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Discrets ou inaudibles? Pourquoi les ministres issus de la gauche font si peu parler d’eux

Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel à Paris le 10 janvier 2024

Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel à Paris le 10 janvier 2024 - AFP

Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel sont redevenus ministre en décembre dernier, après avoir été dans le gouvernement de François Hollande pendant des années. Tous ont choisi la discrétion tout en assurant œuvrer dans les coulisses à rapprocher François Bayrou des socialistes.

Mis en avant comme des trophées par François Bayrou, les ministres venus de la gauche semblent inaudibles. Depuis leur arrivée au gouvernement à l'hiver dernier, Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel jouent la carte de la discrétion.

Impossibilité de trouver sa place dans une équipe polarisée par le très droitier Bruno Retailleau à l'Intérieur? Volonté d'éviter les coups de leur ex-famille politique qui ne digère pas toujours ce retour en grâce?

"Je suis sur le terrain, là pour améliorer la vie des Français. Ça ne fait peut-être pas les gros titres de la presse nationale mais quand je travaille sur la déscolarisation des jeunes ou la réparation des ascenseurs dans des HLM, je juge que je suis dans ma mission", se défend la ministre déléguée à la ville Juliette Méadel auprès de BFMTV.

"Les grands brûlés" de François Hollande

L'ex-secrétaire d'État aux victimes du terrorisme sous François Hollande qui a multiplié les plateaux pendant tout le quinquennat entre 2012 et 2017 a fait son retour sur la scène nationale aux côtés de François Rebsamen, ex-ministre du Travail et longtemps intime de l'ancien chef de l'État.

Le tout accompagné de l'ancien Premier ministre Manuel Valls qui a régulièrement fait des offres de service ces dernières années pour revenir au gouvernement.

Mais si ces trois figures ont toutes été membres du PS, elles sont depuis des années en rupture de banc avec leur famille politique en ayant rallié la macronie, avec des fortunes diverses.

"Il y a un côté reconstitution de ligue dissoute. Des gens cramés après François Hollande, il y en a un paquet mais alors là, on nous a ressorti les grands brûlés", tance un député socialiste.

"Rien à voir" avec leur collègue de Bercy

En attendant, leur retour au gouvernement a permis à François Bayrou d'afficher un gouvernement capable de parler à la droite comme à la gauche, un élément-capital pour sa survie politique et s'acheter la clémence des socialistes à l'Assemblée nationale.

Mais moins que François Rebsamen ou Manuel Valls, c'est Éric Lombard, le ministre de l'Économie, intime d'Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, qui est parvenu à conclure un accord de non-censure en janvier dernier.

La manœuvre a permis au Premier ministre de faire adopter le budget de l'État et de la sécurité sociale après la chute de Michel Barnier quelques semaines plus tôt.

"Éric Lombard n'est pas considéré comme un traître parce qu'il n'a pas rallié Emmanuel Macron et parce qu'il n'avait jamais fait de politique jusqu'ici. Il n'a rien à avoir avec eux", remarque un conseiller ministériel.

Négociateurs discrets

Pourtant au sein du trio, on apprécie faire savoir que, sans avoir négocié directement le budget, la petite bande a joué le rôle de facilitateur en mettant un peu d'huile dans les rouages.

"Ils ont été des observateurs bienveillants, ils ont passé des coups de fil sans non plus jouer un rôle capital", banalise le député PS Jérôme Guedj qui a négocié avec Éric Lombard. "On n'aura jamais besoin d'eux si on veut parler à François Bayrou", insiste-t-il encore.

"Ils peuvent bien se targuer de travailler en coulisse ou de peser sur les arbitrages ministériels mais concrètement en quoi ils influent sur un gouvernement autant à droite?", s'interroge de son côté le député PS Laurent Baumel.

"Passé l'âge" des ministères en vue

Dans leur camp, chacun insiste évidemment sur son travail. Juliette Méadel peut ainsi se targuer de l'organisation d'un comité interministériel sur la politique de la ville en mai, après un an et demi d'absence, au grand dam des élus locaux. Manuel Valls, lui, tente de désamorcer les crises qui traversent les Outre-mer, dans un relatif sans-faute jusqu'ici.

"Il y a des ministères probablement plus en vue que le mien mais j'ai passé l'âge de tout ça et aujourd'hui, je n'ai qu'une envie, c'est celle d'être utile", juge de son côté François Rebsamen, en charge des collectivités locales.

Mais tous sont discrets sur leurs éventuelles prises de distance avec les propos de Bruno Retailleau, leur collègue à l'Intérieur, honni de la gauche ou encore le garde des Sceaux Gérald Darmanin.

"Ils ne sont pas venus faire les macronistes de gauche. Pour ça, il faut en avoir envie et je pense que ce n'est pas le cas. Et puis, il faut avoir des troupes qui vous soutiennent derrière. Et là, bon courage", remarque un député Renaissance.

"Peur de leur ombre"

À l'exception d'Élisabeth Borne issue des rangs de la gauche, forte de son poids d'ex Première ministre et de Jean-Noël Barrot qui représente le puissant Quai d'Orsay, aucun membre du gouvernement n'a osé prendre publiquement ses distances avec Bruno Retailleau.

"À un moment, j'ai pensé que Bayrou avait pensé à eux pour qu'ils aillent de média en média le défendre. Sous Hollande, on ne voyait qu'eux quand on allumait la télé. C'est comme si leur traversée du désert avait coupé le son, même après leur retour", observe un député macroniste.

"La macronie est intrinsèquement de droite. Être de gauche, ce n'est pas possible avec ce gouvernement, tout simplement", griffe le président des sénateurs PS Patrick Kanner, longtemps ministre de François Hollande.

Poisson-pilote pour les municipales

Il faut dire que la seule fois où Manuel Valls est sorti de ses dossiers ultra-marins depuis son retour au gouvernement, l'ex Premier ministre s'est pris les pieds dans le tapis.

Lors d'une interview sur Europe 1-CNews, l'ex socialiste a jugé que l'antisémitisme provenant "essentiellement du monde arabo-musulman". La phrase a choqué à gauche et deux députés écologistes ont indiqué saisir la justice pour "incitation à la haine".

La bande des trois se verrait cependant bien en poisson-pilote pour les prochaines municipales. Avec La France insoumise en embuscade, certains socialistes craignent la déroute, eux qui détiennent toujours un tiers des plus grandes villes françaises. De quoi peut-être les pousser à nouer des accords locaux sur le terrain avec la macronie qui n'a elle-même jamais réussi à s'ancrer localement.

François Rebsamen en connaît un domaine sur le sujet. Dès 2008, celui qui était alors maire de Dijon prônait des alliances locales avec le Modem. Quant à Juliette Méadel, elle a multiplié ces dernières semaines les rendez-vous avec les maires des grandes communes socialistes, elle qui se verrait bien devenir maire de Montrouge (Hauts-de-Seine) tout en gardant son ministère en mars prochain.

"Franchement, on peut tous tellement tomber à n'importe quel moment que tout le monde prend ce qu'il peut. Ils ne sont pas différents des autres", juge un conseiller ministériel. De quoi les pousser à savourer leur retour en grâce.

Marie-Pierre Bourgeois