Guerre en Ukraine: peut-on reporter la présidentielle française?

Des électeurs dans l'isoloir (photo d'illustration) - Benjamin Cremel - AFP
C'est une des conséquences indirectes de la guerre qui se joue actuellement en Ukraine. Depuis le début de l'offensive russe sur son voisin le 24 février, la campagne présidentielle est au point mort. Les candidats sont peu audibles dans le débat public, alors que le président sortant, encore non-déclaré à sa réélection, focalise toute l'attention sur la scène nationale en sa qualité de chef des armées.
La guerre non prévue comme motif de report
Si bien que Gérard Larcher, président (LR) du Sénat, a accusé sur Europe 1 mardi Emmanuel Macron de "scénariser la crise. Nous sommes à cinq semaines et demi de l'échéance du premier tour, et il n'y a pas de débat, de bilan, de projet. Si le président est réélu, alors ce sera dans une forme d'omission démocratique avec un risque de légitimité au cours du mandat", a-t-il mis en garde. Une raison pour reporter le scrutin dans ce contexte géopolitique inédit?
Pas si simple. Car si la constitution française prévoit bien la possibilité de reporter une élection démocratique, les raisons justifiant un tel report sont limitées. Et ne correspondent en rien à la situation actuelle. Selon l'article 7 de la Constitution, une élection peut être reportée si "avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché".
"La constitution ne prévoit aucune disposition qui permettrait que l'élection puisse être reportée pour cause de guerre", déclare sur BFMTV Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'université de Lille.
Un scénario peu souhaitable?
Inclure un tel motif dans la constitution nécessiterait une révision du texte, procédure longue et complexe, politiquement comme juridiquement. Et jugée peu souhaitable par Jean-Philippe Derosier.
"L'élection présidentielle est un acte démocratique fondamental, qui sert à désigner le chef des armées qu'est le président de la République. Qu'il s'agisse donc de reconduire celui qui est actuellement en poste ou en élire un nouveau, il est nécessaire que cet instant démocratique puisse se dérouler au moment où il est prévu. Afin de conférer à ce président toute la légitimité dont il a besoin pour intervenir dans cette crise européenne majeure que constitue cet acte d'agression de la Russie envers l'Ukraine", estime-t-il.
Pour Laurent Neumann, éditorialiste politique pour BFMTV, une telle démarche irait même dans le sens de Vladimir Poutine. "Un report serait une façon de donner quitus à ceux qui attaquent les démocraties. Si l'agression de l'Ukraine, un pays démocratique et tourné vers l'Europe, avait pour conséquence de reporter des élections démocratiques, ce serait donner une victoire supplémentaire à Vladimir Poutine, et aucun Français n'en a envie".
Fabien Roussel et Nicolas Dupont-Aignan se sont tous deux exprimés contre un report.
Décaler le scrutin d'une semaine?
Néanmoins, en convoquant les électeurs les 10 et 24 avril prochains, le gouvernement a fait le choix d'organiser l'élection du locataire de l'Élysée bien avant la fin officielle du mandat d'Emmanuel Macron, prévue au 13 mai. L'article 7 de la constitution prévoit en effet que "l'élection du nouveau président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration des pouvoirs du président en exercice".
L'exécutif a donc toujours la possibilité de décaler d'une semaine le premier et le deuxième tour, aux 17 avril et 1er mai prochains, tout en restant dans le respect strict de la constitution. "Un décret de convocation suffirait", explique Jean-Philippe Derosier.