Bruno Retailleau à l'Intérieur et Gérald Darmanin à la Justice: duo ou duel à prévoir au gouvernement?

Un tandem qui risque de faire des étincelles. Élevé au rang de ministre d'État, Gérald Darmanin est devenu ministre de la Justice ce lundi soir et va devoir apprendre à travailler avec Bruno Retailleau, conforté à l'Intérieur. Mais leurs ambitions respectives pourraient tourner rapidement au bras de fer.
"Nous allons travailler main dans la main avec le ministère de l’Intérieur pour la sécurité et le respect des libertés de nos compatriotes", a avancé le nouveau garde des Sceaux pour ses premiers pas place Vendôme.
L'un sarkozyste, l'autre filloniste
Pour son retour au gouvernement, le nouveau garde des Sceaux a clairement mis les formes. Priorité au plan de lutte contre le narcotrafic porté depuis des mois par Bruno Retailleau et son prédécesseur à la Justice Didier Migaud, plaidoyer pour l'exécution des courtes peines directement en prison et non sous bracelet électronique dans la droite lignée de ce que défendait l'ex-patron des sénateurs LR quand il siégait à la chambre haute...
"Avoir un ministre de l'Intérieur très politique avec un ministre de la Justice qui a aussi très envie de bien faire, c'est très positif", salue le sénateur LR Christian Cambon auprès de BFMTV.com.
Si le parcours politique de Gérald Darmanin et Bruno Retailleau sont certes très différent - l'un se revendique de la droite sociale et reste un proche de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand, l'autre est un tenant de la droite conservatrice et intime de François Fillon - ils ont appris à se connaître.
Lors des débats houleux sur la loi immigration à l'hiver dernier, Gérald Darmanin, alors locataire de la place Beauvau, avait pris l'habitude de recevoir Bruno Retailleau, alors patron des sénateurs LR, très en pointe sur ce texte.
Darmanin "encore un peu connecté à son ex-ministère"
Depuis son départ du gouvernement après plus de sept ans dans les allées du pouvoir, celui qui était redevenu simple député Renaissance avait pris également l'habitude d'échanger régulièrement avec son prédécesseur. Autant d'indices qui laissent à croire que des relations cordiales devraient s'établir entre la Justice et l'Intérieur.
"Bruno Retailleau était forcément partant pour qu'on lui explique comment fonctionne concrètement Beauvau. Et puis pour Darmanin, on peut se dire que ça lui faisait du bien d'être encore un peu connecté à son ex-ministère", décrypte un député Renaissance.
De quoi potentiellement éviter des relations orageuses entre la Justice et l'Intérieur deux, un grand classique des gouvernements. Tensions entre Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin en passant par Manuel Valls et Christiane Taubira ou Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie... Les échanges entre Beauvau et Vendôme, distants de quelques centaines de mètres seulement sont souvent électriques.
"L'institution judiciaire n'est pas évidente. Darmanin va devoir apprendre. C'est une culture qui est moins centralisée que dans la police. Il va falloir qu'il accepte de ne pas tout savoir face à Retailleau. Mais je pense qu'il le sait et qu'il n'y aura pas de conflit", analyse le sénateur LR Étienne Blanc.
Des critiques publiques lors de la finale de la Ligue des champions en 2022
Les deux hommes n'ont cependant probablement pas oublié certains propos acides. Après le fiasco de la finale de la Ligue des champions en juin 2022, Bruno Retailleau avait par exemple accusé Gérald Darmanin "d'avoir inventé des fables pour éviter de dire la vérité".
L'ex-ministre de l'Intérieur n'a non plus jamais cessé d'être considéré comme un traître par une partie de son ex famille politique. Si la droite a choisi de rentrer au gouvernement après les dernières législatives catastrophiques pour la macronie, Gérald Darmanin avait rejoint le camp présidentiel dès 2017.
"C'est derrière tout ça, on est un peu tous passés à autre chose", banalise un député LR.
Si le duo finit par faire des étincelles, ce sera pourtant donc probablement plus sur des considérations d'ordre politique. Pour son tout premier déplacement à la Justice, Gérald Darmanin n'a pas fait semblant.
Direction en plein 25 décembre dans un centre pénitentiaire dans l'Oise pour promettre de "nettoyer les prison" tout en assurant de sa volonté de "fermeté" dans les peines prononcés. La méthode déjà appliquée lorsqu'il était à Beauvau ressemble en tout point à celle déjà déployée par Bruno Retailleau. À peine nommé à l'Intérieur, l'ex sénateur LR avait ainsi foncé au commissariat de La Courneuve pour promettre "le retour à l'ordre" avant de multiplier les déplacements et les formules choc, notamment sur l'immigration.
"Ils s'inspirent tous les deux du style Sarkozy. Clairement, ça se voit", avance un député Modem qui y voit cependant "une chance". "François Bayrou va être aspiré par les difficultés. Tant mieux s'ils sont deux à faire de la politique".
"Attention non plus à ne pas faire trois polémiques par jour pour faire vivre l'un et l'autre. Ce n'est pas du tout ce qu'attendent les Français aujourd'hui", nuance un député macroniste.
"Tout ça peut devenir saignant à un moment"
Pourrait-on assister à terme à un match des ambitieux? Gérald Darmanin ne fait en tout cas pas mystère de ses intentions pour la prochaine présidentielle avec le lancement de son mouvement Populaires. Bruno Retailleau, lui, a fait le choix de consolider plutôt ses appuis à droite mais se tient prêt si Laurent Wauquiez s'affaiblit dans les prochains mois.
"Tout ça peut devenir saignant à un moment. Ils mordent quand même sur le même électorat", reconnaît un député LR. "Mais à mon avis, ni l'un ni l'autre ne sera encore ministre quand on rentrera vraiment dans la course à la présidentielle".
Dans le dernier sondage Ifop pour Sud radio, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin sont au coude-à-coude parmi les personnalités préférées des Français. Le ministre de l'Intérieur récolte 42% d'opinions favorables contre 43% pour le nouveau garde des Sceaux.