"Quelques valeurs communes": entre François Bayrou et Marine Le Pen, une relation plutôt cordiale

La cheffe de file des députés du Rassemblement national Marine Le Pen arrive à l'hôtel Matignon, à Paris, pour une réunion avec le nouveau Premier ministre français, François Bayrou, le 16 décembre 2024 - LOU BENOIST © 2019 AFP
Marine Le Pen et ses 123 députés seront-ils l'assurance-vie de François Bayrou pour éviter qu'il ne soit censuré? Les paris sont ouverts. Le nouveau Premier ministre a mis un point d'honneur à la recevoir en premier ce lundi 15 décembre à Matignon pour lancer un cycle de consultations, arguant qu'elle possédait le plus grand nombre d'élus.
Tout un symbole donc. Et pour cause: les relations entre le centriste et la patronne des élus RN à l'Assemblée nationale ont, certes, parfois été orageuses mais elles n'ont pas été vides de cordialité ces dernières années.
"Nous ne sommes pas d'accord sur beaucoup de choses mais on partage quand même quelques valeurs communes comme la défense de la démocratie", résume ainsi un député RN auprès de BFMTV.com.
"Bayrou dit les choses comme il les sent"
Pendant longtemps, la députée du parti à la flamme a été hors des radars du patron du Modem. Et pour cause: il a ferraillé à distance avec Jean-Marie Le Pen pendant les campagnes de 2002 et de 2007.
En 2012, Marine Le Pen est déjà sur la ligne de départ mais englué dans une traversée du désert, François Bayrou ne lui décoche guère de flèches.
C'est finalement en 2015 que l'ex ministre de l'Éducation nationale décoche ses premiers coups de griffe en 2015. L'objet de sa colère: les photos d'exécution perpétrées par l'État islamique postées par Marine Le Pen sur X. "Elle pète les plombs", juge alors le centriste sur BFMTV.
Même topo en 2017 quand le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen dans l'entre-deux-tours est qualifiée "d'immense honte".
"On a toujours eu une parole très libre au sein de notre mouvement. François Bayrou a toujours dit les choses comme il les sentait", analyse un député centriste.
"Scandaleux qu'aucune banque ne veuille prêter à Le Pen"
Le patron du Modem sait aussi pourtant se faire plus doux comme lors de la campagne de 2017. Pour rallier Emmanuel Macron, le centriste pose plusieurs conditions dont la création d'une banque de la démocratie.
Cette structure devait permettre aux candidats de financer leur campagne sans avoir besoin de passer par des banques, souvent rétives. Un vrai clin d'œil à Marine Le Pen, contrainte d'aller chercher des fonds dans des banques russes.
"C’est scandaleux qu’aucune banque ne veuille prêter à Marine Le Pen. J’ai combattu les Le Pen toute ma vie, mais c’est scandaleux", s'agace alors François Bayrou, alors très éphèmère ministre de la Justice sur BFMTV.
Signature en sa faveur pour la présidentielle
Mais la mesure, jugée mal ficelée par le Conseil d'État, n'aboutit pas. Peu importe: elle permet aux deux mouvements de se parler comme lors d'un coup de fil qu'adresse François Bayrou à l'ex candidate à la présidentielle en 2018, comme le rapporte L'Express.
En 2022, en grande difficulté pour récolter les 500 signatures de maires, condition pour pouvoir se présenter à la présidentielle, François Bayrou envoie son précieux paraphe au Conseil constitutionnel en sa faveur. Il demande également à d'autres élus de son camp de faire de même.
"Je peux pas défendre devant mes concitoyens de toutes opinions l’idée que le président de la République française serait élu dans une élection de laquelle les principaux candidats seraient exclus", explique-t-il alors auprès d'Ouest-France.
Procès et proportionnelle pour se rapprocher
Des mots doux aux oreilles de Marine Le Pen. Il faut dire que ces deux figures de la vie politique ont eu des destins parfois parallèles ces dernières années.
Ces deux patrons de partis ont ainsi chacun dû répondre de faits liés à des emplois fictifs d'assistants de députés au Parlement européen. En dépit d'un sévère réquisitoire, François Bayrou a été relaxé à l'hiver dernier. Le parquet a depuis fait appel. Marine Le Pen, elle, risque l'inéligibilité et sera fixée sur son sort fin mars.
De quoi pousser le maire de Pau à faire un nouveau geste en sa faveur. Si la présidente des députés RN était empêchée de se présenter à la présidentielle, il y aurait "quelque chose qui biaise la vie démocratique", a fait savoir l'édile sur BFMTV le 24 novembre dernier.
"Trop expérimentée pour être rassurée par une conversation"
Le Modem et le parti à la flamme peuvent également se rejoindre sur la question de la proportionnelle, se jugeant chacun malmené à des périodes différentes par le scrutin majoritaire aux législatives.
De quoi plaider pour une part de proportionnelle pour élire les députés - à 25% pour François Bayrou contre 65% pour Marine Le Pen, tout en permettant à Marine Le Pen de jouer la carte de la satisfaction ce lundi matin en sortant de son rendez-vous avec François Bayrou.
"La méthode est plus positive que ce que j'ai pu voir jusqu'à présent" avec Michel Barnier, a lancé la patronne des élus RN, sans cependant être naïve.
"Il est trop tôt pour dire si nous avons été entendus", a ainsi jugé Marine Le Pen, assurant être "trop expérimentée en politique pour être rassurée par une conversation".
"Il sait aussi taper"
C'est que la nomination du patron du Modem pourrait être en réalité une mauvaise nouvelle si un "accord de non-censure" venait à être conclu avec une partie de la gauche.
"De fait, on perdrait la capacité à renverser le Premier ministre, c'est vrai. Mais bon, un accord large avec la gauche, on en est loin", relativise un élu RN.
"N'oublions pas non plus que, quand c'est son intérêt, il nous cajole mais qu'il sait aussi taper", avance encore ce député.
Avec en guise d'exemple le dîner de Marine Le Pen et d'Édouard Philippe en décembre 2023. François Bayrou juge la démarche pour le moins maladroite et d'insister: "il y a entre nous et l'extrême droite un fossé qui est infranchissable".
"Avec Le Pen, ça s'arrête là"
Rebelote quelques jours plus tard avant le premier tour des législatives en juillet. Marine Le Pen juge auprès du Télégramme que la fonction de chef des Armées du président de la République n'est qu'"une fonction honorifique".
Réponse de François Bayrou sur Europe 1: elle a mis "profondément en cause la Constitution".
"Sur l'immigration, l'Union européenne, la gestion des deniers publics, l'éducation, l'environnement... On est des démocrates, on soutient la démocratie quand elle est abîmée mais avec Le Pen, ça s'arrête là", insiste de son côté un sénateur centriste.
Au RN, personne n'oublie non plus qu'une grande coalition donne aussi potentiellement des billes à Marine Le Pen pour démontrer qu'elle est la seule alternative au macronisme. Dans le camp de l'extrême-droite, les conditions d'accès au pouvoir de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, sont dans toutes les têtes.