Après son pari réussi sur les budgets, François Bayrou a-t-il vraiment la route dégagée à Matignon?

François Bayrou à l'Assemblée nationale le 3 février 2025 - Bertrand GUAY / AFP
François Bayrou peut avoir le sourire. Le Premier ministre devrait parvenir sans encombre à faire adopter définitivement le budget de l'État et de la Sécu dans les prochains jours, là où Michel Barnier avait chuté en décembre dernier.
En dépit de plusieurs motions de censures soutenues par une partie de la gauche, le chef du gouvernement pourra en plus se targuer d'avoir toutes les chances de rester encore quelques semaines à Matignon. Et pour cause: exit le front commun entre le RN et le NFP pour le renverser, ce qui avait coûté la peau de son prédécesseur issu de LR, sauf en cas de retournement de situation.
Des motions de censure largement rejetées à l'Assemblée?
Pour avoir une chance de faire tomber le chef du gouvernement, La France insoumise -qui a déposé deux textes pour renverser François Bayrou- doit parvenir à récolter au moins 288 voix.
Mais les socialistes ont déjà annoncé qu'ils ne voteraient aucune des motions de censure qui vont examinées cette semaine et en début de semaine prochaine. Après avoir "beaucoup hésité", comme l'a admis leur premier secrétaire Olivier Faure, les socialistes ont en effet fini par "faire le choix de donner un budget à la France".
"Nous avons été sollicités par une multitude d'acteurs, les collectivités locales, associations, entreprises... qui dépendent de la commande publique et ne peuvent attendre davantage. Nous avons choisi, non pas de soutenir le gouvernement, mais de ne pas pratiquer la politique du pire", a-t-il expliqué sur France Inter.
De son côté, le RN prendra une décision ce mercredi mais laisse déjà entendre que la censure créerait de "l'instabilité" en France. Les voix de LFI, couplées à celles des communistes et des écologistes ne devraient pas rassembler plus de 126 députés, très loin donc du compte.
Un répit mais pas de blanc-seing au PS
Après cette première course d'obstacles et une fois la séquence budgétaire achevée dans lequel il ne devrait pas laisser de plume, François Bayrou va retrouver sur sa route le PS. Soucieux de pouvoir dire à leurs électeurs qu'ils ont aidés François Bayrou à voter les budgets du pays et être "responsable" pour reprendre les mots du député PS Philippe Brun sur BFMTV, les socialistes ne veulent pas non plus lui accorder un blanc-seing.
Après avoir tranché en bureau national, les troupes d'Olivier Faure ont donc décidé d'enclencher un article méconnu de la Constitution: le 49.2 qui correspond à une motion de censure "spontanée".
Concrètement, le PS va déposer un texte pour faire tomber François Bayrou "au nom des valeurs" après ses propos sur le sentiment de "submersion" migratoire. Cette motion de censure qui devrait être largement soutenue par l'ensemble du Nouveau front populaire (NFP) aura le mérite de remettre du liant au sein de la gauche. Le NFP ne compte que 192 députés, toujours loin donc des 288 voix nécessaires pour faire tomber le Premier ministre.
Quant au RN et aux députés d'Éric Ciotti qui pourraient faire pencher la balance, il est peu probable qu'ils votent une motion de censure qui critique les propos du chef du gouvernement de l'immigration.
"Le RN pourrait choisir à nouveau l’instabilité en profitant d’un texte de gauche avec lequel ils sont en désaccord total pour faire tomber le gouvernement", s'inquiète cependant l'un des participants au petit-déjeuner du socle commun qui a lieu tous les mardis à Matignon.
Mais si le Premier ministre parvient à enjamber l'essai du PS pour le faire tomber, il aura deux options sur la table pour continuer à durer. Le centriste pourra d'abord souhaiter limiter les risques politiques en gérant les affaires courantes et en limitant au maximum les projets de loi sur lesquels il peut risquer de tomber à chaque occasion si le RN et le NFP soutiennent une motion de censure.
En meeting à Bordeaux fin janvier, Édouard Philippe avait d'ailleurs évoqué sa crainte sur "le fait que nous ne ferons rien de décisif dans les deux ans qui viennent".
"Avancer sur des projets soutenus par le bloc central et le RN"
Seconde possibilité pour François Bayrou: vouloir continuer à légiférer quitte à fâcher. Pour l'instant, les seuls textes sur la table sont la question de la fin de vie, un sujet transpartisan et et un projet de loi sur la question de l'immigration à Mayotte, réclamé par les LR et le RN depuis des années.
"Si on avance sur des projets qui sont soutenus par le bloc central et par Marine Le Pen, on ne devrait pas avoir de problème", décrypte un député Modem auprès de BFMTV.com.
"Et si LFI dépose à chaque fois des motions de censure qui ne sont pas adoptées en divisant à chaque fois la gauche, c'est eux que ça démonétise, pas nous", juge encore cet élu.
À voir. Sans jamais être renversée, Élisabeth Borne qui avait affronté pas moins d'une vingtaine de motions de censure, en était sortie totalement démonétisée. Mais François Bayrou pourrait être servi par le contexte.
Lors des prochains débats budgétaires à l'automne prochain, les partis politique seront tournés vers les municipales prévues en mars 2026. Autant dire que les socialistes, qui risquent de devoir affronter les insoumis dans de nombreuses communes, n'auront probablement pas la tête à faire tomber le Premier ministre.
Quant au RN qui se verrait bien décrocher plusieurs villes, sa stratégie peut être fluctuante, avec à la fois un intérêt à la stabilité ou à renverser François Bayrou s'il est très impopulaire. Autant dire que le Premier ministre peut dire que son pari de tenir à Matignon est en grande partie réussi.