Qu'est-ce que l'affaire Bétharram, dont François Bayrou nie avoir eu connaissance?

Une statue de la Vierge Marie devant un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques. - GAIZKA IROZ / AFP
Mediapart accuse François Bayrou d'"avoir menti" en affirmant ne pas être au courant des faits de violences, d'agressions sexuelles et de viols commis dans l'établissement catholique Notre-Dame-de-Bétharram, dans son fief du Béarn. Une affaire "tentaculaire" selon les mots d'Alain Esquerre, ancien élève et fondateur du groupe de paroles de victimes.
Plus d'une centaine de personnes ont déposé plainte, dénonçant des abus entre les années 1950 à 1990, voire 2010, au sein de ce collège-lycée des Pyrénées-Atlantiques. Cet institut, devenu un ensemble scolaire appelé Le Beau Rameau, a été fondé et dirigé jusqu'en 2009 par la congrégation religieuse des pères du Sacré-cœur de Bétharram.
"Il y a tous les gens qui savaient et qui se sont tus"
En janvier 2024, vingt premières plaintes ont été déposées pour des faits de violences, agressions sexuelles ou viols, survenus entre 1970 et 1990. Le mois suivant, en février, le parquet de Pau ouvrait une enquête.
En juillet dernier, Alain Esquerre affirmait même auprès de France 3 Nouvelle-Aquitaine avoir reçu de nouvelles plaintes concernant des "actes de violences physiques, et d'abus sexuels" survenus "entre 2013 et 2016".
Un ancien élève scolarisé de 2003 à 2005 dans l'établissement, Adrien Honoré, avait témoigné à ce moment-là des abus dont il dit avoir été victime.
"Des prêtres venaient voir ce qu’on faisait et avaient des comportements déplacés, se frottaient à nous, nous caressaient de façon… pas catholique", assurait-il au quotidien La Dépêche.
"La première fois, j’ai préféré me taire", poursuivait-il. "Puis j’ai envoyé balader une main baladeuse, parce que ça allait crescendo, jusqu’à une main sur le caleçon."
En 2004, alors âgé de 13 ans, il dit également avoir été victime de violences sexuelles à plusieurs reprises et de viols par trois élèves plus âgés dans les toilettes de l’institution. "Il y a tous les gens qui savaient et qui se sont tus", abonde Adrien Honoré auprès de France 3.
Des violences physiques
La première affaire ayant éclaté remonte à 1996: des plaintes sont déposées contre un surveillant accusé de violences physiques. Un surveillant qui a par la suite été condamné.
Gifles, multiples sévices, humiliations... La violence au sein de cet établissement était légion selon les témoignages. Le plaignant Christophe Elgoyhen, qui a passé deux années en tant qu’interne dans l’établissement entre le CM1 et le CM2, raconte auprès de 20 minutes, des "baffes monumentales", des coups de règle sur les doigts "jusqu’au sang" et des punitions sur le perron à moitié nu en plein hiver.
"Des bons (souvenirs, NDLR), il n'y en a pas, quand tu ne manges pas à ta faim, que tu te douches à l'eau froide, quand tu prends des tannées ou que tu finis sur le perron pendant une heure en plein hiver parce que tu as chuchoté", abondait un autre ancien élève, Florent Salvarelli, interrogé par BFMTV en février 2024.
"Il venait soutane ouverte, et il nous masturbait"
En 1998, c'est une affaire de viols qui éclabousse l'institution. Le directeur, le père Carricart, est mis en examen pour viol sur un enfant de dix ans. Il s'est suicidé deux ans plus tard et la justice a clos le dossier.
Depuis, les témoignages évoquant des violences sexuelles au sein de Notre-Dame-de-Bétharram s'accumulent. "Ce que je constate, c'est que quasiment tous les pères directeurs jusque dans les années 2000 ont été des agresseurs sexuels", dénonce Alain Esquerre au micro de France 3.
Le plus vieux plaignant, Jean-Marie Delbos, scolarisé à Bétharram de 1956 à 1961, a quant à lui été abusé par un jeune curé responsable des dortoirs.
"Il venait soutane ouverte, et il nous masturbait, il nous faisait une fellation", décrit-il auprès de France 3. "De là, il repartait sur un autre lit et il faisait son truc. Il nous disait 'rendormez-vous, c'est pas grave'."
Jean-Marie Delbos a été reconnu victime et indemnisé de 35.000 euros par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église. "Je l'ai en tête tous les jours, ce qui m'est arrivé, rien ne vous l'enlève", déplore-t-il. Des plaintes d'abus sexuels concernent également des surveillants laïques.
Plusieurs victimes dénoncent "l'omerta" qui a régné pendant des années dans l'établissement et dans l'Église. "Nous on veut que chaque victime de Bétharram soit reconnue et qu'il y ait réparation", affirme Pascal Gélie à la chaîne locale.
Le porte-parole des "112 victimes" de Bétharram, Alain Esquerre dit attendre, d'après un communiqué consulté par BFMTV, l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet "qui, à ce jour, a terminé les auditions". Il a également appelé François Bayrou "à s'expliquer devant la représentation nationale". L'ancien élève de Bétharram a jugé début février auprès de l'AFP que la position du chef du gouvernement était devenue "intenable" et se disait "dépité" qu'il "continue de ne pas se positionner".
Bayrou assure "n'avoir jamais été averti"
Plusieurs des enfants du Premier ministre ont été scolarisés à Notre-Dame-de-Bétharram et son épouse y a enseigné le catéchisme. En 1996, lorsque la première plainte contre un surveillant est déposé pour des violences physiques, François Bayrou était ministre de l'Éducation nationale. Et la victime était dans la même classe que son fils, affirme le père de la victime à Mediapart.
En 1998, dans le cadre de l'affaire de viol, l'actuel Premier ministre avait par ailleurs rencontré le juge chargé du dossier, selon Le Monde et La République des Pyrénées. Il a pour autant assuré n'avoir "jamais entendu parler", à l'époque, de telles accusations. "Je ne comprends pas pourquoi il dément aujourd'hui", a déclaré à Mediapart l'ancien magistrat.
François Bayrou aurait également reçu en mars 2024 une lettre de la part du plaignant Jean-Marie Delbos pour l'interpeller "en tant que parent d'élèves" sur les multiples actes d'abus. Un accusé de réception montre que le document, dans lequel la victime raconte son histoire, est bel et bien arrivé à destination, selon Mediapart et France 3.
De nouveau interrogé à ce sujet ce mercredi 12 février à l'Assemblée nationale, François Bayrou a répété qu'il n'avait "jamais eu la moindre information".
"Je vais redire ce que j'ai dit hier je n'ai jamais été averti des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou des signalements", a-t-il déclaré. "Vous croyez que j'aurai scolarisé mes enfants dans un établissement pareil?"
"Je récuse les polémiques artificielles", a-t-il ajouté en réponse au député écologiste Arnaud Bonnet. Ce mardi, le Premier ministre a assuré "qu'une plainte en diffamation sera évidemment portée".