"Il n'a pas de dynamique": depuis son entrée en campagne, Macron n'a quasiment fait que baisser dans les sondages

A ce jour, Emmanuel Macron est toujours le favori de l'élection présidentielle. Le président sortant caracole en tête des enquêtes en vue du premier tour dimanche prochain et les projections imaginant le second lui promettent toutes de battre Marine Le Pen. Toutefois, force est de constater que sa campagne - tardive - n'a toujours pas trouvé son élan.
Pire, après une entrée en matière dopée malgré elle par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, sa cote ne cesse de s'effriter dans l'opinion. À cette tendance à la baisse, s'ajoutent les critiques autour d'un programme qui peine à s'imposer auprès du grand public et que ses détracteurs taxent d'incohérence voire de plagiat. Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique BFMTV, n'hésite ainsi pas à parler d'une "campagne ratée".
"Il fait une très curieuse campagne. Pour ne pas dire une campagne ratée: une addition de mesures plutôt qu'une vision ou un projet, des déplacements, des meetings comme à l'Arena à un moment où les télévisions ne pouvaient pas le retransmettre en raison de l'égalité des temps de parole".
Des sondages en trompe-l'oeil
Ses adversaires dénoncent une absence de vision, et les commentateurs ne peuvent que relever une mauvaise dynamique, associée à une campagne sans élan. Emmanuel Macron, naguère quasi assuré de se faire réélire à l'issue de la présidentielle dont le premier tour se tiendra dimanche, traverse une mauvaise passe. Des difficultés auprès de l'opinion que les sondages sont les premiers à traduire.
Pourtant, le sortant continue d'y faire la course en tête. Dans notre sondage Opinion 2022 de l'institut Elabe pour BFMTV et SFR publié ce mardi soir, il est crédité de 28% des intentions de vote, loin devant Marine Le Pen, jaugée à 23%. Mais l'écart entre les deux rivaux "n'a jamais été aussi faible" pointe Bernard Sananès, président d'Elabe, sur le plateau de BFMTV ce mercredi.
"Emmanuel Macron n'a pas de dynamique. Ce sondage a été réalisé après son meeting à l'Arena et il ne progresse pas dans l'opinion", explique-t-il.
À dire vrai, il recule même: le score qui lui est prêté dans cette étude marque un repli de 0,5 point par rapport à la précédente mesure. Une glissade d'autant plus gênante que Marine Le Pen monte en puissance.
"Marine Le Pen continue à progresser, un point en une semaine et huit points en un mois. Elle reconstitue son socle électoral, attire des électeurs qui disaient choisir Éric Zemmour et elle fait le plein dans les milieux populaires", poursuit Bernard Sananès.
La neuvième vague du sondage Ipsos pour le CEVIPOF et Le Monde, parue mardi et réalisée entre samedi et lundi, dresse le même panorama. Emmanuel Macron est là aussi donné vainqueur au premier tour avec 26,5% des suffrages exprimés, mais ce niveau est inférieur d'1,5 point à l'évaluation publiée le 24 mars. Dans le même temps et auprès du même institut, la prétendante du Rassemblement national a quant à elle bondi de 17,5 % des intentions de vote à 21,5. En revanche, Ipsos relève qu'Emmanuel Macron parvient encore à réunir sur son nom 69% de ceux qui l'avaient choisi au premier tour de la présidentielle de 2017, captant de surcroît 34% des ex-sympathisants de François Fillon.
Bien loin "l'effet drapeau"
C'est bien là le seul signe positif que le président de la République peut tirer des derniers sondages. Car ceux-ci rendent un verdict plus dur encore lorsqu'on les considère dans une perspective plus longue. Ainsi, le 3 mars, le baromètre Ipsos estimait son capital à 30,5% de ses projections, tandis que notre enquête "Opinion 2022" pilotée par Elabe le portait même à 33,5% le 8 mars... contre 15 petits pourcents dévolus à Marine Le Pen.
On était alors aux premiers jours de l'agression militaire de l'Ukraine par la Russie et "l'effet drapeau" jouait à plein. La crise internationale et ses menaces servaient mécaniquement la cause du chef de l'Etat en soulignant sa "présidentialité". Un climat tragique mais favorable qui s'est à l'évidence dissipé.
Macron "l'arrogant"
Et tandis que ses concurrents - comme Valérie Pécresse ce mercredi sur franceinfo - l'accusent de se "dérober aux débats" et d'"escamoter la campagne", le problème du sortant est aussi affaire d'affichage, remarque encore Matthieu Croissandeau.
"On savait qu'il ne voulait pas débattre mais maintenant il boycotte même des grandes émissions, avec de fortes audiences comme s'il était différent, ce qui peut renforcer son image d'arrogance."
Le slogan des autres
Si ce pêché d'orgueil a déjà pu lui être reproché en 2017, il disposait alors d'un autre atout: sa tentative d'accéder à l'Elysée s'entourait d'une aura de nouveauté. Un privilège refusé par nature à un candidat président en exercice. Son projet se voit même régulièrement brocardé comme un copié/collé de celui de ses adversaires. Dimanche, sur France Inter, Philippe Poutou s'est amusé de l'emploi par Emmanuel Macron devant ses soutiens rassemblés à l'Arena d'un slogan de son Nouveau Parti Anticapitaliste: "Leurs vies valent plus que tous les profits".
"Si on avait su, on l'aurait fait breveter, ça nous aurait rapporté des sous", a souri le candidat trotskiste à la présidentielle.
Les emprunts ne paient plus
Côté programme, la candidate LR n'a pas manqué de dénoncer un "plagiat" de sa propre feuille de route, notamment au registre économique et social. Valérie Pécresse a même raillé à plusieurs reprises la "photocopieuse" Emmanuel Macron. Enfin jeudi dernier, au cours d'un déplacement en Charente-Maritime, ce dernier a repris la "planification écologique" de Jean-Luc Mélenchon. Signant cependant une reconnaissance de dette cette fois comme le montre cette citation présidentielle relayée ici par L'Opinion:
"J’assume ce terme, qui a plutôt été ces dernières années dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon. Ne voyez pas là une conversion de ma part, mais je suis pragmatique: quand des méthodes proposées me paraissent bonnes, il faut savoir les adapter".
Mais ce manque d'originalité, ces emprunts nombreux et piochés tous azimuts nuisent à la lisibilité de sa campagne et à son efficacité d'après l'analyse de Raphaël Llorca, auteur de La Marque Macron. Désillusions du neutre, auprès du Monde. Après avoir rappelé que ces inspirations multiples, puisées tant à droite qu'à gauche, avaient illustré sa volonté de recomposer le paysage politique sur de nouvelles bases et selon un nouveau clivage en 2017, l'essayiste a noté un profond changement de la donne.
"Aujourd'hui, ça sent la tactique à plein nez. Le barycentre de son quinquennat a penché à droite, il est tributaire d'un bilan. On ne voit pas de stratégie de campagne, mais une tentative de faire des coups, signée par ces récupérations de slogans en tout genre".
Emmanuel Macron n'a plus que trois jours pleins devant lui pour élaborer cette stratégie qui lui fait défaut s'il veut s'assurer un dimanche serein.
