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La France Insoumise

"On sait parler fort mais aussi négocier": les insoumis en voie d'embourgeoisement à l'Assemblée?

Mathilde Panot et des députés La France insoumise à l'Assemblée nationale le 5 novembre 2024

Mathilde Panot et des députés La France insoumise à l'Assemblée nationale le 5 novembre 2024 - Thomas SAMSON / AFP

La France insoumise possède désormais plusieurs des postes les plus prestigieux du Palais-Bourbon. De quoi faire évoluer le style de ses députés qui ont fait redescendre d'un ton leurs coups d'éclat sans remettre fondamentalement en cause la stratégie du "bruit et de la fureur".

Des roulements de tambour, des huissiers qui la devancent et une députée très concentrée. Clémence Guetté, élue vice-présidente de l'Assemblée nationale en juillet dernier, n'a pas gâché son plaisir pour son premier jour au Perchoir au mois d'octobre.

Il faut dire qu'une telle scène, à haute valeur symbolique pour les insoumis, aurait été impossible 7 ans plus tôt avec seulement 17 députés.

"Forcément que c'est une belle victoire pour nous. Ça montre qu'on est le groupe de gauche le plus fort et le mieux représenté dans les institutions", savoure le député LFI Christophe Bex auprès de BFMTV.com.

"Des actions coup de poing redescendues d'un ton"

Depuis les dernières législatives et ces 71 députés, La France insoumise a pris du galon au Palais-Bourbon. Il faut dire que le groupe dirigé par Mathilde Panot a décroché certains des plus beaux postes de l'institution.

Clémence Guetté n'est ainsi pas la seule à être devenue vice-présidente à sa grande "fierté". Elle est accompagnée de Nadège Abomangoli qui siège au même poste. Éric Coquerel est toujours président de la toute puissante commission des Finances et Aurélie Trouvé a remporté, à la surprise générale, la tête de la commission des Affaires économiques.

Très loin des coups d'éclat de certains? Pêle-mêle, on peut citer le port d'un maillot de foot à la tribune de François Ruffin pour défendre les petits clubs en 2017, le brandissement d'un paquet de pâtes pour contrer la baisse des APL la même année ou encore le ballon de football de Thomas Portes à l'effigie d'Olivier Dussopt en pleine manif d'inspecteurs du travail en 2023....

"Nos actions coup de poing existent toujours mais peut-être qu'elles ont redescendu d'un ton", reconnaît un député insoumis.

"Des macronistes qui nous provoquaient"

Dernière action en date: la sortie par les députés insoumis de leurs cartes d'électeur avant la déclaration de politique générale de Michel Barnier pour protester contre sa nomination à Matignon.

"C'était très symbolique mais plutôt soft dans le procédé", remarque un député mélenchoniste.

Pour preuve: Yaël Braun-Pivet se contente alors de demander aux élus de ranger leur carte d'électeur, loin des sanctions parfois sévères infligées à leur encontre par la présidente de l'Assemblée nationale;

De quoi prouver que les insoumis cherchent à faire évoluer la stratégie théorisée par Jean-Luc Mélenchon de "bruit et de fureur" de son mouvement en 2010.

"Cela commence à dater", a d'ailleurs reconnu le fondateur de LFI ce dimanche sur France 3, sans cependant juger que ses députés étaient en train de s'institutionnaliser.

"C'était les macronistes qui (nous) provoquaient sans arrêt par des insultes, des remarques violentes, des fois par une pression physique. Dès lors que tout ça a disparu, les débats sont plus calmes. Ils ne sont plus là, ils ne font rien", analyse l'ex-candidat à la présidentielle.

"Un enjeu à montrer qu'on sait négocier"

Depuis les dernières législatives qui ont fait fondre les effectifs macronistes, les députés Renaissance ont souvent joué la carte du service minimum, entre méfiance à l'endroit de Michel Barnier et frustration face à des débats court-circuités par la menace du 49.3. Une belle occasion de faire redescendre les tensions entre insoumis et députés de Gabriel Attal sans les gommer.

L'élu insoumis Sébastien Delogu a par exemple accusé Aurore Bergé de vouloir "finir dans les poubelles de l'histoire" en séance la semaine dernière.

"Les macronistes sont arrogants quand ils gagnent et le sont un peu moins quand ils perdent. Ils apprennent pour certains l'humilité et on est moins obligé de les secouer pour leur montrer le réel", juge de son côté le député Hadrien Clouet.

Si la configuration de l'Assemblée a forcément fait évoluer le rapport de force, La France insoumise se projette aussi de plus en plus vers la présidentielle, que ce soit en 2027 ou plus tôt en cas de démission d'Emmanuel Macron.

"Évidemment qu'on a un enjeu à montrer qu'on sait parler fort mais qu'on sait aussi négocier, décrocher des victoires politiques. Il faut qu'on montre qu'on peut changer la vie si on arrive au pouvoir", reconnaît un élu insoumis.

L'hémicycle, "pas un conseil d'administration"

Parmi les victoires politiques dont peut se targuer LFI, on trouve la création d'un "impôt universel" sur les multinationales ou la taxation des superprofits de Total lors des débats sur le budget 2025 à l'Assemblée nationale ces dernières semaines.

Si elles ne devraient pas se concrétiser réellement après le rejet du budget et le spectre du 49.3 qui plane, la manœuvre a l'avantage de montrer que les insoumis ont des députés plus expérimentés que Marine Le Pen. Si la présidente des députés RN joue aussi la carte de l'institutionnalisation, elle peine toujours à faire émerger de nouvelles figures ou à avancer ses pions dans l'hémicycle.

La position de La France insoumise au sein des institutions, couplée à une présence forte de la gauche au sein du bureau de l'Assemblée nationale, a également le mérite de pouvoir activer plus facilement les leviers institutionnels à sa disposition.

Au menu de ces derniers mois: la proposition de destitution d'Emmanuel Macron, très critiquée par le camp présidentiel mais aussi par les socialistes, et la tentative d'organiser un débat au sujet du Mercosur dans l'hémicycle, finalement retoquée par Yaël Braun-Pivet.

"Nous n'avons jamais jugé que l'hémicycle était un conseil d'administration. Nous assumons notre stratégie de faire passer des messages par des gestes forts tout en étant sérieux dans l'exercice de nos mandats", résume une proche de la présidente des députés insoumis Mathilde Panot.

"On ne change pas, on s'adapte au contexte"

Au risque de s'embourgeoiser et de laisser totalement de côté la stratégie du clivage permanent pensée par la philosophe Chantal Mouffe dont Jean-Luc Mélenchon n'a cessé de se réclamer depuis des années?

"Notre position a toujours été d'avoir un pied dans les institutions et un pied dans la rue. Ce qu'on prône nous, depuis le début, c'est la révolution citoyenne par les urnes", répond le député Christophe Bex.

"On ne change pas, on s'adapte simplement au contexte", justifie encore l'un de ses collègues. Une atmosphère qui pourrait rapidement évoluer. Jean-Luc Mélenchon a prédit que le gouvernement de Michel Barnier allait "tomber entre le 15 et le 21 décembre prochain", à la faveur d'une motion de censure.

Marie-Pierre Bourgeois