Le pari risqué de François Bayrou pour un gouvernement d'union nationale

Le Premier ministre François Bayrou à l'Assemblée nationale, à Paris, le 17 décembre 2024 - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP
Une réunion au sommet pour sortir de l'ornière. Moins d'une semaine après sa nomination à Matignon, François Bayrou, déjà affaibli politiquement depuis sa présence lundi soir au conseil municipal de Pau, a invité tous les partis politiques, à l'exception de LFI et du RN, à un grand rendez-vous. Avec un message: leur proposer de rejoindre le gouvernement.
Mais la consultation aux allures de dernière chance pour parvenir à élargir les forces du camp présidentiel suscite le scepticisme, y compris dans les rangs du camp présidentiel.
"François Bayrou n'est ni Tom Cruise dans Mission impossible ni le magicien David Copperfield. Personne ne croit un instant qu'il peut y arriver", tance l'ex député Renaissance, François Vignal, très proche du chef de l'État, auprès de BFMTv.com
"De la câlinothérapie pour les derniers dinosaures"
Il faut dire que le point de départ augure mal d'un vaste accord entre tous les mouvements politiques à l'Assemblée. En décidant d'exclure les députés RN Marine Le Pen, ceux de son allié Éric Ciotti et de l'insoumise Mathilde Panot, François Bayrou se prive de fait de 211 députés.
"Le principe d'un gouvernement d'union nationale, c'est que tout le monde y participe. Là, on est dans un gouvernement d'union macroniste. Tout ça, c'est de la câlinothérapie pour les derniers dinosaures", critique le député insoumis François Piquemal.
Si François Bayrou atterrissait sur un gouvernement aux mêmes contours que celui de Michel Barnier avec les LR, Renaissance, le Modem et Horizons, il compterait 210 soutiens au Palais-Bourbon - loin de la majorité absolue fixée à 289.
"On n'est pas au sortir de la seconde guerre mondiale"
Très loin aussi des précédents gouvernements d'union nationale. En 1926, Raymond Poincaré, alors ex président de la République, réunit très largement autour de lui, de la fédération républicaine marquée à droite au parti républicain-socialiste avec 442 députés sur 522.
La manœuvre permet au pays de sortir de la tête de l'eau, après une crise financière qui fait chuter le franc. De quoi tenir pendant 2 ans. En 1934, c'est au tour de Gaston Doumergue de réunir 456 députés sur 607 autour de lui, à la suite d'émeutes qui mettent fin au gouvernement d'Édouard Daladier.
En novembre 1945, Charles de Gaulle lance lui aussi un gouvernement d'union nationale qui compte toutes les couleurs de l'échiquier politique, quelques mois après l'armistice signée avec les Allemands dans une France exsangue.
"À chaque fois, c'est une crise exceptionnelle qui justifie que tout le monde se mette autour de la table. La situation est certes grave en ce moment mais on n'est pas au sortir d'une guerre quand même", relativise un député socialiste.
"Et puis, il y a toujours eu un projet dans ces unions nationales. En 1945, c'était la reconstruction de l'économie française, la création de la sécurité sociale. Aujourd'hui, on ne nous propose rien qui changerait la vie des Français", regrette encore cet élu.
"Très flou"
Depuis son arrivée à Matignon, François Bayrou reste dans le flou. Lors de son premier grand oral devant les députés, le Premier ministre n'a donné aucune priorité concrète.
"Je ne laisserai pas la situation budgétaire sans réponse", s'est-il contenté de répondre ce mardi.
Mais ce jeudi, le chef du gouvernement a bien tenté d'amadouer la gauche en remettant la réforme des retraites sur la table. Il a proposé de "reprendre" le sujet sans suspendre la retraite à 64 ans. Un geste qui ne devrait pas contenter les socialistes, qui appellent à sa suspension jusqu'à la prochaine présidentielle.
Au risque de perdre les voix de la droite qui a défendu la réforme mais aussi la macronie pour qui ce texte restera probablement l'un des seuls marqueurs du quinquennat d'Emmanuel Macron ?
"Les conditions ne sont pas du tout réunies pour rejoindre son gouvernement si tout cela reste très flou. Il faut qu'il arrive à convaincre. Si déjà on n'est pas sûr d'y participer, imaginez les autres...", lâche de son côté le député LR Jean-Didier Berger.
"Aucune illusion sur ce qui en ressortira"
Si la droite fait monter les enchères pour garder sa dizaine de ministères et devrait très probablement bien intégrer le gouvernement de François Bayrou, les socialistes lâcheraient-ils du lest avec l'annonce de François Bayrou ?
"Il faut nous donner des gages" sur "les sujets prioritaires pour les Français" comme la fin de la suppression des 4.000 postes dans l'Éducation nationale ou le retour de l'impôt sur la fortune, demandait avant la réunion la députée socialiste Dieynaba Diop.
"On va lui redire ce qu'on pense être nécessaire de faire pour que le pays ne sombre", avance de son côté la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. "Mais nous n'avons aucune illusion sur ce qui en ressortira".
"Des négociations dans un placard au fin fond d'une cave"
Autant dire que plus grand-monde ne croit vraiment à la possibilité d'un gouvernement beaucoup plus large que celui de Michel Barnier, y compris parmi ses propres troupes.
"On a l'air de faire des négociations dans un placard au fin fond d'une cave, sans aucune transparence. C'est désastreux", regrette un député Modem qui aurait préféré une autre option.
"On aurait dû réunir des députés de tous les groupes dès vendredi dans la même pièce et leur dire qu'on ne sortait pas tant qu'on ne s'était pas mis d'accord sur 2 ou 3 réformes, tout ça avec des caméras de la presse. Tout cela aurait mis chacun devant ses responsabilités", regrette le macroniste François Vignal.
Le nouveau Premier ministre donne satisfaction à 36% des Français, un taux nettement inférieur à celui qu'ont connu ses trois prédécesseurs lors de leur entrée en fonction à Matignon, selon un sondage Ifop pour Sud Radio paru jeudi.