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TOUT COMPRENDRE. France-Algérie: pourquoi les relations entre les deux pays se tendent à nouveau

Les présidents français Emmanuel Macron et algérien Abdelmadjid Tebboune au G7 à Savelletri en Italie, le 14 juin 2024 - Ludovic MARIN / AFP

Les présidents français Emmanuel Macron et algérien Abdelmadjid Tebboune au G7 à Savelletri en Italie, le 14 juin 2024 - Ludovic MARIN / AFP - Ludovic MARIN / AFP

Au fil des mois, un certain nombre d'événements visibles ou de signaux faibles laissent transparaître des tensions palpables entre Paris et Alger. Le dernier épisode, les multiplications des interpellations "d'influenceurs algériens", à l'image de Rafik Meziane, ce mercredi 22 janvier.

Allô Paris? Alger ne répond plus. Les relations entre l'Algérie et la France, historiquement houleuses, semblent lentement s'empirer ces derniers mois. Sahara occidental, convocation d'un ambassadeur, déclarations incendiaires... La situation s'envenime au fil d'une série d'événements plus ou moins perceptibles pour le grand public.

Le dernier épisode en date: les interpellations d'une multitude "d'influenceurs algériens", rendues particulièrement médiatiques par le ministre de l'Intérieur français Bruno Retailleau.

Des espoirs d'apaisement semblent tout de même se dessiner à l'horizon, à en croire les dernières déclarations du gouvernement français. "Personne n'a intérêt à une escalade", a assuré la porte-parole Sophie Primas ce mercredi 22 janvier.

• Les "influenceurs" au cœur d'un bras de fer?

"Doualemn", Mahdi B. ou encore Rafik M.: la liste des internautes d'origine algérienne résidant en France dans le viseur du ministère de l'Intérieur ne cesse de s'allonger. Des annonces et interpellations systématiquement portées par le très droitier locataire de Beauvau, qui en a fait son cheval de bataille.

Parfois un peu trop tôt? C'est ce qu'a déploré le parquet de Paris ce mercredi 22 janvier après une annonce du ministre, évoquant une "fuite prématurée". Une preuve de l'intérêt politique et géopolitique du dossier, outre l'aspect strictement juridique.

Le cas de "l'influenceur Doualemn" illustre bien la nature des tensions. Le 9 janvier, le quinquagénaire a été mis par la France dans un avion direction l'Algérie... avant d'être renvoyé dès son atterrissage. Il est depuis maintenu en rétention administrative au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne, comme l'avait révélé BFMTV.

"Je veux dire ma stupéfaction. Nous avons atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant. L’Algérie cherche à humilier la France", s'était agacé Bruno Retailleau au moment des faits.

"Je pense que la France ne peut pas supporter cette situation".

De son côté, le ministère des Affaires étrangères algérien avait regretté le 11 janvier une "campagne de désinformation" de la France et regrettait une forme "d'escalade", comme exprimé dans un communiqué de presse.

• Le Sahara occidental, un élément déclencheur?

Le cas des "influenceurs" est le dernier dossier d'une longue pile ayant recommencé à grossir dès l'été dernier. C'est à cette époque que la France a reconnu la "souveraineté" du Maroc sur le Sahara occidental. Cette ex-colonie espagnole contrôlée en majorité par le Maroc est pourtant également revendiquée par les indépendantistes du Front polisario, soutenus par l'Algérie.

Cette décision avait fait bondir Alger. Le gouvernement a ordonné avec "effet immédiat" le rappel de l'ambassadeur du pays en France, considérant qu'Emmanuel Macron avait franchi un "pas qu’aucun autre gouvernement français avant lui n’avait cru devoir franchir" sur la question de ce territoire contesté.

Ce point brûlant a fermé la porte à un potentiel rapprochement. Le président Tebboune a rejeté dans la foulée l'idée d'une visite à Paris. Un déplacement sans cesse repoussé depuis mai 2023. Aux dernières nouvelles, il était prévu entre fin septembre et début octobre 2024. Il n'a pas à cette heure été annoncé de nouvelle fenêtre pour une telle visite.

Serait-ce également ce qui a provoqué une mystérieuse convocation de l'ambassadeur de France? Celui-ci a subi une "sévère mise en garde". Il a été accusé, au même titre que la DGSE, d'avoir cherché à "déstabiliser le pays" par "des opérations et manœuvres agressives" à l'encontre de l'Algérie. Le quotidien gouvernemental El Moudjahid avait mentionné une "campagne de recrutement d'anciens terroristes en Algérie" notamment.

• L'écrivain arrêté Boualem Sansal, une victime des tensions?

Outre le cas des influenceurs ou celui du Sahara, d'autres points de discorde sont à noter. Le cas de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, dont la France demande la libération. Très critique d'Alger, le ressortissant algérien naturalisé français a été incarcéré mi-novembre avant d'être transféré dans "une unité pénitentiaire de soins" selon son éditeur Gallimard.

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Qu'est-il arrivé à Boualem Sansal, l'écrivain franco-algérien au cœur d'un conflit entre les deux pays ?
17:30

Selon les informations du quotidien Le Monde, le pouvoir algérien reproche notamment à Boualem Sansal ses déclarations au média d'extrême droite Frontières. Il y a partagé la thèse selon laquelle le Sahara occidental a été tronqué au territoire marocain sous la colonisation française au profit de l'Algérie. Le motif de sa détention est clair: une accusation d'"atteinte à l'intégrité du territoire national".

• Vers une remise en question de l'accord migratoire de 1968?

Cet amoncellement de menaces, de déclarations litigieuses et d'actes de forces ostensibles pourrait avoir des conséquences très concrètes. Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a suggéré que la France puisse renier l'accord migratoire de 1968. Il permet de faciliter l'installation des ressortissants algériens en France.

Une voix qui ne représente pas tout à fait celle de la France, à en croire les propos du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot sur BFMTV le 20 janvier. "C'est bien au quai d'Orsay et sous l'autorité du président de la République que se forge la politique étrangère de la France", a rétorqué le cadre du Modem.

"Ce n'est pas une recette miracle de le supprimer ou de l'abroger. Sinon, ça ferait longtemps qu'on le saurait", a-t-il ajouté.

D'après un rapport de la direction générale des étrangers en France, 646.462 titres de séjours à des ressortissants algériens ont été accordés en 2023, loin devant les autres pays.

Cet accord, signé six ans après l'indépendance de l'ancienne colonie française, est un lien ferme qui montre les relations rapprochées mais tendues entre les deux pays. Un héritage que veut démêler Paris.

Dans une interview à L'Express Bruno Retailleau a appelé à "dépassionner" les échanges avec l'ancien pays colonisé. Il faut "faire en sorte qu'on entre enfin dans une relation d'égal à égal, sans arrière-pensée, dépourvue de cette idée d'un droit de tirage perpétuel sur la mémoire pour reprocher à la France les événements passés", a-t-il indiqué.

"Le moment est venu de tourner la page. En objectivant les faits, en construisant des liens apaisés, c'est-à-dire réciproques", a-t-il ajouté. Le ministre a néanmoins répété son souhait de revoir les accords franco-algériens de 1968.

Sur le plan strictement mémoriel, la France et l'Algérie ne devraient toutefois pas accorder leurs violons de sitôt. Le président Tebboune a estimé dans une sortie que la France était responsable d'un "génocide". Emmanuel Macron, lui, a changé de pied entre 2017 - où il évoquait un "crime contre l'humanité" - et aujourd'hui. En août 2022, il a écarté toute volonté de "repentance", préférant à la place regarder le passé "avec courage".

Tom Kerkour