"En train de nous le faire à l'envers": Bayrou a-t-il tué le conclave sur les retraites et son avenir à Matignon?

Le Premier ministre, François Bayrou, à l'Élysée le 22 janvier 2025 - Ludovic MARIN / AFP
Quelques mots qui ont mis le feu aux poudres. Relativement discret ces dernières semaines, François Bayrou a été interrogé ce dimanche sur le retour de la retraite à 62 ans, principale revendication des socialistes et de la CGT. Mais le Premier ministre a indiqué une fin de non-recevoir, suscitant la colère au PS tout comme dans les rangs syndicaux.
"On nous prend pour des idiots. Ce n'est pas du tout ce qui avait été promis. Si l'accord entre les syndicats est biaisé, ce sera un motif de censure", menace Dieynaba Diop, la porte-parole des députés socialistes auprès de BFMTV.com.
Le retour aux 62 ans, "pas la seule piste"
"C'est une déclaration qui a été incomprise, incompréhensible, choquante et inutile", a tancé de son côté le patron de la CFTC Cyril Chabanier sur notre antenne.
Il faut dire que François Bayrou n'a pas louvoyé. Interrogé ce dimanche sur France Inter sur la possibilité de revenir à 62 ans contre 64 ans dans la loi actuelle, le Premier ministre a clairement répondu "non".
"Je ne crois pas que la question de dire 'voilà l'âge pour tout le monde', je ne crois pas que ce soit la seule piste", s'est encore justifié le Premier ministre.
Vers la rupture de l'accord avec le PS
Très loin des propos tenus par le locataire de Matignon ces derniers mois. Cherchant à s'éviter la censure du PS, François Bayrou avait rouvert en janvier le dossier des retraites, et confié aux partenaires sociaux la tâche de tenter de parvenir à un nouvel accord sous la forme d'un conclave.
La manœuvre avait permis d'obtenir un accord de non-censure des socialistes et dans la foulée le vote des budgets de l'État et de la sécurité sociale, à l'arrêt depuis la chute de Michel Barnier.
Pour convaincre le parti à la rose qui avait soutenu, dans le programme du Nouveau Front populaire, le retour à la retraite à 62 ans, le chef du gouvernement avait promis des échanges entre syndicats et patronat "sans totem, ni tabou".
"Un jeu de dupes depuis le départ"
Mais le patron des socialistes, Olivier Faure, avait bien mis en garde François Bayrou, le menaçant de déposer une motion de censure en cas de "débat verrouillé".
Depuis, les relations entre Matignon et le PS semblaient plutôt bonnes, laissant augurer de prochains mois plutôt sereins pour le gouvernement.
Le locataire de Matignon pourrait cependant bien avoir rompu de fait son accord avec le PS qui pourrait dès lors chercher à le faire tomber.
"À la brutalité sociale de la réforme, la brutalité démocratique de son adoption, François Bayrou compte-t-il ajouter la brutalité de la trahison de la parole donnée... et écrite ?", a fustigé le chef des députés socialistes Boris Vallaud sur X.
"C'est la preuve que les négociations avec les partenaires sociaux mais aussi les socialistes sont un jeu de dupes depuis le départ. Les masques tombent", juge de son côté le député LIOT Harold Huward, un temps proche des socialistes.
"On est train de nous la faire à l'envers"
Conscient de la situation dans laquelle s'est mise François Bayrou, qui doit continuer d'avoir le soutien du PS pour espérer se maintenir à Matignon, le ministre de l'Économie a tenté d'arrondir les angles sur BFMTV quelques heures après les propos du Premier ministre.
"C'est aux partenaires sociaux de décider", a insisté Éric Lombard. "La position du gouvernement, c'est que le conclave doit se prononcer et cet engagement du conclave aura une force considérable", a encore jugé ce proche d'Olivier Faure. Sans guère faire redescendre la pression.
"On est en train de nous la faire à l'envers. François Bayrou se dit 'ils n'oseront jamais me censurer donc je peux dire ce que je veux'. Et il a peut-être raison. Ni Olivier Faure ni Boris Vallaud n'ont brandi la motion de censure", décrypte un député socialiste.
Bayrou "victime de sa sincérité"
Dans le camp du Premier ministre, on nie d'ailleurs toute inquiétude et on assume la stratégie. "C'est un jeu de dupe hallucinant car tout le monde sait qu’on ne peut pas revenir aux 62 ans si on veut tenir l’équilibre. François Bayrou a été victime de sa sincérité", défend l'un de ses proches.
"Il ne ment pas, il ne louvoie pas. Il dit les choses comme il le sent", insiste encore un député Modem.
Le sous-texte est assez clair: le chef du gouvernement n'aurait fait que dire publiquement une donnée déjà sur la table depuis qu'il a appelé fin février les partenaires sociaux à rétablir l'équilibre des retraites d'ici 2030.
"Le censurer concrètement, je n'y crois"
Impossible dans ce contexte de rétablir la retraite à 62 ans qui coûterait 10,5 milliards d'euros par an, selon des estimations de la Cour des comptes.
"Il confirme ce que l'on savait déjà, oui, mais de façon très maladroite, en brusquant les syndicats alors qu'on a besoin au contraire de débats constructifs", regrette la députée Renaissance Stéphanie Rist, rapporteure du projet de loi retraites en 2023.
Il faut dire que le contexte international donne des ailes à François Bayrou, qui ne semble donc plus guère s'inquiéter d'être renversé. "On ne peut pas se payer le luxe d'une crise politique au moment où on a des défis immenses sur la sécurité de la France", résumait le député Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade la semaine dernière à l'occasion des 90 jours du chef du gouvernement à Matignon.
"Que le PS soit en colère, je n'en doute pas. Mais de là à le censurer concrètement dans quelques semaines, avec Poutine d'un côté et Trump de l'autre, non je n'y crois pas", partage un conseiller ministériel.
"Censuré sur un truc qu'il n'aura pas vu venir"
À voir. "Il a la conviction qu'il a une bonne étoile au-dessus de sa tête, que rien ne peut lui arriver. Attention quand même. Il peut finir par être censuré par un truc qu'il n'aura pas vu venir", le prévient un député Renaissance.
La pression peut-elle s'intensifier sur François Bayrou si les syndicats claquent la porte du conclave sur la réforme des retraites? La CFDT, "attachée à un bougé sur l'âge sur la base des 62 ans", compte demander au Premier ministre "s'il confirme ses propos" lors d'une rencontre avec lui mardi.
"C'est sûr que si la CFDT claque la porte, le conclave ne vaudra plus rien. Mais je ne pense pas que ce soit leur intérêt après avoir été court-circuités par Macron pendant 8 ans", résume un député Renaissance qui suit de près le dossier.
Quant à la CGT, elle réunit ses cadres lundi et mardi pour décider de maintenir ou non sa présence. Fin février, Force ouvrière avait déjà claqué la porte, dénonçant "une mascarade".