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Présidentielle

Le duel Le Pen-Macron est-il comparable aux débats Trump-Clinton?

Hillary Clinton et Donald Trump, lors de leur deuxième débat présidentiel, le 10 octobre 2016.

Hillary Clinton et Donald Trump, lors de leur deuxième débat présidentiel, le 10 octobre 2016. - Robyn Beck - AFP

INTERVIEW - Sur plusieurs points, notamment la tension évidente entre les deux candidats ou les approximations avancées, le débat télévisé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron a rappelé ceux organisés entre Donald Trump et Hillary Clinton, lors de l'élection présidentielle américaine de 2016.

Agressivité, attaques personnelles, intox, invectives: de nombreux éléments observés mercredi soir lors du débat télévisé entre les deux candidats au second tour de la présidentielle française, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, ont pu rappeler la teneur des duels entre Donald Trump et Hillary Clinton, à l'automne dernier, avant l'élection américaine. Peut-on pour autant comparer ces deux affiches et la façon dont se sont déroulés ces affrontements verbaux? BFMTV.com a interrogé Corentin Sellin, professeur d'histoire et spécialiste des Etats-Unis. 

Est-il possible de comparer le débat Marine Le Pen-Emmanuel Macron à ceux qui ont opposé Donald Trump et Hillary Clinton pendant la campagne américaine?

"Oui et non. Non parce que sur la forme, il y a eu trois débats aux Etats-Unis avant le scrutin de novembre 2016, comme à chaque présidentielle depuis 2000. De fait, c'est une dynamique différente pour les candidats américains, puisque ce n'est pas la même gestion du temps. Si un candidat rate son premier débat, il lui en reste deux pour se refaire. C'est la première différence: aux Etats-Unis, le candidat apparu battu au premier débat peut remonter la pente. Ce fut le cas pour Barack Obama, qui avait totalement loupé son premier affrontement avec Mitt Romney en 2012, mais avait été meilleur lors du deuxième. 
Il faut souligner par ailleurs que les débats français et américains ne revêtent pas la même forme, et que les interactions entre candidats y sont différentes. Aux Etats-Unis, le fait que les protagonistes soient debout leur permet de jouer avec leur physique. Lors du deuxième débat Trump-Clinton, il n'y avait pas de pupitres, et il avait été le plus violent physiquement: Donald Trump avait joué de son image d'homme fort en tournant autour d'Hillary Clinton, et en occupant son espace.
En revanche, Donald Trump a refusé d'appliquer les règles de courtoisie élémentaires du débat, et n'a fait preuve d'aucun respect pour Hillary Clinton. Il y a là une similitude avec ce que nous avons observé mercredi soir: avec ses multiples attaques, Marine Le Pen a aussi voulu montrer qu'elle est hors système et qu'elle ne respecte pas les règles de base".

Aux Etats-Unis, Donald Trump a perdu les débats, mais remporté l'élection. Peut-on avoir le même genre de scénario en France, alors qu'Emmanuel Macron a été jugé le plus convaincant mercredi?

"Donald Trump avait perdu les sondages post-débats mais a gagné l'élection, sur laquelle les débats n'ont eu que peu d'impact puisqu'ils n'ont pas fait changer d'avis ses partisans, qui ont quand même voté pour lui. Malgré une performance désastreuse, le socle reste en place. Seuls les indécis sont à convaincre par ce type d'exercice. Ainsi, Hillary Clinton avait largement remporté le premier débat, et cela lui avait valu un rebond dans les sondages. Selon un sondage diffusé mercredi soir, 12% des électeurs de Marine Le Pen ont trouvé que le candidat d’En Marche! avait été le plus convaincant. Mais combien changeront d'avis au moment de voter dimanche?
Enfin, il ne faut pas oublier qu'aux Etats-Unis, les débats sont organisés entre trois et six semaines avant le scrutin. Il reste donc beaucoup de temps, et des événements peuvent venir tout remettre en cause. En France, le fait qu'il ne reste que trois jours avant le vote peut servir Emmanuel Macron". 

Marine Le Pen s'est-elle directement inspirée du style de Donald Trump pour le débat de mercredi?

"Ce qui avait été frappant lors des débats présidentiels américains, c'est à quel point Donald Trump s'était peu préparé. On regardait une bête de télévision, qui parlait fort mais manquait de fond, de notes, et qui s'épuisait. Mercredi soir, Marine Le Pen avait beaucoup de notes, bien mises en évidence devant elle. Cela constitue une énorme différence en termes d'aisance à la télévision, mais aussi pour ce qui est de la préparation de l'événement. On avait l'impression que la candidate du Front national avait presque trop préparé ce débat. En revanche, elle s'est placée exactement comme Trump pour ce qui est de la construction de sa performance, en se rebellant, en parlant fort, en jouant sur l'anti-système. C'est exactement la même structure.  Avec l'insinuation sur le compte aux Bahamas, on a par ailleurs retrouvé la même tactique de torpille, de "fake news", que chez Donald Trump. Rappelons qu'avant un des duels avec sa rivale, il avait fait émerger des allégations d'agressions sexuelles commises par Bill Clinton, avant d'en reparler pendant le débat, sur le ton de l'insinuation".

Propos recueillis par Adrienne Sigel