'est fait le porte-voix ces derniers mois d'une ligne de fermeté face à l'Algérie, notamment en matière migratoire.
Pour autant, "Bruno Retailleau n'a rien à voir avec cette affaire judiciaire", a assuré mardi Jean-Noël Barrot, insistant sur l'indépendance de la justice française.
L'Algérie doit "continuer à tenir ses obligations" en matière migratoire et sécuritaire malgré les "différends" avec la France, a-t-il ajouté mardi soir.
Trois hommes, dont un employé dans l'un des consulats d'Algérie en France, ont été mis en examen (inculpés) vendredi à Paris pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le 7e jour, en relation avec une entreprise terroriste, selon le parquet national antiterroriste français.
Dans cette affaire d'enlèvement qui visait l'opposant au régime algérien Amir Boukhors, influenceur surnommé Amir DZ, ces hommes sont aussi poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils ont été placés en détention provisoire.
Prenant la parole mardi soir après l'Élysée, Bruno Retailleau a estimé que la réponse française était "totalement appropriée", et a jugé "inadmissible que la France soit un terrain de jeu pour les services algériens".
"Reprendre le dialogue"
En dépit de cette soudaine rechute, l'Élysée a estimé que "l'intérêt même de la France et de l'Algérie" était de "reprendre le dialogue", exhortant Alger à "faire preuve de responsabilité".
"Nous démontrons sans aucune forme d'ambiguïté notre capacité à répliquer" face à l'Algérie, mais la France devra "à terme" reprendre le dialogue avec Alger "dans l'intérêt des Français", a résumé Jean-Noël Barrot sur France Inter ce mercredi.
Le dialogue est "la seule manière de résoudre durablement les tensions. Ceux qui vous disent le contraire sont des irresponsables", a insisté le ministre.
Il y a quinze jours, les deux pays liés par une histoire commune souvent douloureuse avaient décidé de tourner la page d'une crise d'une intensité rare qui les avait précipités au bord de la rupture.
Elle avait démarré huit mois plus tôt lorsque Emmanuel Macron avait apporté son soutien total à un plan d'autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental, revendiqué depuis 50 ans par les indépendantistes du Polisario soutenus par Alger. L'Algérie avait immédiatement retiré son ambassadeur à Paris.
Les deux chefs d'Etat avaient alors chargé leurs ministres des Affaires étrangères de reprendre le dialogue sur tous les sujets "irritants", dont la question migratoire et l'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal.
Jean-Noël Barrot a estimé que Boualem Sansal, condamné à de la prison en première instance en Algérie, n'avait "pas à faire les frais de problèmes" diplomatiques. "Et j'ose croire, étant donné son état de santé et sa situation, à un geste d'humanité de la part des autorités algériennes".
Les deux filles de l'écrivain ont d'ailleurs appelé Emmanuel Macron à obtenir sa libération au plus vite, dans une tribune publiée mardi soir sur le site du Figaro, qualifiant cette demande de "dernier élan d'espoir".
Selon l'historien Pierre Vermeren, professeur à l'université Sorbonne à Paris, "la crise prouve qu'à l'intérieur de l'armée, de l'état-major" algériens, "il y a une partie des généraux ou des colonels qui veulent rompre avec la France, qui ne veulent pas se réconcilier, qui veulent saboter le travail de reprise des relations normales", a-t-il dit à l'AFP.