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Avec la grève du 5 décembre, les syndicats de retour au premier plan?

Des manifestants de la RATP contre la réforme des retraites, le 13 septembre 2019 à Paris (illustration).

Des manifestants de la RATP contre la réforme des retraites, le 13 septembre 2019 à Paris (illustration). - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Après de longs mois d'éclipse, notamment par le mouvement des gilets jaunes, les syndicats prévoient une large mobilisation contre la réforme des retraites le 5 décembre. Un élan qui pourrait permettre aux corps intermédiaires de faire entendre leur voix?

Le mouvement de gilets jaunes "n'a rien inventé" par rapport aux corps intermédiaires, tançait Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dans les colonnes du Figaro en janvier dernier. Il n'empêche. Depuis l'éclosion du phénomène en novembre 2018, et plus globalement depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée, l'étoile des syndicats semble s'être un peu ternie.

Les syndicats "ont du mal à se faire entendre pour deux raisons", analyse auprès de BFMTV.com Stéphane Sirot, historien spécialiste de l'histoire et de la sociologie des grèves et du syndicalisme. "Le pouvoir politique leur laisse peu de latitude pour s'exprimer et puis il y a eu le mouvement des gilets jaunes" qui a "donné un coup de vieux aux syndicats".

Le mouvement du jeudi 5 décembre contre la réforme des retraites va-t-il changer la donne? Un appel à une grève reconductible a été lancé par les syndicats de la RATP et de la SNCF, notamment suivi par les réformistes de la CFDT-Cheminots. Plusieurs confédérations s'y sont jointes, comme la CGT, FO, FSU, Solidaires, et aussi des organisations d'Air France, d'EDF, de magistrats, avocats mais aussi des transports routiers, des hôpitaux, de la police, des étudiants et lycéens ainsi que par des gilets jaunes.

Un front syndical quasiment unitaire. Et largement soutenu: selon un sondage de l'institut Elabe pour BFMTV du 27 novembre, 53% des Français approuvent le mouvement.

La "machine à négocier" cassée par l'exécutif?

Le syndicat de l'encadrement CFE-CGC s'est également déclaré opposé au projet de réforme des retraites dans un communiqué. Il ne reprend pas l'appel à la grève mais soutient "ses fédérations qui s'y associeront". À l'approche du 5 décembre toutefois, le président de la confédération des cadres, François Hommeril, ne se montre guère optimiste et refuse de tirer des plans sur la comète.

"Je ne suis pas du tout dans la revanche (vis-à-vis de l'exécutif, ndlr), je suis dans la tristesse de voir à quel point le pouvoir se corrompt dans l'absence de raison", philosophe le syndicaliste auprès de BFMTV.com. "Le projet du gouvernement n'est rien d'autre que de détruire le modèle social français", tance-t-il, estimant que l'exécutif a "réussi à casser la machine à négocier en deux ans".

"C'est vrai qu'Emmanuel Macron et son gouvernement nous reçoivent peut-être plus que Sarkozy et Hollande", mais "tout ça c'est de l'enfumage" car il y a de la "concertation, mais pas de négociation", poursuit François Hommeril, comparant la situation actuelle au "village Potemkine", où les apparences sont reines mais masquent une réalité bien éloignée.

Regards en chiens de faïence

Entre Macron et les syndicats, l'idylle se fait toujours attendre. S'est nouée "une relation compliquée, notamment par rapport au quinquennat précédent", analyse Stéphane Sirot.

"Hollande avait voulu faire des organisations syndicales des partenaires pendant la première partie de son quinquennat. Avec Emmanuel Macron, la perspective est très différente. Macron considère que les syndicats n'ont pas à être des partenaires de l'État mais que leur fonction est de faire vivre le dialogue social au sein des entreprises".

Alors candidat à la présidentielle, l'ancien ministre de l'Économie de François Hollande avait annoncé la couleur: "En France aujourd'hui, on parle beaucoup de dialogue social mais on a des syndicats qui, au fond, font trop de politique", fustigeait-il en décembre 2016 sur TF1.

De fait, depuis le début de son quinquennat, la presse se fait régulièrement l'écho de relations en dents de scie entre le président de la République et les corps intermédiaires: "Entre Macron et les syndicats, la grande défiance", titrait Le Parisien en janvier, "Syndicats et patrons contre Macron", écrivait Libération en février, ou encore "Entre Macron et les syndicats, ce n'est pas encore la lune de miel!" estimait L'Opinion en mai. Liste non-exhaustive.

"(Emmanuel Macron) a cantonné les organisations syndicales en quelque sorte à la marge", résume Stéphane Sirot.

"Du pain bénit pour reprendre l'initiative"

Dominique Andolfatto, politologue auteur notamment de Syndicats et dialogue social (Ed. P.I.E. Peter Lang, 2016), abonde dans le sens de Stéphane Sirot. Il voit la réforme des retraites comme opportune pour les corps intermédiaires.

"Cette réforme, c'est pour les syndicats du pain bénit pour reprendre l'initiative. La retraite touche tout le monde, les gens y sont très attentifs et ils sont assez vite prêts à en découdre si elle doit se détériorer", considère l'enseignant en sciences politiques auprès de BFMTV.com.

Même s'il "est très difficile de faire de la météo sociale", le politologue augure "un coup de semonce assez important". Mais n'est pas certain que cela aboutira à des concessions.

"Le gouvernement se dit: 'Il va y avoir un coup de tabac, ça risque de souffler très fort", poursuit Dominique Andolfatto, tout en soulignant le précédent de la grève perlée des cheminots en 2018. La mobilisation, très suivie, a eu lieu. Mais le gouvernement est passé outre et la suppression du statut de cheminots a été actée en dépit de la contestation, pourtant nourrie.

"Avec le sujet des retraites, les organisations syndicales ont de fait l'opportunité de retrouver une certaine visibilité", estime l'universitaire, car il s'agit d'une "réforme de portée universelle". Mais les partenaires sociaux jouent gros. En cas d'échec, s'ils "ne parviennent pas d'une manière ou d'une autre à obtenir quelque chose sur la réforme des retraites, ils pourraient perdre leur place de régulateurs sociaux", c'est-à-dire d'organisation du monde du travail, met en garde le chercheur.

"Le mois de décembre est un mois crucial"

Du côté de la CGT, on préfère temporiser. "Il n'y a pas d'esprit de 'revanche' dans le conflit du mois de décembre", estime Jean-Luc Prigent auprès de BFMTV.com. "Je pense que le mois de décembre est un mois crucial, on ne va pas se mentir. Si les syndicats se loupent, les salariés sauront en tenir compte", concède toutefois le secrétaire de la CGT-RATP en charge du département RER.

Conjoncturellement, le taux de syndicalisation en France, en décrue depuis la fin des années 1960, est stable depuis les années 1990 et s'établissait à 11% en 2016, selon les statistiques du ministère du Travail.

Les 25 et 26 novembre, syndicats et patronat ont défilé à Matignon pour discuter de la réforme des retraites, sans que cela n'aboutisse à un compromis. Dans le même temps, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Marc Fesneau, assurait sur Europe 1 que l'exécutif ne "(cherchait) pas l'affrontement" avec les syndicats, mais "la discussion".

Le 27 novembre, au lendemain de ces concertations, Édouard Philippe exhortait plusieurs parlementaires réunis à huis clos à "faire passer un message d'une très grande détermination". Sur ce point-là, gouvernement et syndicats semblent sur la même longueur d'onde.

Clarisse Martin