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Affaire Bétharram: les victimes saluent un "jour historique" après leur rencontre avec Bayrou, tout en l'appelant à "agir"

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À l'issue d'une réunion avec le Premier ministre, le porte-parole de l'association des victimes de l'institution scolaire Notre-Dame-de-Bétharram, dans le Béarn, a rendu hommage à tous les enfants victimes de violences et a sommé François Bayrou de se saisir du dossier pour "agir".

Des révélations qui "obligent" le Premier ministre "à agir" contre les violences infligées aux enfants, notamment les violences sexuelles. Après la rencontre ce samedi 15 février entre des membres de l'association de victimes de violences au collège-lycée de Bétharram et François Bayrou à la mairie de Pau (Pyrénées-Atlantiques), le porte-parole de l'association a appelé le chef du gouvernement à engager un travail de fond pour protéger les plus jeunes.

"C'est notre responsabilité collective de se nourrir de ce scandale de Bétharram et de s'en servir comme d'une opportunité formidable pour changer notre façon d'agir auprès de toutes les victimes de violences", a lancé, la gorge serrée, Alain Esquerre, le porte-parole.

"Entendez la souffrance de tous ces enfants"

"Monsieur le Premier ministre, entendez comment ça fait mal à chacun de nous retrouver ici pour dénoncer l'omerta, le non-dit, l'hypocrisie d'un système qui a broyé. Entendez dans ces lieux la souffrance de tous ces enfants, ceux de Betharram, mais aussi des cinq millions de Français (victimes de violences sexuelles pendant l'enfance) qui ont connu les ténèbres et qui vous obligent à agir", a-t-il encore interpellé.

La réunion de ce samedi a duré plus de trois heures durant lesquelles 9 membres de l'association présents face à François Bayrou lui ont fait part de témoignages glaçants de violences: coups, humiliations publiques, agressions sexuelles, viols.

Affaire Notre-Dame de Bétharram : que savait François Bayrou des cas de violences au sein de l'établissement?
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Certains de ces sévices, qui font aujourd'hui l'objet d'une centaine de plaintes, ont été listés par Alain Esquerre, face aux journalistes à la sortie de la réunion avec le Premier ministre: il a ainsi parlé d'un élève de 15 ans frappé de 21 gifles "juste pour avoir sorti un livre non autorisé par un surveillant", d'un autre âgé de 9 ans "violé par un prêtre" et d'un autre élève "masturbé à 12 ans par deux prêtres directeurs".

Il a aussi raconté l'ambiance de peur qui régnait dans l'établissement, évoquant ce "perron où nous attendions terreur au ventre et nez contre le mur le tabassage en règle à venir", ces "camarades qui se retenaient d'aller aux toilettes, préférant uriner dans leur lit plutôt que de solliciter le surveillant pour s'y rendre" ou encore de ces "mises à l'air", comprendre mises à nu, "dans le bureau du surveillant général, qui jouissait de cette scène".

Malgré la douleur, aujourd'hui est "une immense victoire"

"J'ai entendu pendant des centaines d'heures le récit de mes camarades et qui ont survécu tant bien que mal à ces épreuves qu'il fallait endurer", a raconté Alain Esquerre, qui travaille depuis plus d'un à rassembler des témoignages de victimes et de témoins et qui a encore appelé ce samedi ceux qui souhaitent saisir la justice à se manifester car "un nombre colossal de victime reste encore tapi dans l'ombre".

Alain Esquerre a tout de même salué le fait qu'aujourd'hui est "un jour historique", l'omerta a pris fin et les victimes peuvent porter plainte et être entendues, ce qui est "une immense victoire".

Le porte-parole a directement incriminé non seulement la "responsabilité immense" de "la Congrégation des pères de Bétharram porté par son inaction et par un réflexe de protection" mais aussi un corps enseignant "témoin" qui, "à quelques exceptions près", n'a "pas régi et a laissé faire ces comportements délictueux pendant plusieurs années".

Alain Esquerre "croit" Bayrou "sincère"

Le Premier ministre est également maire de Pau et a eu pendant des décennies des responsabilités politiques au cours desquelles il aurait pu avoir connaissance des violences commises à Bétharram, que ce soit en tant que ministre de l'Éducation nationale de 1993 à 1997 ou comme président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques de 1992 à 2001, par exemple.

François Bayrou, dont les enfants ont eux-mêmes été scolarisés dans cet établissement, a reconnu ce samedi qu'il avait eu connaissance de faits de violences physiques, mais jamais de violences sexuelles. Une version différente de celle donnée dans son discours devant l'Assemblée nationale mardi, dans lequel il expliqua n'avoir "jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles".

"C'est vrai que la rumeur, il y a vingt-cinq ans, laissait entendre qu'il y avait eu des claques à l’internat. Mais de risques sexuels, je n’avais jamais entendu parler", déclarait par ailleurs le Premier ministre en 2024, au début de l'affaire, auprès du Parisien.

Bayrou perçu "sincère" par le collectif

Interrogé par un journaliste pour savoir s'il tenait François Bayrou responsable à un quelconque degré du fait que les violences commises à Bétharram ait perduré durant toutes ces années, Alain Esquerre a souligné qu'il ne lui reprochait rien. "Pourquoi il voudrait ne pas savoir ce qui est le meilleur pour ces enfants?", a-t-il interrogé de façon rhétorique.

"Je le crois sincère", a assuré vendredi Alain Esquerre auprès de BFMTV.

Le journal Mediapart accuse de son côté le Premier ministre d'avoir menti face à l'Assemblée nationale en affirmant ne pas avoir su quelles accusations pesaient sur cet établissement béarnais. Il avait en effet demandé une inspection académique après des plaintes. Le rapport d'inspection faisait effectivement état de violences, mais affirmait que les élèves n'étaient pas pour autant "brutalisés" au sein de l'institution.

La promesse de "moyens supplémentaires"

En 1998, dans le cadre d'une affaire de viol, l'actuel Premier ministre avait rencontré le juge chargé du dossier, selon Le Monde et La République des Pyrénées. Il a pour autant assuré n'avoir "jamais entendu parler", à l'époque, de telles accusations.

Ce samedi, François Bayrou a affirmé que ce juge était son "voisin" et qu'ils avaient seulement parlé d'une plainte pour violences sans aspect sexuel. "Je ne comprends pas pourquoi il dément aujourd'hui", a de son côté déclaré à Mediapart l'ancien magistrat en charge du dossier.

Sur le volet spécifique de l'affaire de Bétharram, le Premier ministre a annoncé son intention de demander des moyens supplémentaires, notamment en termes de magistrats, pour "aller au bout du travail" d'enquête et veut permettre aux personnes victimes d'abus lorsqu'ils étaient enfants d'être reconnus comme victimes même lorsque les faits sont prescrits.

Glenn Gillet