BFMTV
Gouvernement

"Ils sont intouchables": pourquoi il est aussi difficile de mettre fiscalement les retraités à contribution

Les retraites de base sont revalorisées de 2,2% le 1er janvier 2025, à hauteur de l'inflation comme le prévoit la loi, contre 0,8% initialement prévu par l'ex-gouvernement Barnier pour faire des économies

Les retraites de base sont revalorisées de 2,2% le 1er janvier 2025, à hauteur de l'inflation comme le prévoit la loi, contre 0,8% initialement prévu par l'ex-gouvernement Barnier pour faire des économies - VALERY HACHE © 2019 AFP

La proposition de la ministre du Travail de demander un effort financier aux retraités les plus aisés a suscité une levée de boucliers. Les seniors sont considérés par certains comme un totem politique. La réalité des chiffres contraste pourtant avec les choix des gouvernements successifs.

Une unanimité rare. Depuis la sortie de la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet, qui a appelé mardi 21 janvier à mettre à contribution les retraités qui touchent "2.000, 2.500 euros de pension" par mois pour financer le grand âge, l'ensemble de la classe politique est montée au créneau pour dire non à cette idée.

De Renaissance, le propre camp de la ministre, en passant par Les Républicains, La France insoumise, le Rassemblement national ou la porte-parole du gouvernement, nul ne souhaite reprendre cette idée.

"On ne souhaite pas augmenter les impôts des ménages que ce soit les retraités ou les salariés", a annoncé très clairement le ministre de l'Économie Éric Lombard ce jeudi sur France 2.

"Un côté 'pas touche'"

Il faut dire que l'idée d'Astrid Panosyan-Bouvet arrive quelques semaines à peine après une polémique liée au fait de ne pas souhaiter réindexer la pension des retraités sur l'inflation pendant 6 mois avant que Michel Barnier, alors à Matignon, ne change d'avis.

"Il y a incontestablement un côté 'pas touche' aux retraités ces dernières années qui est largement partagé parmi tous les élus", analyse l'économiste Jacques Bichot, spécialiste du financement des retraites auprès de BFMTV.com.

"Ils sont intouchables, c'est quand même assez dingue. Aller chercher des sous auprès des salariés, des entreprises, pas de problème. Mais les retraités, vous pouvez oublier", observe de son côté un ex-conseiller ministériel de Bruno Le Maire lorsqu'il était ministre de l'Économie.

"Si les jeunes votaient plus, on poserait différemment la question"

Premier élément pour expliquer cette prévention dans un contexte où le gouvernement cherche des économies tous azimuts: leur poids électoral. Les plus de 65 ans représentent aujourd'hui 22% de la population soit 17 millions de personnes et sont parmi ceux qui votent le plus.

En 2022, 47% d'entre eux ont voté aux deux tours de la présidentielle comme des législatives contre seulement 37% pour l'ensemble de la population et 17% pour les 18-29 ans, d'après des chiffres de l'INSEE.

"C'est une évidence qu'on a tous en tête. Si les jeunes votaient plus, on poserait sûrement différemment cette question", décrypte l'ancien ministre de l'Économie Michel Sapin.

"Dans l'imaginaire, la figure du petit retraité très pauvre"

Pourtant, le niveau de vie des retraités pousse bien à poser le sujet sur la table. Le dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites indique que le niveau de vie moyen des seniors est équivalent à celui de l'ensemble de la population, en incorporant leur patrimoine.

Plus précisement, la pension moyenne de retraite est de 1.512 euros net, soit moins que le salaire moyen. Mais les retraités sont le plus souvent propriétaires de leur logement et ne paient donc pas de loyer - de quoi donc leur offrir un train de vie comparable aux salariés.

"Dans l'imaginaire, il y a la figure du petit retraité très pauvre. C'était vrai dans les années 70 mais ça n'a plus rien à voir avec la réalité actuelle", décrypte Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l’université d’Orléans.

"Une image parfois faussée de ce qui est la réalité des retraités"

Si des disparités existent bien parmi les retraités, notamment parmi les femmes, aux carrières beaucoup plus hachées que les hommes, les plus âgés sont significativement moins pauvres que l'ensemble de la population. 8,7% des retraités vivent sous le seuil de pauvreté contre 14,6% des Français en 2023.

"C'est vrai qu'on une image parfois faussée de ce qui est la réalité des retraités", reconnaît l'ex-ministre macroniste Nadia Hai, tout en ajoutant que "contrairement aux salariés, une fois que vous êtes à la retraite, vos revenus n'évoluent plus".

Là où les salariés peuvent changer d'entreprise, négocier une augmentation salariale, compter sur l'intéressement et la participation de leur entreprise, un retraité ne va pas voir sa pension bouger, sauf éventuelle indexation sur l'inflation.

"Il y a un petit côté 'ils sont coincés avec ce qu'ils gagnent donc n'y touchons pas'. Mais on oublie que la mobilité des salariés est liée à la région et leur niveau d'études, bref elle n'a rien d'automatique", regrette l'ex-ministre socialiste Michel Sapin.

"Rien n'exige que les impôts ne bougent pas pour eux"

Dernier argument qui revient pour justifier un traitement différencié en termes de prélèvements obligatoires et d'impôts sur les retraités: "L'idée que les seniors ont rempli leur part du contrat social et qu'on ne doit plus leur demander d'y contribuer, qu'ils touchent ce pour quoi ils ont cotisé", comme l'explique l'économiste Anne Lavigne.

En regardant plus en détail, le constat se discute pourtant. Le rendement interne, l'expression qui désigne ce que des retraités ont cotisé et combien ils touchent, est très favorable aux retraités actuels.

"Toute la génération qui est née après la Seconde guerre mondiale jusqu'aux années 60 a cotisé à des taux beaucoup plus faibles qu'aujourd'hui et moins longtemps que les actifs actuels", analyse encore cette spécialiste des retraites.

Un ex-secrétaire d'État aux comptes publics voit également une faiblesse dans cet argumentaire: "La loi garantit un niveau de vie satisfaisant pour les retraités et c'est largement le cas. Mais rien n'exige que le système fiscal ne bouge pas pour eux".

"On est des grands brûlés"

Tous les ans, le niveau de l'impôt sur le revenu est par exemple rediscuté lors des débats au Parlement sur le budget de l'État et de la Sécurité sociale. Exit ces dernières années les discussions en la matière pour les retraités.

"On est des grands brûlés sur les aînés, vous savez. Depuis, on ne bouge plus", soupire ainsi un ancien conseiller ministériel, présent dans le gouvernement en 2018.

Cette année-là, Emmanuel Macron avait décidé d'augmenter la CSG (contribution sociale généralisée) des retraités en fonction de leurs revenus, suscitant leur colère. Il avait ensuite en partie rétropédalé.

La version la plus élevée de la CSG des retraités se monte actuellement à 8,3% contre 9,2% pour les actifs. La mesure arrivait après la suppression de la demi-part des veufs et des veuves.

"Ne pas traiter tous les retraités de la même façon"

Mais moins qu'une contribution qui toucherait tous les retraités, les spécialistes défendent plutôt une participation pour les plus aisés.

"On ne peut pas traiter tous les retraités de la même façon, c'est une évidence", plaide ainsi l'économiste Jacques Bichot, spécialiste du financement des retraites.

C'est d'ailleurs la piste qui avait été retenue par Emmanuel Macron en 2019 en décidant de revaloriser les retraites inférieures à 2.000 euros brut par an de 1% contre 0,3% pour les autres avant de stopper la mesure pour cause de Covid-19. François Hollande avait fait le même choix lors d'une partie de son quinquennat.

"Il faudra aussi qu'on s'occupe quand même un jour de la question de l'impôt sur le revenu des retraités", tance de son côté l'ancien ministre Michel Sapin.

Les retraités qui sont imposables ont par exemple le droit d'avoir un abattement de frais professionnels de 10% alors qu'ils ne travaillent plus. La fin de la mesure est réclamée par le Medef. Des sénateurs LR, proposent, eux de le plafonner.

Marie-Pierre Bourgeois