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"Expulser les détenus étrangers condamnés": ce qui est possible ou non dans la proposition de Darmanin

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Le garde des Sceaux veut faciliter la transfert de prisonniers étrangers en France vers leur pays d'origine en s'appuyant sur des dispositifs souvent déjà existants. Mais le droit européen tout comme la bonne volonté des pays d'origine pourraient amoindrir cet objectif qui vise à désengorger les prisons.

Une offensive très symbolique. Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a exhorté les procureurs et les directeurs de prisons à ce que tout "soit fait pour l'éloignement systématique des étrangers sortant de prison et pour les détenus pouvant terminer leur peine dans leur pays d'origine" dans les colonnes du JDD ce dimanche.

Mais cette volonté, déjà annoncée à plusieurs reprises ces dernières années, pourrait se heurter à de nombreuses obstacles juridiques. Pour parvenir à expulser des détenus étrangers définitivement condamnés, le garde des Sceaux compte d'abord sur une possibilité déjà existante: le transfert de personnes condamnées détenues vers leur pays d'origine si elles sont ressortissantes d'un pays membre de l'UE.

Utiliser un dispositif européen

La mesure concerne 3.068 prisonniers à l'heure actuelle, d'après les chiffres indiqués par Gérald Darmanin. Le cadre juridique a été clarifié par une directive européenne qui date de 2019.

Le consentement du détenu, qui était notamment prévu dans une ancienne version de ce texte, et qui nécessitait donc l'accord du prisonnier pour pouvoir le transférer dans son pays d'origine, a été restreint.

Il n'est par exemple plus nécessaire de prouver que la personne condamnée a des attaches familiales avec le pays vers lequel elle est renvoyé. Elle peut également être renvoyée vers son pays d'origine même si elle n'était pas avant sa condamnation visée par une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Mais pour l'instant cette directive n'a guère donné de résultat.

"Les parquets n'ont pas le temps ni l'organisation pour engager les démarches", a reconnu lui-même le ministre de la Justice auprès du JDD.

Prendre en compte la Convention européenne des droits de l'homme

Pour y remédier, l'ex-ministre de l’Intérieur a annoncé la mise en place dans les prochaines semaines d’une "mission spécifique au sein du ministère de la Justice" qui sera chargé "d’organiser quotidiennement le départ de ces détenus dans leurs pays d’origine".

Par ailleurs, dans le cas où la personne peut arguer de liens avec la France comme par exemple un mariage sur le territoire français ou des enfants nés en France, son consentement sera toujours requis.

La Convention européenne des droits de l'homme prévoit en effet que "toute personne a le droit au respect de sa vie privée et familiale". La Cour européenne des droits de l'homme a déjà condamné à de nombreuses reprises la France pour avoir expulsé des ressortissants étrangers qui avaient "des liens familiaux et sociaux profonds" avec la France et "n'ayant que peu de contacts avec leur pays de destination".

Négocier des accords avec les pays hors UE

Second cas évoqué par Gérald Darmanin: les détenus étrangers qui possèdent une nationalité hors pays de l'Union européenne soit 16.773 personnes à l'heure actuelle.

Pour expulser ce type de prisonniers, il faut actuellement un accord entre la France et son pays d'origine. Si ces accords existent entre l'Hexagone et de nombreux États, ils demandent généralement à ce que le détenu accepte d'être transféré vers son pays d'origine. Il est rare que le prisonnier donne son consentement, rendant de fait ces accords peu efficaces.

Le ministre a indiqué auprès du JDD compter "engager" des discussions avec "ses homologues" dans les pays étrangers pour parvenir à des accords "sans que le détenu n'ait son mot à dire" en évoquant notamment le cas du Maroc, de la Tunisie, du Kosovo, de l'Albanie, du Brésil, de la Chine et de l'Asie du sud-est.

Reste à voir la faisabilité de tels échanges alors que les questions diplomatiques restent la prérogative du Quai d'Orsay. Quant au retour de ressortissants algériens, il semble peu probable en pleine crise diplomatique avec l'Algérie.

Utiliser les libérations conditionnelles

Dernière piste sur la table pour faciliter l'expulsion de détenus étrangers: avoir recours aux mesures de libération anticipée", dont la libération conditionnelle appelée "expulsion".

Cette disposition est applicable lorsque la personne condamnée fait notamment l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire français ou d'une obligation de quitter le territoire français liée à son condamnation ou déjà préexistante. Elle existe depuis 1984.

La libération conditionnelle ne nécessite pas le consentement de la personne détenue mais elle peut cependant être contestée auprès du juge d'application des peines. Par ailleurs, l'exécution de l'expulsion du prisonnier une fois libéré reste au bon-vouloir du pays d'origine de le reprendre.

Les annonces de Gérald Darmanin seront-elles vraiment suivies des faits? En tout cas, l'objectif du ministre est clair: désengorger les prisons. La France comptait le 1er février dernier plus de 81.000 prisonniers pour seulement 62.000 places, un chiffre jusqu'ici inégalé. Mais plus de 24.000 détenus sont en détention provisoire et aucune des mesures évoquées par le ministre de la Justice ne s'appliquera à ce cas.

La manœuvre du garde des Sceaux a également l'avantage de lui permettre de préempeter un sujet jusqu'ici réservé aux ministres de l'Intérieur. De quoi lui permettre de continuer à garder la lumière face à son homologue Bruno Retailleau.

Marie-Pierre Bourgeois