Retraites: pourquoi le gouvernement veut encore croire qu'un 49.3 est évitable

Olivier Dussopt et Gabriel Attal et le 17 février à l'Assemblée nationale - Ludovic MARIN / AFP
Officiellement, pas d'inquiétude. Le gouvernement n'a eu de cesse ces derniers jours de réaffirmer sa volonté de se passer du 49.3 pour faire voter sa réforme des retraites qui devrait revenir jeudi à l'Assemblée nationale. Pourtant, le gouvernement est très loin de faire le plein de voix nécessaire pour être certain de son adoption, rendant très probable ce scénario.
"On a une majorité solide", a jugé Emmanuel Macron ce lundi après-midi lors de la traditionnelle réunion des cadres de la majorité, à laquelle il n'a pas l'habitude de participer, d'après des informations du Parisien, confirmées par BFMTV.
Entre espoir et banalisation
Même élan d'optimisme pour Gabriel Attal, le ministre délégué du Budget, qui a avancé sur France inter "ne pas voir pourquoi il faudrait utiliser le 49.3".
Olivier Véran a préféré lui banaliser l'usage de cette disposition constitutionnelle qui permet d'adopter un texte, sans passer par le vote des députés. Cet "outil "a "été utilisé, réutilisé et énormément utilisé sous certains mandats", a jugé le porte-parole du gouvernement sur LCI.
Pourtant la situation politique à l'Assemblée nationale a bien de quoi donner quelques sueurs au gouvernement. L'exécutif a besoin de 287 voix pour faire passer la réforme - et non 289, puisque deux sièges de député sont vacants.
Des récalcitrants au sein de la majorité
Sur le papier, s'il fait le plein dans sa majorité et parmi les LR, il obtient 314 voix, très largement assez donc. Mais le compte n'y est pas pour l'instant. Seuls 178 élus de la majorité sur un total de 249 se déclarent certains de voter le texte, d'après le compteur BFMTV.
Dans le détail, on compte 132 députés Renaissance sur 169 qui ont annoncé soutenir le texte. L'ancienne ministre d'Emmanuel Macron a déjà annoncé ne pas souhaiter voter la réforme "à ce stade", tout comme plusieurs députées membres de son mouvement En commun.
"Je n'ai aucun doute que tous les députés voteront ce texte", assure cependant auprès de BFMTV.com Jean-René Cazeneuve, l'un des poids lourds de la majorité à l'Assemblée nationale.
Mais pas question de prendre des risques. La direction du groupe à l'Assemblée a déjà prévenu que tout élu qui voterait contre ou s’abstiendrait serait exclu. Au Modem et à Horizons, la situation n'est guère meilleure pour le gouvernement. Seuls 27 députés de François Bayrou sur 51 ont clairement dit vouloir voter pour. Même constat parmi les lieutenants d'Édouard Philippe avec 19 députés sur 29.
Un groupe LR très divisé
Parmi Les Républicains que l'exécutif voyait "comme une force d'appoint" en début de mandature, la situation n'est guère meilleure. Le groupe, dirigé par Olivier Marleix qui soutient pourtant la réforme, est tout aussi divisé. Seuls 15 députés sur les 61 affichent clairement vouloir voter oui.
"Personne ne comprendrait que les LR qui ont défendu la retraite à 65 ans pendant la campagne présidentielle ne vote pas pour. C'est vraiment incompréhensible", regrette le député LR Alexandre Vincendet.
Quant aux députés LIOT qui comptent de nombreux centristes et d'anciens macronistes, la majorité d'entre eux devraient voter contre le texte. Autant dire que le gouvernement qui ne compte pas reculer en dépit de la pression des syndicats n'a guère d'autre choix que de dégainer la cartouche du 49.3.
"Un échec" pour Borne
Preuve qu'il y a urgence et que la sérénité n'est pas au rendez-vous: Élisabeth Borne a convoqué, contre toute attente, les ministres en première ligne sur ce dossier dimanche soir. Une première depuis l'arrivée de la sexagénaire à Matignon en mai dernier. C'est que la Première ministre joue très gros et veut encore croire qu'elle peut convaincre des députés au-delà de son propre camp.
"Ce serait un échec pour elle de ne pas aller au vote après des semaines de négociations. Mais elle ne prendra pas de risque inutile. Imaginez qu'on aille au vote et que ça ne passe pas... On serait mort", décrypte un cadre de la majorité.
"Si on y va, ce sera parce qu'on est sûr d'avoir assez de soutiens. Sinon, on appuie forcément sur le 49.3", avance encore ce député.
"Remettre une pièce dans la machine de la contestation"
Si le gouvernement veut à tout prix éviter cette arme constitutionnelle, c'est parce qu'elle aurait un effet dévastateur. Après un examen sans vote à l'Assemblée nationale mi-février, la réforme n'a pour l'instant comme légitimité parlementaire que celle du Sénat, qui n'est pas élu au suffrage universel.
Pour arriver au bout du texte à la chambre haute, l'exécutif a d'ailleurs dû dégainer la carte institutionnelle en s'appuyant sur le vote bloqué. Couplée à des syndicats vent debout contre la retraite à 64 ans, des Français massivement opposés, et une septième journée de mobilisation samedi, la réforme est loin de convaincre.
"On va clairement remettre une pièce dans la machine de la contestation et on aura du mal à y répondre", regrette un élu Renaissance.
L'espoir de la commission mixte paritaire
Élisabeth Borne garde cependant encore espoir de rallier les LR. Le téléphone a chauffé ces derniers jours entre Olivier Marleix et la Première ministre. Le patron de la droite à l'Assemblée est convaincu de pouvoir convaincre des récalcitrants de son propre camp avec un outil: la commission mixte paritaire.
Cet organe qui réunit sénateurs et députés pour parvenir à une version commune pourrait faire basculer la droite si certaines exigences capitales pour elle étaient retenues. Parmi celles-ci, on trouve la clause de revoyure en 2027 pour voir si les mesures ont permis des économies ou encore le maintien de la surcote pour les mères de famille votée au Sénat.
Élisabeth Borne reçoit ce soir une partie des membres de la CMP avec l'espoir de leur faire passer le message. En croisant les doigts.