"On ne nous fait plus confiance": entre 49.3 et crainte d'une dissolution, pourquoi des députés sèchent l'Assemblée

Des députés à l'Assemblée nationale le 25 octobre 2024 - JULIEN DE ROSA / AFP
Un hémicycle clairsemé pour les lois les plus importantes de l'année. Les bancs des députés ont semblé relativement vides ces derniers jours pour se pencher sur le budget de l'État puis de la Sécurité sociale.
De la présence d'élus en commission, plutôt qu'en hémicycle, en passant par le spectre d'une nouvelle dissolution et des députés qui s'interrogent sur le sens de leur mandat, l'Assemblée nationale est traversée par une atmosphère de malaise ces dernières semaines.
"Il y a beaucoup de tensions et de frustration. On ne peut pas travailler dans ces conditions, on fait très mal la loi. Ce n'est vraiment pas bon pour le pays", regrette le député Horizons Vincent Thiébaut (Horizons) auprès de BFMTV.com.
"Une mauvaise image des députés"
Si certains ont vertement recadré les élus, à l'instar du patron du Modem François Bayrou dimanche 27 octobre qualifiant leur absence de "purement, simplement inadmissible" et "criminelle" sur notre antenne, l'organisation du travail parlementaire ne laisse pas toujours d'autre choix.
Ces dernières semaines, les députés ont dû par exemple se pencher à la fois sur les mêmes créneaux horaires sur le projet de loi de finances dans l'hémicycle et en même temps en commission sur le budget de la Sécurité sociale.
"C'est assez déroutant, ça nécessite de courir dans les couloirs en passant d'un sujet à l'autre. Et en plus, ça donne une mauvaise image des députés qui pourtant travaillent", analyse de son côté la députée socialiste Dieynaba Diop.
"On jette notre travail par la fenêtre"
Si la situation n'est pas nouvelle, elle a gagné en complexité depuis 2022 avec la majorité relative avant de devenir quasi inextricable depuis les dernières législatives.
Ces derniers jours, dans une Assemblée très fragmentée, les votes se sont souvent joués à quelques voix près comme sur l'"exit tax", adoptée avec 4 voix d'avance seulement. Le gouvernement a même été désavoué par ses propres troupes sur la refonte des cotisations patronales ou sur les aides à l'apprentissage en séance.
Plus largement, les députés sont de plus en plus nombreux à s'interroger sur leur réelle influence alors que le spectre du 49.3 plane sur les débats. En cas d'activation de cet article de la Constitution qui permet de faire adopter un budget sans vote, le gouvernement a toute liberté de choisir les amendements qu'il veut conserver.
"Concrètement, ça veut dire qu'on a siégé, travaillé des heures et qu'à la fin, on jette notre travail par la fenêtre. Je me demande bien dans quel autre monde on accepterait cela. On est chez les fous", s'agace un député Modem.
"La gauche se surmobilise pour obtenir des victoires politiques même si ça n'ira pas loin et nous, on n'a plus très envie quand on pense au 49.3", résume, abrupt, l'un de ses collègues Renaissance.
"On a quoi comme moyen pour dire qu'on n'est pas content?"
Pour tenter d'influer sur le budget, des députés du socle commun ont multiplié les échanges avec les sénateurs. Il faut dire que c'est probablement la chambre haute, largement à droite, qui aura le plus de latitude pour influer sur le budget.
Si les débats se prolongent trop, l'article 47 permet en effet à l'exécutif de transmettre les projets de loi de finances au Sénat, où la majorité est acquise au gouvernement, sans que l'Assemblée n'ait plus son mot à dire.
"Le gouvernement compte sur le Sénat pour nous faire plier. On est en train d'abîmer la représentation nationale. Je trouve ça assez grave", regrette le député Renaissance Guillaume Gouffier-Valente, un proche d'Élisabeth Borne.
"On ne nous fait plus confiance. Après, on nous reproche de ne plus venir, mais on a quoi comme moyen de dire qu'on n'est pas content? Barnier n'écoute personne", ne décolère pas l'un de ses collègues.
"On ne va pas se fâcher à tout-va" avec les électeurs
De quoi pousser bon nombre de députés, notamment LR à multiplier les échanges avec leurs homologues du palais du Luxembourg pour pousser certains de leurs amendements, quitte donc à moins venir en séance.
"On est très courtisé en ce moment", se régale un sénateur macroniste. "Venir nous voir, c'est aussi espérer rééquilibrer un budget que des députés veulent pouvoir devoir défendre en circonscription. Et ça, en ce moment, c'est difficile".
Du gel des pensions de retraites qui devrait cependant épargner les plus modestes à la baisse du remboursement des consultations chez le généraliste, les députés du socle commun sont à la peine pour défendre le budget de Michel Barnier.
"Quand on n'a pas voté, on peut dire facilement à nos électeurs qu'on était contre, leur montrer qu'on n'a pas pris part au vote. On ne va pas se fâcher à tout-va alors qu'une nouvelle élection peut arriver", remarque un élu LR.
Des députés "obnubilés" par "les marchés"
C'est que le spectre d'une nouvelle dissolution plane dans toutes les têtes à l'Assemblée, poussant encore un peu plus les députés à préférer labourer leur territoire. Nombreux sont les députés de la coalition gouvernementale à avoir gagné d'une courte tête, bien aidés souvent par le retrait de candidats de gauche quand un représentant du RN était au second tour.
"Ça pousse à faire tous les marchés, les brocantes, les matchs de foot, toutes les manifestations. Mon député qui a toujours bien aimé faire du 'natio' (national NDLR) est devenu obnubilé par son territoire", se désole un collaborateur parlementaire.
"J'assume de ne pas faire le concours Lépine du plus présent à l'Assemblée quand on n'a pas grand-chose à y faire et qu'on peut être plus efficace sur le terrain", défend de son côté Karl Olive (Renaissance).
"Quelque chose dont on va avoir du mal à sortir"
De quoi ajouter encore un peu de fatigue pour des députés qui ont l'impression d'être en campagne permanente depuis les dernières législatives surprises d'Emmanuel Macron.
La pilule est d'autant plus difficile à avaler que les congés d'été sont traditionnellement une pause salvatrice pour les élus qui alternent le reste de l'année entre journées à Paris, séance de nuit et sauts de puce dans leur circonscription.
Cette année, exit les longues vacances, remplacées donc par une campagne express puis l'attente d'un nouveau gouvernement.
"J'ai décidé cette année de prendre des congés pendant la Toussaint pour passer du temps avec mes enfants. Je ne pouvais pas leur dire que les prochains longs moments ensemble ne seraient pas avant Noël", assume une députée RN.
L'atmosphère peut-elle vraiment changer une fois la séquence budgétaire achevée à la fin du novembre? Beaucoup en doutent dans l'hémicycle. "J'ai l'impression qu'on s'est lancé dans quelque chose dont on va avoir du mal à sortir", soupire un parlementaire Renaissance.